Faire face à l’APCE

Editorial écrit en anglais par Edmond Y. Azadian et publié dans The Armenian Mirror-Spectator en date du 14 janvier 2016

En ce début d’année, l’Arménie fait face à un nouveau défi diplomatique, conséquence de sa taille et des alliances choisies. Bien qu’en surface, cela ne semble pas être le cas, en effet les deux éléments, ainsi que les poches profondes et généreuses de ses ennemis, sont les causes profondes de ces défis.
L’année dernière, l’Arménie a subi un revers en Europe lorsque la Cour européenne des droits de la personne à Strasbourg a rendu une décision dans le cas de Dogu Perinçek qui l’opposait au gouvernement suisse. La Suisse a adopté une loi qui rend la négation du génocide arménien un crime. Perinçek, citoyen turc, a durant des conférences, nié le génocide à plusieurs reprises.
Dans son verdict final, le tribunal a déclaré qu’il n’y avait aucun doute sur le sort qui avait frappé les Arméniens, mais le verdict a affirmé une fois de plus que quiconque en Europe peut nier le génocide arménien en s’abritant derrière la liberté d’expression, alors que nier l’Holocauste juif sera plutôt traité comme une incitation à la haine.
Cette décision aura certainement un impact sur le droit suisse et aura également des conséquences désastreuses ailleurs. Un exemple en est un récent verdict français de la Haute Cour. Un professeur de mathématiques a été renvoyé et condamné à Paris pour avoir contester la loi sur la négation de l’Holocauste, faisant valoir que la loi punit injustement seulement ceux contestant ou niant l’Holocauste juif, mais pas d’autres crimes contre l’humanité. La Cour constitutionnelle a confirmé la loi le 10 janvier, voulant que seule la négation de l’Holocauste soit un crime, spécifiant que le génocide de la Seconde Guerre mondiale est d’une « nature différente » des autres crimes contre l’humanité. Cette décision se déroule dans un pays dont le président, François Hollande, avait promis son soutien à toute épreuve pour une loi criminalisant la négation du génocide arménien.
Les experts qui avaient tenté de minimiser – et même mal interpréter – le verdict de la Cour européenne dans l’affaire Perinçek, se rendront compte de l’effet domino négatif d’une telle décision en Europe.

Maintenant voici le second chapitre des défis diplomatiques de l’Arménie.

En effet, la commission des affaires politiques et de la démocratie de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE) a approuvé par un vote de 24 contre 16 un rapport anti-arménien rédigé par le rapporteur Robert Walter (Royaume-Uni, CE) et intitulé « Escalade de la violence dans le Haut-Karabagh et autres territoires occupés de l’Azerbaïdjan. » La proposition de la délégation arménienne de remplacer le rapporteur a été refusée. Le rapport figurera à l’ordre du jour de la session plénière de l’APCE le 26 janvier avec encore un autre rapport biaisé contre les Arméniens du Karabagh.
Le deuxième projet de résolution est intitulé « Les habitants des régions frontalières de l’Azerbaïdjan sont délibérément privés d’eau. » Le rapporteur de ce rapport est Milica Markov (Bosnie-Herzégovine).

