Écrit en anglais par Lévon Zourabian et publié dans The Armenian Mirror-Spectator en date du 23 novembre 2024
Lévon Zourabian est vice-président du Congrès national arménien et ancien conseiller et porte-parole en chef du président de l’Arménie de 1994 à 1998.
L’éditorial suivant est une réponse à un éditorial de Hikmet Hajiyev, conseiller du président de l’Azerbaïdjan, publié par l’hebdomadaire Newsweek le 16 octobre 2024. Comme je le souligne, l’éditorial de Hajiyev était basé sur un mensonge flagrant. On pourrait penser qu’un journal réputé comme Newsweek serait désireux de remettre en question un tel article, ne serait-ce que pour se protéger des critiques sur ses normes. Non seulement il a refusé de le faire, mais il a également justifié sa publication en disant qu’il avait déjà publié une « poignée de réponses » à cet article, qui, hélas, sont introuvables.
L’Azerbaïdjan a obtenu le droit tant convoité d’accueillir une session de haut niveau de la Conférence des Nations unies sur les changements climatiques, appelée COP29, à Bakou du 11 au 22 novembre de cette année grâce à un accord diplomatique avec l’Arménie, qui a vu le retour de 32 prisonniers de guerre arméniens des prisons azerbaïdjanaises. L’accord, conclu le 7 décembre 2023, était à l’époque considéré par la communauté internationale comme une étape vers la conclusion finale d’une paix durable entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan après des décennies de conflit acharné entre les deux pays. Aujourd’hui, près d’un an plus tard et quelques jours avant le début de la conférence, il est de plus en plus évident, cependant, que l’adhésion de l’Azerbaïdjan à un accord diplomatique avec l’Arménie n’était rien d’autre qu’une manœuvre tactique visant à nettoyer la posture internationale du pays après de multiples actes d’agression contre les Arméniens depuis 2020.
L’Azerbaïdjan a récemment lancé une campagne de propagande énergique pour présenter le pays comme le fer de lance des efforts visant à établir une paix durable dans le Caucase du Sud. Le pays qui a rompu, en 2020, unilatéralement un cessez-le-feu de trois décennies et lancé une campagne militaire entraînant la mort de milliers de soldats et le nettoyage ethnique complet de plus de 100 000 Arméniens de leur patrie historique du Haut-Karabagh, ainsi que la saisie de 500 kilomètres carrés de territoire arménien souverain, se dit désormais prêt pour la paix.
Dans un long éditorial publié le 16 octobre dans Newsweek, le conseiller en politique étrangère du président de la République d’Azerbaïdjan, Hikmet Hajiyev, affirme que « la paix est à portée de main » et poursuit : « Il reste néanmoins des obstacles importants sur notre chemin. Le premier est la Constitution de l’Arménie, qui appelle à un rattachement de la région azerbaïdjanaise du Karabagh à l’Arménie. Cette revendication constitutionnelle revancharde a déjà constitué un obstacle à la paix : en 1996, le président arménien de l’époque a refusé de signer la déclaration finale lors d’un sommet de l’OSCE, arguant que la Constitution arménienne ne permettait pas la signature d’un document international reconnaissant le Karabagh comme faisant partie du territoire de l’Azerbaïdjan ».
Les affirmations de Hajiyev n’ont aucun fondement dans la réalité et ne peuvent rester sans réponse. En tant que personne ayant été étroitement impliquée dans le processus de négociation à l’époque et bien informée à ce sujet, je me sens obligée de rétablir les faits. Voici les faits réels :
En 1996, lors du sommet de l’OSCE à Lisbonne, le président d’Arménie Levon Ter-Petrossian a fait la déclaration suivante lors du débat en session plénière : « Nous sommes profondément convaincus que si la question du Karabagh est résolue sur la base des principes proposés par l’Azerbaïdjan, la population du Haut-Karabagh sera sous la menace permanente d’un génocide ou d’une expulsion forcée. L’expérience des pogroms anti-arméniens à Soumgaït (février 1988), Kirovabad (novembre 1988) et Bakou (janvier 1990) ainsi que l’expulsion des habitants de 24 villages arméniens du Karabagh (mai-juin 1991) montrent clairement que l’Azerbaïdjan, malgré toutes ses assurances, n’est pas en mesure d’offrir des garanties de sécurité à la population du Haut-Karabagh. Nous pensons donc que la seule façon d’éviter une nouvelle tragédie est de respecter le droit du peuple du Haut-Karabagh à l’autodétermination ». Comme vos lecteurs peuvent le constater, il n’est fait aucune mention de la Constitution arménienne dans cette déclaration.
