Ce n’est pas la première fois que la Géorgie mérite le titre d’« amie-ennemie » de l’Arménie. Bien que la croix soit bien en vue sur son drapeau, la fraternité chrétienne ne signifie pas grand-chose aux yeux du gouvernement géorgien. Sinon, une certaine considération et solidarité aurait existée entre les deux seules nations chrétiennes au milieu d’un océan de pays islamiques.
Durant la période soviétique, les tensions ethniques étaient dominés par le gouvernement central sans laisser place à l’amour perdu entre l’Arménie et la Géorgie, puisque les deux pays avaient combattu avant d’être intégrés dans l’empire soviétique. À la suite de cette guerre, la région arménienne historique du Djavakhk a été absorbée par la Géorgie.
Après l’effondrement de l’empire soviétique, les deux républiques émergentes se sont développées politiquement dans des directions opposées, poussant leur frémissant antagonisme mutuel en des dimensions politiques.
Par nécessité historique, l’Arménie s’est alignée avec la Russie, devenant l’alliée stratégique de son voisin du Nord en hébergeant une base militaire de Moscou sur son territoire. La Géorgie, quant à elle, s’est tournée vers l’Occident, voulant assouvir son rêve de devenir un membre de l’OTAN. Bien que le gouvernement de Tbilissi ait souffert de son orientation occidentale à la suite de la politique téméraire du président Mikhaïl Saakachvili, le gouvernement qui lui a succédé n’a pas modifié sa politique étrangère.
Lors d’un discours prononcé le 12 février, le président Serge Sargissian, commentant la mise en œuvre de changements constitutionnels récents, a également puisé dans le contexte politique de la région en déclarant : « Avec nos deux voisins, la Géorgie et l’Iran, nos relations se développent dans un esprit de bon voisinage. »
Cependant, c’était une déclaration diplomate plutôt qu’avérée, faite afin de ne pas exacerber les relations déjà tendues avec Tbilissi.
En fait, les relations avec l’Iran et la Géorgie sont sur des plans totalement différents. À certains moments, l’Iran peut ignorer certains intérêts arméniens par opportunisme politique, mais en principe, il ne tente pas de contrarier l’Arménie.
Tant à l’interne qu’à l’externe, les politiques géorgiennes blessent les Arméniens. Depuis l’indépendance de la Géorgie, les administrations successives ont exercé une politique intérieure extrêmement xénophobe, en essayant d’assimiler ou d’aliéner leurs minorités. Le poids de cette politique est principalement dirigé vers les Arméniens du Djavakhk. Bien que la politique ait coûté à la Géorgie des pertes territoriales – l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud – peu de choses ont changé dans le comportement du gouvernement central.
La politique étrangère de la Géorgie traite l’Arménie comme un ennemi virtuel. Devant les Nations Unies et autres organismes internationaux, le gouvernement de Tbilissi soutient effrontément l’Azerbaïdjan et la Turquie, au détriment de l’Arménie, piétinant l’« esprit de bon voisinage » que l’Arménie tente jalousement et désespérément de conserver.
L’Arménie est membre de l’Organisation du Traité de sécurité collective (OTSC) et se repose en grande partie sur cette organisation pour sa sécurité. Mais l’escalade des tensions avec l’Azerbaïdjan ont soulevé des préoccupations légitimes, surtout après l’empiétement azéri du territoire souverain de l’Arménie, à la face même du silence énigmatique de la Russie. S’ajoute aux inquiétudes de l’Arménie, la quantité alarmante de transfert d’armes modernes de la Russie au gouvernement de Bakou.
Ces préoccupations ont été soulevées par des journalistes arméniens lors d’une conférence de presse avec le secrétaire de l’OTSC, le général Nikolay Bordyuzha, qui a répondu de manière indirecte et laconique : « Lisez les déclarations annuelles des ministres de l’OTSC qui se réfèrent nécessairement à la situation dans le Caucase. »
A la même conférence de presse, il a justifié les craintes des journalistes arméniens lorsqu’il a déclaré, « Nous sommes très préoccupés par la situation dans le Caucase, en particulier dans le cadre du conflit du Haut-Karabagh, où des armes lourdes et des chars sont utilisés, qui font des victimes. Une nouvelle escalade du conflit est inacceptable ; l’ensemble du Caucase va exploser. »
Dans ce contexte politique, le gouvernement de Tbilissi développe davantage ses relations politiques et économiques avec la Turquie et l’Azerbaïdjan, et l’étau se resserre autour de l’Arménie.
