Droit international et Artsakh

Écrit en anglais par Arunansh B. Goswami et publié dans The Armenia Mirror-Spectator en date du 17 octobre 2024

Arunansh B. Goswami, avocat, est également historien et chercheur invité au Centre de recherche analytique Orbeli, une initiative du Premier ministre de la République d’Arménie.

 

L’expression « droit international » a été inventée par le philosophe utilitariste Jeremy Bentham, qui la définissait comme « un ensemble de règles régissant les relations entre États ». Selon le philosophe du droit John Austin, le droit international n’est pas du tout une loi parce qu’il n’a pas de sanction coercitive ; selon lui, « le soi-disant droit des nations se compose d’opinions ou de sentiments qui circulent parmi les nations en général. Ce n’est donc pas un droit à proprement parler ». Cette déclaration d’Austin apparaît de plus en plus pertinente lorsque nous observons la violation continue des droits de l’homme du peuple d’Artsakh, malgré les traités existants et les jugements de la Cour internationale de justice (CIJ) en place pour empêcher cet état de fait odieux. Dans cette région, c’est la realpolitik plutôt que le droit qui détermine la situation actuelle. Les homélies diplomatiques sur le respect du « droit international » sont une caractéristique régulière des sommets internationaux, mais le volte-face machiavélique suit en matière de géopolitique réelle. Cependant l’utilité et l’importance du droit international ne peuvent être surestimées ; sa valeur persuasive est immense. Il est important que les avocats, les notaires et les autres sachent quelles lois internationales sont violées par Bakou en Artsakh.

 

Que peut faire l’Inde ?

Lors du récent 19e Sommet de l’Asie de l’Est, le premier ministre indien Modi a déclaré : « Notre approche doit être celle du développement et non de l’expansion ».

Mais ce que nous avons vu lors de l’invasion de l’enclave arménienne d’Artsakh par l’Azerbaïdjan, riche en énergie et donc diplomatiquement fort [réserves de pétrole de 7 milliards de barils (1 Mt) et accès à la mer Caspienne, contrairement à l’Arménie enclavée) puis l’exode forcé de cette région des Arméniens ethniques pour changer la démographie régionale, poursuivant une politique étrangère hobbesienne-machiavélique inspirée du turco-touranisme, était une violation flagrante des principes établis par le droit international et de l’objectif déclaré de politique étrangère de l’administration Modi.

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L’Inde aspire à devenir une puissance mondiale. Elle est la cinquième économie mondiale (PIB nominal) et possède la deuxième armée professionnelle du monde avec 1,45 million de militaires actifs. Même après tout cela, elle parviendra à atteindre le statut de puissance mondiale si elle joue un rôle décisif dans la résolution des conflits régionaux au-delà de son voisinage immédiat. La réponse de l’Inde a été moins catégorique dans le cas de la situation arménienne. L’Inde peut jouer un rôle important pour garantir le respect du droit international en Artsakh, et elle doit joindre le geste à la parole (le premier ministre Modi a souvent parlé de l’Inde comme d’une terre de « Bouddha », et non de « yuddha » (guerre)), et commencer par reconnaître officiellement le génocide arménien du passé, lorsque les Ottomans et les Jeunes Turcs ont essayé d’effacer le Hayastan (Arménie) en tant que nation de la surface de la terre, et empêcher le génocide en cours des Arméniens et de leur culture en Artsakh.

 

Realpolitik versus Droit

Après avoir lancé l’offensive militaire en 2020, l’Azerbaïdjan a bloqué le corridor de Latchine, alors que la Cour internationale de justice avait ordonné une « libre circulation » dans les deux sens, Bakou a commodément ignoré cette décision. Aujourd’hui, l’Azerbaïdjan encourage un génocide culturel en Artsakh, alors que Bakou est partie à la Convention de La Haye de 1954 pour la protection des biens culturels en cas de conflit armé, et que le 7 décembre 2021, la CIJ a indiqué dans son ordonnance qu’elle « prendra toutes les mesures nécessaires pour prévenir et punir les actes de vandalisme et de profanation affectant le patrimoine culturel arménien, y compris, mais sans s’y limiter, les églises et autres lieux de culte, les monuments, les monuments historiques, les cimetières et les objets d’art ». Dans cette bataille entre la realpolitik et le droit international, les démocraties du monde entier doivent décider de quel côté elles se trouvent.

