Une « COP de la paix » ? Comment un Azerbaïdjan autoritaire et violent envers les droits de l’homme peut-il accueillir une telle conférence ?

Écrit par Greta Thunberg et publié dans The Armenia Mirror Spectator en date du 11 novembre 2024

 

Greta Thunberg est une militante écologiste suédoise engagée dans la lutte contre le réchauffement climatique. Ce commentaire a été publié à l’origine dans l’hebdomadaire britannique The Guardian le 11 novembre.

Alors que les crises climatiques et humanitaires s’aggravent rapidement, un autre État pétrolier autoritaire ne respectant pas les droits humains accueille la COP29, le dernier sommet annuel des Nations unies sur le climat qui commence aujourd’hui et se tient après la réélection d’un président américain hostile au climat.

Les réunions de la COP se sont révélées être des conférences d’écoblanchiment qui légitiment l’incapacité des pays à garantir un monde et un avenir vivables et ont également permis à des régimes autoritaires comme l’Azerbaïdjan et les deux hôtes précédents – les Émirats arabes unis et l’Égypte – de continuer à violer les droits humains.

Les génocides, les écocides, les famines, les guerres, le colonialisme, les inégalités croissantes et l’escalade de l’effondrement climatique sont autant de crises interconnectées qui se renforcent mutuellement et entraînent des souffrances inimaginables. Alors que des crises humanitaires se déroulent en Palestine, au Yémen, en Afghanistan, au Soudan, au Congo, au Kurdistan, au Liban, au Baloutchistan, en Ukraine, au Nagorno-Karabagh/Artsakh et dans de très nombreux autres endroits, l’humanité est également en train de dépasser la limite de 1,5 °C fixée pour les émissions de gaz à effet de serre, sans qu’aucun signe de réduction réelle ne se profile à l’horizon. C’est plutôt le contraire qui se produit : l’an dernier, les émissions mondiales ont atteint un niveau record. Des records de chaleur ont été battus, et il est « pratiquement certain » que cette année sera la plus chaude jamais enregistrée, avec des phénomènes météorologiques extrêmes sans précédent qui poussent la planète vers des territoires inexplorés. La déstabilisation de la biosphère et des écosystèmes naturels dont nous dépendons pour survivre entraîne des souffrances humaines indicibles et accélère encore l’extinction massive de la flore et de la faune.

Toute l’économie de l’Azerbaïdjan repose sur les combustibles fossiles, les exportations de pétrole et de gaz de la compagnie pétrolière publique Socar représentant près de 90 % des exportations du pays. Malgré ce qu’il pourrait prétendre, l’Azerbaïdjan n’a pas l’ambition de prendre des mesures en faveur du climat. Il prévoit d’accroître la production de combustibles fossiles, ce qui est totalement incompatible avec la limite de 1,5 °C et les objectifs de l’accord de Paris sur le changement climatique.

De nombreux participants à la COP de cette année ont peur de critiquer le gouvernement azerbaïdjanais. Human Rights Watch a récemment publié une déclaration expliquant qu’elle ne pouvait être certaine que les droits des participant-e-s à manifester pacifiquement seraient garantis. En outre, les frontières terrestres et maritimes de l’Azerbaïdjan resteront fermées pendant la COP29, de sorte qu’il ne sera possible d’entrer et de sortir du pays que par voie aérienne, ce qui est polluant et que de nombreux citoyen-ne-s azerbaïdjanais n’ont pas les moyens de s’offrir. La raison invoquée pour fermer les frontières lors de toutes les COP depuis le début de la pandémie de Covid est le maintien de la « sécurité nationale », mais j’ai entendu de nombreux Azerbaïdjanais décrire la situation comme étant « enfermés dans une prison ».

Le régime azerbaïdjanais est coupable de nettoyage ethnique, de blocus humanitaire et de crimes de guerre, ainsi que de répression de sa propre population et de persécution de la société civile du pays. L’organisme de surveillance indépendant Freedom House classe le pays comme l’État le moins démocratique d’Europe, le régime s’en prenant activement aux journalistes, aux médias indépendants, aux militants politiques et civiques, ainsi qu’aux défenseurs des droits de l’homme. L’Azerbaïdjan représente également environ 40 % des importations annuelles de pétrole d’Israël, alimentant ainsi la machine de guerre israélienne et se rendant complice du génocide en Palestine et des crimes de guerre d’Israël au Liban. Les liens entre l’Azerbaïdjan et Israël sont mutuellement bénéfiques puisque la majorité des armes utilisées par l’Azerbaïdjan pendant la deuxième guerre du Haut-Karabagh et probablement celles utilisées lors de l’opération militaire de septembre 2023 dans la région du Karabagh ont été importées d’Israël.

La « COP de la paix » est l’un des thèmes choisis pour la conférence sur le climat de cette année par l’hôte, qui souhaite encourager les États à observer une « trêve de la COP ». Parler de paix mondiale après les terribles violations des droits de l’homme commises par le régime azerbaïdjanais d’Aliev à l’encontre des Arméniens de souche vivant dans la région du Haut-Karabagh/Artsakh est pour le moins dérangeant. En outre, l’Azerbaïdjan prévoit blanchir ses crimes contre les Arméniens en construisant une « zone d’énergie verte » sur des territoires où la population a été ethniquement nettoyée.

Comment ce pays a-t-il pu accueillir le sommet sur le climat ? C’était le tour de l’Europe de l’Est. La Russie ayant mis son veto aux États membres de l’UE, il ne restait plus que l’Arménie ou l’Azerbaïdjan. L’Arménie a levé son veto contre l’Azerbaïdjan et a soutenu sa candidature en échange de la libération de prisonniers, bien qu’un grand nombre de prisonniers politiques arméniens soient toujours détenus. L’année dernière, Gubad Ibadoghlu, critique du régime, a été emprisonné après avoir critiqué l’industrie des combustibles fossiles de l’Azerbaïdjan. Parmi les autres prisonniers politiques figurent le militant pacifiste Bahruz Samadov, le chercheur sur les minorités ethniques Iqbal Abilov, les militants politiques Akif Gurbanov et Ruslan Izzatli, ainsi que des journalistes.

Pendant ce temps, l’UE continue d’acheter des combustibles fossiles à l’Azerbaïdjan et prévoit de doubler ses importations de gaz fossile en provenance de ce pays d’ici 2027.

La crise climatique concerne tout autant la protection des droits humains que la protection du climat et de la biodiversité. On ne peut prétendre se soucier de la justice climatique si l’on ignore les souffrances des personnes opprimées et colonisées aujourd’hui. Nous ne pouvons pas choisir les droits humains dont nous nous soucions et ceux que nous laissons de côté. La justice climatique est synonyme de justice, de sécurité et de liberté pour tous.

Pendant la COP29, l’image de l’Azerbaïdjan rapportée par les médias sera une version blanchie et écologisée que le régime s’efforce désespérément de présenter. Mais ne vous y trompez pas : il s’agit d’un État répressif accusé de nettoyage ethnique.

Nous avons besoin de sanctions immédiates contre le régime et d’un arrêt des importations de combustibles fossiles azerbaïdjanais. Des pressions diplomatiques doivent également être exercées sur le régime pour qu’il libère les otages arméniens et tous les prisonniers politiques, et qu’il garantisse le droit au retour en toute sécurité des Arméniens.

 

Traduction N.P.