Un accord de paix entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie se fait attendre depuis la capitulation du Haut-Karabagh, en septembre. Le président Aliev revendique un accès à la Turquie via le corridor de Zangezour, et tente de dicter sa loi sur la réouverture des frontières en menaçant d’isolement son voisin de l’ouest.
Le 10 janvier, à un mois d’un scrutin présidentiel anticipé, le président de l’Azerbaïdjan, Ilham Aliev, a accordé un entretien programmatique aux chaînes de télévision locales. Aliev s’y félicite d’avoir « entièrement restauré la souveraineté du pays », après avoir récupéré, en septembre 2023, à la suite d’une offensive sanglante, la totalité du territoire du Haut-Karabagh, provoquant l’exode de plus de 100 000 Arméniens de ces terres, où ils vivaient depuis trois mille ans.
« Le déroulement de ces événements a montré, et je pense que cela devrait servir de leçon non seulement à l’Arménie, mais aussi à ceux qui la soutiennent (la France et les États-Unis) qu’il est impossible de nous parler dans un langage de menaces ou de se comporter avec arrogance, a-t-il martelé.
Le journal arménien Golos Armenii relève qu’Aliev a « de nouveau soulevé la question du corridor de Zangezour », ce projet d’ouverture d’un couloir de communications à travers la région méridionale arménienne de Siounik, qui donnerait à l’Azerbaïdjan un accès sans entrave à son enclave du Nakhitchevan, et au-delà, relierait par voie terrestre la Turquie à l’Asie centrale.
Le leadeur azerbaïdjanais a menacé : « Si cette route n’est pas ouverte, nous n’ouvrirons la frontière avec l’Arménie nulle part ailleurs. Ainsi, ils en retireront plus de mal que de bien », et demeureront « à jamais dans un cul-de-sac (géographique) ». « Pour la première fois, on entend une menace directe de transformer l’Arménie en ‘cul-de-sac’ ou en ‘île’ », relève le site russe Vzgliad.
Pas de doute pour Golos Armenii : il s’agit là d’une « nouvelle menace pour la souveraineté de l’Arménie et d’une nouvelle revendication territoriale ouverte. Cette déclaration nous rappelle que ce corridor (qui se trouverait annexé de fait si Bakou parvenait à ses fins) n’est pas seulement une idée de Bakou, mais un objectif stratégique du tandem turco-azerbaïdjanais. »
Le président de la Commission parlementaire permanente pour la défense et la sécurité de l’Arménie, Andranik Kotcharian, a rétorqué à Aliev : « Le renforcement de notre État et de notre système de sécurité obligera les forces armées azerbaïdjanaises à quitter nos territoires », relaie le site Russia Armenia Info. Quant au Premier ministre arménien, Nikol Pachinian, perdant des deux guerres du Karabagh (en 2020 et en 2023), il a estimé que « les revendications territoriales de Bakou ne contribuent pas au processus de paix ».
L’analyse de Vzgliad est sans équivoque : « L’Azerbaïdjan entame la révision des frontières arméniennes ». Aliev « pose un ultimatum concernant la future délimitation des frontières de l’Arménie qui ne correspond pas à celle issue de la dissolution de l’Union soviétique (en 1991) », mais à celle de 1918-1920, époque, selon l’interprétation de Bakou, où « la Russie soviétique a annexé l’Azerbaïdjan indépendant ». Or, il se trouve que pour « Erévan, Moscou et le reste du monde les frontières internationalement reconnues de tous les États de l’ex-URSS sont celles administrativement considérées comme telles à la fin de 1991 », rappelle Vzgliad.
Alors qu’un accord de paix entre Erévan et Bakou tarde à se matérialiser, Aliev a déclaré que Bakou « n’avait pas l’intention de retirer les troupes ‘miroir’ de la frontière ‘conditionnelle’ (selon ses dires) avec l’Arménie », observe Vzgliad.
Bakou accuse l’Arménie de « maintenir sous occupation depuis 1995 des enclaves azerbaïdjanaises, qui selon les frontières de 1991 se trouvaient sur le territoire de l’Azerbaïdjan ». Vzgliad explique l’enjeu en question : « Ces enclaves sont traversées par une voie ferrée qui pourrait théoriquement relier Erevan à la ‘grande terre’ via la Géorgie. La mainmise de Bakou sur cette voie ferrée ferait d’Erévan et de Goumri une ‘île’, totalement coupée du monde extérieur. Ce serait la fin de l’État arménien ».
Le journal russe Nezavissimaïa Gazeta entrevoit le risque d’une nouvelle guerre. « Il paraît évident que la liquidation (à compter du 1er janvier 2024) de la république autoproclamée du Haut-Karabagh n’est aucunement un gage de paix dans la région », conclut-il.
Alda Engoian
Courrier international
15 janvier 2024