Le 19 février, la Géorgie a accueilli les ministres des Affaires étrangères de Turquie et d’Azerbaïdjan, qui ont visité la station de train de Kartzakhi, près de la frontière turque. Les trois ministres des Affaires étrangères, Elmar Mammadyarov, Mikhaïl Janelidze et Mevlut Çavusoglu, ont respectivement, fait l’éloge du projet de chemin de fer Bakou-Tbilissi-Kars (BTK) comme un évènement « historique » et ont noté son importance dans le contexte de la nouvelle route de la soie reliant l’Asie à l’Europe. La construction du chemin de fer devrait être achevé d’ici 2017 et un segment traversera la ville d’Akhalkalaki peuplée d’Arméniens, après avoir contourné l’Arménie elle-même.
Le ministre azerbaïdjanais des Affaires étrangères a déclaré : « Je crois que nous sommes sur la bonne voie. Il y a une compréhension commune et nous devons continuer cette coopération, car elle est ‘gagnante-gagnante-gagnante’ pour les trois pays et de la région. »
Il n’a pas dit : « C’est un projet ‘perdant-perdant-perdant’ pour l’Arménie. »
Mais ce qui est plus inquiétant est que, en plus de faire des déclarations sur la coopération économique, le trio a signé une déclaration politique dans laquelle ils déclarent qu’ils mettent « la plus grande importance sur un règlement pacifique du conflit dans et autour de la région du Haut-Karabagh de la République de l’Azerbaïdjan et le conflit dans les régions géorgiennes d’Abkhazie et de Tskhinvali / Ossétie du Sud sur la base des principes et des normes du droit international, en particulier, la souveraineté, l’intégrité territoriale et l’inviolabilité des frontières internationalement reconnues. »
Les huit derniers mots sont un euphémisme destiné à exprimer les ambitions territoriales de la dynastie Aliev. En revanche, les coprésidents de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) ont travaillé sur les principes de la dernière partie de la déclaration d’Helsinki, qui entend concilier l’intégrité territoriale et le droit à l’autodétermination de la population locale.
La Géorgie approuve témérairement la position de l’Azerbaïdjan sur le règlement du conflit du Karabagh tandis que l’Arménie s’est prudemment abstenue de reconnaître l’indépendance de l’Abkhazie pour éviter une confrontation avec Tbilissi.
Avec la levée des sanctions contre l’Iran, le marché du gaz est devenu un champ de bataille brulant dans le Caucase, où la Russie, l’Azerbaïdjan et l’Iran sont en rivalité. A un certain moment, l’Arménie devait servir de voie de passage pour le gaz iranien vers la Géorgie. Il semble que le gouvernement géorgien a émis des réserves, de peur de mécontenter le gouvernement de Bakou. Le territoire de l’Azerbaïdjan est considéré comme un conduit pour le gaz iranien et ministre géorgien de l’Energie, Kakha Kaladze, a déclaré que « Tbilissi pourrait envisager cette option également. »
La coopération turco-géorgienne a ouvert les vannes pour l’invasion de la capitale turque en Géorgie.
Vahakn Chakhalian, l’activiste politique arménien du Djavakhk, emprisonné par le président Saakachvili, a lancé un appel à tous les Arméniens, en disant « non à la turquisation de la Géorgie. »
Il a ajouté : « Les graines que Saakashvili avait semées sont en plein essor en Géorgie, la turquisation du pays se développe à un rythme alarmant et a presque atteint un point de non-retour. »
La déclaration indique que les investisseurs turcs font de la discrimination, même envers les Géorgiens chrétiens en leur refusant un emploi et en préférant des Azéris et des Turcs.
Ajoutant l’insulte à l’injure, le gouvernement géorgien a accepté d’accueillir une base militaire turque sur son territoire, pour compléter la turquisation du pays.
Il est compréhensible que les Etats-Unis et l’OTAN aient salué cette décision « comme une contribution à la stabilité. » Cette base substituerait celle de l’OTAN, ce qui irrite la Russie au plus haut point. A la lumière de l’escalade actuelle des tensions entre la Russie et la Turquie, la stabilité pourrait être la première victime.
Avec une amie comme la Géorgie dans la région, l’Arménie n’a pas besoin d’ennemis.
Traduction N.P.