Il est décourageant de constater que seuls 34 pays dans le monde ont reconnu le génocide arménien comme un fait historiquement documenté en 2023. Or, alors que ce même génocide se répète de manière substantielle à l’heure actuelle, la plupart des pays font preuve d’un manque de volonté et d’initiative pour protéger les droits humains des Arméniens. Le silence horrible des pays de droit sur la violence et le déplacement des Arméniens de souche et les mauvais traitements infligés à environ 240 prisonniers de guerre et détenus civils arméniens en Azerbaïdjan soulève des questions sur les grandes revendications de respect des droits humains formulées par ces pays, principalement du Nord, lors des forums internationaux. Ce mépris ignoble pour le sort des Arméniens se poursuit alors que la CIJ a ordonné à l’Azerbaïdjan de « protéger de la violence et des coups et blessures toutes les personnes capturées dans le cadre du conflit de 2020 qui demeurent en détention ». New Delhi peut faire la différence pour garantir la responsabilité de Bakou, qui a jusqu’à présent ignoré de manière flagrante les ordres de la CIJ.

 

Crise des réfugiés

Selon le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), à la suite de l’escalade d’un conflit qui dure depuis des décennies dans la région, fin septembre 2023, plus de 100 000 réfugiés ont été contraints de fuir leurs foyers vers l’Arménie. Les réfugiés maltraités de l’Artsakh à Erévan sont témoins de l’horreur déclenchée par les Azerbaïdjanais. Pour obtenir la réponse à une question profondément importante, à savoir : Bakou commet-il un génocide des Arméniens de l’Artsakh ? Les lecteurs devraient lire la Convention sur le génocide de 1948 ; selon l’article 2 de celle-ci, « causer des atteintes graves à l’intégrité physique ou mentale des membres d’un groupe » constitue un génocide lorsqu’il est « commis dans l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux ».

L’article 7 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966 stipule : « Nul ne sera soumis à la torture, ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. » L’article 4(2) stipule qu’il ne peut y avoir de dérogation à l’article 7. Selon une enquête de Human Rights Watch, les forces azerbaïdjanaises ont maltraité des prisonniers de guerre arméniens du conflit d’Artsakh de 2020, les soumettant à des traitements cruels et dégradants et à la torture soit lors de leur capture, pendant leur transfert, soit pendant leur détention dans divers centres de détention. La question qui se pose est : que fait la communauté internationale ? Organiser la 29e conférence annuelle des Nations Unies sur le climat à Bakou (Azerbaïdjan) du 11 au 22 novembre 2024, c’est comme frotter du sel sur les plaies des victimes de l’agression azerbaïdjanaise.

La Cour internationale de Justice a déclaré dans l’affaire Barcelona Traction qu’il existait une distinction essentielle entre les obligations d’un État envers la communauté internationale dans son ensemble et celles qui découlent de la protection diplomatique à l’égard d’un autre État. De par leur nature même, les premières concernent tous les États, et tous les États peuvent être considérés comme ayant un intérêt juridique à leur protection ; il s’agit d’obligations erga omnes (envers tous). Parmi ces obligations figurent notamment l’interdiction de l’agression et du génocide, la protection contre l’esclavage et la discrimination raciale et l’interdiction de la torture.

En outre, la Cour internationale de Justice, dans l’affaire du Timor oriental, a souligné que le droit des peuples à l’autodétermination « a un caractère erga omnes », tout en réitérant dans l’affaire de la Convention sur le génocide (Bosnie c. Serbie) que les droits et obligations consacrés par la Convention sont des droits et obligations erga omnes.

 

Conclusion

L’aggravation des conflits dans plusieurs régions du monde est principalement due à la faible capacité des Nations unies à faire respecter le droit international dans les zones de conflit. Le peuple d’Artsakh attend que les pays du Nord et du Sud s’unissent pour protéger ses droits humains. L’Inde devrait prendre des mesures pour démontrer sa puissance géopolitique en reconnaissant officiellement le génocide arménien et en veillant à ce que les réfugiés arméniens actuels obtiennent justice. Anatole France écrivait en 1916 : « L’Arménie se meurt, mais elle survivra. Le peu de sang qui reste est un sang précieux qui donnera naissance à une génération héroïque. Une nation qui ne veut pas mourir ne meurt pas. » L’auteur espère que les pays du monde entier s’uniront pour protéger les droits humains du peuple d’Artsakh.

 

Traduction N.P.