Écrit en anglais par Benyamin Poghosian et publié dans The Armenian Mirror-Spectator en date du 29 janvier 2024
Après la prise de contrôle militaire du Haut-Karabagh par l’Azerbaïdjan en septembre 2023 et le déplacement forcé des Arméniens, certains espéraient en Arménie et à l’étranger qu’un accord de paix entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan soit à portée de main. Ces espoirs reposaient sur l’hypothèse que l’Azerbaïdjan avait reçue il y a quelques années tout ce dont il pouvait rêver.
Après septembre 2023, l’Azerbaïdjan contrôlait l’ensemble du Haut-Karabagh, où il n restait qu’une poignée d’Arméniens. Le gouvernement arménien a accepté cette réalité sans avoir l’intention de la remettre en question, tandis que la communauté internationale n’a rien fait de concret pour punir l’Azerbaïdjan ou créer les conditions nécessaires au retour des Arméniens. Le président Ilham Aliev a prouvé au monde qu’il n’était pas un « golden boy » devenu président simplement parce qu’il était le fils d’un célèbre dirigeant, Heydar Aliev, et qu’il manquait de compétences de base en matière de gouvernance. Il a réussi là où son père a échoué, prenant le contrôle du Haut-Karabagh et hissant les drapeaux azerbaïdjanais à Chouchi et Stepanakert.
Il semble le moment venu de faire la paix avec l’Arménie, une paix qui cimenterait le contrôle azerbaïdjanais sur le Haut-Karabagh et ouvrirait la voie à la normalisation entre l’Arménie et la Turquie. Des relations normalisées avec l’Azerbaïdjan et la Turquie pourraient permettre à l’Arménie de prendre des mesures concrètes pour réduire sa dépendance à l’égard de la Russie. Sur le plan économique, l’Arménie pourrait remplacer le gaz russe par des importations en provenance d’Azerbaïdjan et détourner une partie des exportations arméniennes destinées à la Russie vers les marchés turcs. Dans le domaine de la sécurité, des relations normalisées avec l’Azerbaïdjan et la Turquie rendraient probablement moins nécessaire la présence d’une base militaire russe et de troupes frontalières en Arménie. Ainsi, en signant un accord de paix avec l’Arménie, l’Azerbaïdjan pourrait ouvrir la voie à une région plus stable et à une moindre présence russe dans le Caucase du Sud.
L’Union européenne (UE) et les États-Unis avaient peut-être ces espoirs fin septembre 2023. Ils attendaient avec impatience le triomphe des efforts de facilitation occidentaux, une signature de l’accord de paix entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan et le début de la fin de la présence russe dans le Caucase du Sud. Quatre mois se sont écoulés, mais l’accord de paix n’a pas encore été signé, et des doutes grandissent quant à sa possibilité de le faire prochainement. La raison n’est pas la réticence de l’Arménie ou ses exigences visant à garantir le droit au retour des Arméniens au Haut-Karabagh, à lui accorder un statut autonome ou à retirer les troupes azerbaïdjanaises des territoires occupés de l’Arménie.
Les principales raisons sont les demandes de l’Azerbaïdjan d’un couloir extraterritorial via l’Arménie de l’Azerbaïdjan vers le Nakhitchevan, le refus de l’Azerbaïdjan de s’entendre sur des cartes concrètes pour le processus de délimitation et de démarcation, et le refus de facto de l’Azerbaïdjan de reconnaître l’intégrité territoriale arménienne à l’intérieur des frontières administratives de l’Arménie soviétique, malgré le fait que l’Azerbaïdjan a signé de nombreuses déclarations à Bruxelles sur l’acceptation de la déclaration d’Alma-Ata de 1991 comme base définissant les frontières.
En présentant ses exigences, l’Azerbaïdjan a effectivement tué la possibilité de signer un accord global. Comme alternative, l’Azerbaïdjan offre la possibilité de signer un « accord-cadre », qui laisserait ouvertes toutes les questions en suspens entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan tout en cimentant le statu quo d’après septembre 2023. Même si un accord-cadre est signé, la région restera pratiquement la même. Cela n’apportera pas une stabilité durable, laissera la porte ouverte à une escalade militaire et n’ouvrira pas la voie à une normalisation entre l’Arménie et la Turquie. Le comportement de l’Azerbaïdjan montre clairement que Bakou n’est pas intéressé par la paix dans le Caucase du Sud, même une paix basée sur la victoire complète de l’Azerbaïdjan dans le conflit du Haut-Karabagh, une soi-disant « paix des vainqueurs ».
Il pourrait y avoir plusieurs explications à ce comportement de l’Azerbaïdjan. D’un point de vue de politique intérieure, le président Aliev devra peut-être continuer à compter sur des ennemis extérieurs pour rallier la population à son régime. Dans ce scénario, le concept d’« Azerbaïdjan occidental » pourrait remplacer le Haut-Karabagh, faisant du retour des Azerbaïdjanais en Azerbaïdjan occidental ou du contrôle réel de l’Azerbaïdjan sur celui-ci un nouveau rêve national, semblable à la « libération du Karabagh ».
Une autre explication pourrait être la volonté de l’Azerbaïdjan de continuer à affaiblir l’Arménie et, comme objectif final, de faire de l’Arménie un État non viable en créant une frontière terrestre entre l’Azerbaïdjan et le Nakhitchevan à travers le territoire arménien et en fermant la frontière arménienne avec l’Iran. Il pourrait aussi y avoir d’autres explications. Cependant, une chose est claire. Le Haut-Karabagh n’est qu’une pièce du puzzle plus vaste de la stratégie de l’Azerbaïdjan et probablement de la Turquie envers l’Arménie. Cela signifie que même si l’Arménie accepte toutes les demandes de l’Azerbaïdjan, y compris l’établissement d’un corridor extraterritorial, le « retour des enclaves », le déploiement d’Azerbaïdjanais à Syounik et dans d’autres régions d’Arménie, l’Azerbaïdjan ne signera pas d’accord et ne formulera pas de nouvelles revendications. Ce sera une histoire sans fin, affaiblissant de plus en plus l’Arménie.
L’Arménie se trouve aujourd’hui dans une situation très difficile. Après la prise de contrôle complète du Haut-Karabagh par l’Azerbaïdjan, Les régions de Syounik et de Vayots Dzor sont prises en sandwich entre l’Azerbaïdjan et le Nakhitchevan, l’équilibre militaire demeure en faveur de l’Azerbaïdjan, les relations entre la Russie et l’Arménie sont à leur plus bas niveau depuis 1991, et l’UE et les États-Unis n’ont offert aucune garantie d’une sécurité solide et viable. Cette situation nécessite des actions prudentes et calculées de la part de l’Arménie. Cependant, une chose est claire : la poursuite de la politique d’apaisement envers l’Azerbaïdjan ne résoudra pas les problèmes de l’Arménie et ne fera qu’aggraver la situation.
Traduction N.P.