Le premier rapport repose sur des affirmations biaisées car il qualifie le Karabagh de « territoire occupé », en plus d’autres territoires azéris occupés par l’Arménie. Une position neutre attendue d’une organisation telle que l’APCE, aurait, à tout le moins, parlé de « territoires contestés ». Dans sa forme actuelle, le sort du projet de résolution est inéluctable, sans même besoin de vote lors de la plénière.
Dans ce premier projet de résolution, les principes de neutralité, d’impartialité et d’objectivité ont été bafoués. D’autre part, les pouvoirs du rapporteur lui-même sont anormaux ; M. Robert Walter et sa femme, Feride Alp-Walter, ont été impliqués dans des relations d’affaires en Azerbaïdjan et en Turquie. Il a également été rapporté que les deux sont citoyens turcs et que M. Walter a personnellement reçu sa carte d’identité turque des mains du ministre des Affaires étrangères turc Mevlut Çavusoglu. En 2011, M. Çavusoglu était parmi les invités au mariage du couple.
Ce vote rétribué si évident peut éventuellement rappeler aux lecteurs un autre diplomate – maintenant discrédité et mis hors de la scène politique – qui a eu à l’époque un impact négatif sur les relations arméno-azéries, à savoir Matthew Bryza. Bryza, ex-coprésident du Groupe de Minsk de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), a aussi servi pour un court laps de temps comme ambassadeur des Etats-Unis en Azerbaïdjan. Le mariage de Bryza et son épouse turque en Turquie avait été approuvé par le gouvernement Aliev d’Azerbaïdjan.
Ces décisions flagrantes semblent être des actes individuels de mauvaise conduite mais ils sont tolérés dans les cercles diplomatiques, car l’Arménie demeure dans l’orbite russe et les délégués qui votent pour ces résolutions mal conçues pensent indirectement punir la Russie en votant contre l’Arménie.
La seconde résolution se fonde sur les même fausses vérités parce que le rapporteur a choisi d’ignorer le rapport technique du réservoir Sarsang, au centre de la controverse. Le rapport technique rédigé par l’experte, le Dr Lydia S. Vamvakeridou-Lyroudia, appelle à une inspection visuelle du barrage, qui est loin d’un prétendu danger d’effondrement, mais le rapporteur a choisi d’ignorer l’invitation des autorités du Karabagh et a exigé « un retrait immédiat des forces armées arméniennes de la région concernée. »
Compte tenu des initiatives malavisées de l’APCE, l’OSCE a publié un communiqué laconique suggérant qu’aucun autre organisme n’est mandaté pour intervenir dans le conflit du Haut-Karabagh, sans consulter les coprésidents de l’OSCE. Toute ingérence marginale ne peut qu’altérer le processus de négociation. Mais l’Azerbaïdjan, sous la tutelle de la Turquie, poursuit activement sa politique de déviation et de corruption du sens fondamental de la question du Karabagh. Le tandem azéri-turc a déjà utilisé le fanatisme de certains pays islamiques pour remporter leurs votes à l’Assemblée générale des Nations Unies, qualifiant le conflit de querelle religieuse.
Les Arméniens ne devraient pas être surpris par de telles actions et ils ont besoin pour planifier leurs stratégies et préparer des contre-attaques heureuses sur leur chemin. La Fédération Euro-Arménienne pour la Justice et la Démocratie (FEAJD) a déjà pris l’initiative de lancer une campagne, notamment à travers une pétition sur « change.org », exhortant une participation active afin d’empêcher l’APCE d’adopter une résolution pro-azérie qui peut entraver les négociations de paix du Haut-Karabagh. La FEAJD appelle spécifiquement à une action immédiate par l’intermédiaire de la pétition pour mettre fin à la « guerre rhétorique haineuse (de l’APCE) sur le Haut-Karabagh et le favoritisme de certains de ses membres envers l’Azerbaïdjan. »

L’initiative de la diaspora est doublée par une offensive diplomatique de l’Arménie. Pour empêcher l’adoption des documents ci-dessus, Erévan a entrepris une campagne diplomatique discrète. Le Vice-président du Parlement Edouard Sharmazanov s’est rendu dans toutes les capitales baltes ainsi qu’en République tchèque et en Grèce. Pendant ce temps, Hovhannes Sahakian, le chef du Comité parlementaire permanent de l’Arménie sur l’état et des affaires juridiques a effectué des visites similaires à Varsovie et Bucarest, tandis qu’Artak Zakarian, chef du Comité parlementaire permanent de l’Arménie sur les relations étrangères et Samvel Fermanian, co-président de la Commission de coopération Arménie-Europe sont sur la route de différentes capitales européennes avec la même mission.
« Cette résolution n’a aucune valeur, en dehors de saper le processus de négociation, » a annoncé Naira Zurabian, qui dirige le parti Arménie Prospère à l’Assemblée nationale. « Quant à la version finale, » a-t-elle ajouté, « cela dépend du nombre de membres lucides présents à la session plénière de l’APCE qui comprendront que l’adoption d’une telle résolution ne fera qu’augmenter les tensions déjà très tendues à la frontière. L’APCE sera à nouveau une scène de la guerre entre les délégations d’Arménie et d’Azerbaïdjan. Si c’est ce que désire l’APCE, laissons-la continuer à travailler. »
En attendant, le ministre adjoint des Affaires étrangères Chavarch Kotcharian a annoncé lors d’une session du parlement arménien qu’il faudrait travailler plus activement avec les délégués de l’APCE.
La session du 26 janvier et le vote démontreront si la mobilisation combinée de la campagne diplomatique Arménie-diaspora est en mesure de rattraper ou de faire face à l’APCE.

 

Traduction N.P.