La position de la délégation arménienne se reflète également dans la déclaration finale de Lisbonne, en annexe II (page 16). Si elle évoque la nécessité de respecter le droit à l’autodétermination du Haut-Karabagh et affirme que la solution proposée contredit la décision de 1992 du Conseil ministériel de l’OSCE, elle ne fait pas non plus référence à la Constitution arménienne.
En fait, la Constitution arménienne n’a jamais été évoquée par aucune délégation arménienne dans tout le processus de négociations avec l’Azerbaïdjan sur le conflit du Haut-Karabagh.
Le 26 octobre de cette année, la Cour constitutionnelle d’Arménie a jugé que les accords arméno-azerbaïdjanais sur la délimitation de la frontière mutuelle sur la base des frontières internationalement reconnues de 1991 ne contredisaient pas la Constitution arménienne, soulignant une fois de plus qu’aucune disposition de celle-ci ne pouvait être interprétée comme contenant des revendications territoriales au-delà de ces frontières.
Tout cela démontre clairement que l’Azerbaïdjan a recourt à des mensonges facilement réfutables pour justifier sa réticence à faire la paix avec l’Arménie et à fermer une fois pour toutes cette page tragique de l’histoire du conflit et de la guerre dans le Caucase du Sud.
Les arguments d’Hajiyev sur les obstacles à la paix ne sont pas plus convaincants. Ses références à « la militarisation intensive de l’Arménie par la France et d’autres pays occidentaux » et « le chœur de personnes demandant la libération des seigneurs de guerre qui ont commis des crimes odieux contre les civils azerbaïdjanais » comme étant les deux autres « obstacles majeurs » sur la voie de la paix ne sont pas plus crédibles que les excuses concernant la Constitution arménienne. Tout ce que l’Arménie a acquis de la France (et je ne connais aucun autre pays occidental qui vend des armes à l’Arménie) vise à reconstruire ses défenses contre un Azerbaïdjan de plus en plus agressif. Ces acquisitions, soit dit en passant, sont éclipsées par ce que l’Azerbaïdjan achète à la Turquie, à Israël, à l’Italie, à la Serbie et au Pakistan.
Et ce n’est pas « le chœur pour la libération » des détenus arméniens qui empoisonne réellement l’atmosphère entre les deux pays, comme le déclare Hajiyev, mais le refus de l’Azerbaïdjan de libérer tous les prisonniers de guerre arméniens en violation de l’accord de cessez-le-feu trilatéral du 9 novembre 2020, la torture des prisonniers de guerre et le maintien des dirigeants du Haut-Karabagh dans les prisons azerbaïdjanaises uniquement pour leur « crime » d’avoir exercé le droit du peuple du Haut-Karabagh à l’autodétermination.
L’Azerbaïdjan s’est emparé de plus de 200 kilomètres carrés de territoire souverain arménien en 2022, soit deux ans après la fin des hostilités au Haut-Karabagh ; ses représentants officiels désignent systématiquement l’Arménie comme l’Azerbaïdjan occidental, ce qui envoie des signaux alarmants d’intentions révisionnistes à l’égard de l’Arménie ; sa propagande d’État alimente systématiquement la haine envers les Arméniens ; son régime persécute les opposants politiques, ce qui prend parfois la forme de kidnapping là où ils ont trouvé refuge ou de les tuer ; il viole les droits de l’homme et les libertés fondamentales de ses citoyens à grande échelle. L’Azerbaïdjan est désormais devenu la menace la plus importante pour la sécurité et la démocratie dans le Caucase du Sud.
Un véritable obstacle à la paix.
Traduction N.P.