‘Zaman’, tué vendredi, s’est réveillé dimanche tel un zombi pro-gouvernemental », a écrit le journaliste Piotr Zalewski.
Mais le « meurtre » du quotidien Zaman, le 4 mars n’a pas eu lieu dans le calme. Au lieu de cela, le gouvernement du président Recep Tayyip Erdogan, ordonnance du tribunal en main, émis par un système judiciaire docile, a perquisitionné les bureaux de la rédaction du journal, et a lutté contre les manifestants à l’aide de gaz lacrymogènes et de canons à eau. Maintenant Zaman est sous la garde à vue du gouvernement, consacré pour louer la gloire d’un président rebelle.
La répression violente de la presse libre compte parmi les « heures les plus sombres » de l’histoire du pays, alors que les rédacteurs ont décrit l’incident, avant d’être évincé de leurs bureaux.
‘Zaman’ et sa publication sœur, ‘Zaman d’aujourd’hui’, avait un tirage quotidien de 650 000, l’un des plus importants en Turquie.
‘Zaman’, avant sa prise de contrôle la semaine dernière, était affilié au mouvement Güleniste, contrôlé par l’imam en exil Fethullah Gülen. A un moment donné, Gülen et Erdogan étaient alliés dans la promotion du Parti islamiste AK afin de prendre le pouvoir en Turquie. L’accession au pouvoir d’Erdogan comme dirigeant autoritaire de la Turquie, a eu des retombées sur son allié d’autrefois, qui a continué de bénéficier d’un large soutien dans les forces armées, la police et le système judiciaire turcs.
Erdogan a purgé la plupart de ces établissements sous le couvert de la lutte contre l’« Etat profond. » La presse libre et l’un de ses représentants les plus éminents, ‘Zaman’, sont les derniers bastions en Turquie qui propageaient des politiques gülenistes et qui poursuivaient une ligne critique contre les excès du gouvernement.
Erdogan avait promis de fermer ce journal, pour faire taire toutes les critiques dans le pays. Par conséquent, aujourd’hui, la presse libre de Turquie est aux fers.
La Fédération européenne des journalistes (FEJ) et la Fédération internationale des journalistes (FIJ) se sont dit très préoccupés et suivre la situation de près.
Dans un communiqué, les deux fédérations ont écrit « L’Union européenne ne peut garder le silence sur la saisie politique des quotidiens Zaman, Zaman d’aujourd’hui, et l’agence de presse Cihan. »
La FEJ et la FIJ ont signalé le cas à la plate-forme du Conseil de l’Europe pour la protection et la sécurité des journalistes et la liberté des médias comme un nouvel exemple de violations des libertés en Turquie.
En Europe, la perception de la prise de contrôle de ‘Zaman’ démontre le passage vers un despotisme et un autoritarisme tout azimut d’Erdogan.
La prise de contrôle de ‘Zaman’ n’est que la pointe de l’iceberg. Elle fait partie d’une répression beaucoup plus étendue sur la dissidence. En effet, en janvier dernier, les forces de renseignement ont placé plus de 1 000 universitaires sous enquête pour avoir manifesté contre les opérations militaires du gouvernement dans le sud-est de la Turquie, qui actuellement fait des ravages sur la minorité kurde qui y vit. La ville de Diyarbakir est une zone de guerre virtuelle sous prétexte de vouloir débarrasser le pays des terroristes. En outre, depuis 2014, 1 845 accusations ont été lancées contre les personnes pour avoir insulté le président.
Le scandale ‘Zaman’ a un précédent lorsque les journalistes Can Dündar et Erdem Gül ont été arrêtés il y a trois mois sur des accusations d’espionnage. Ils avaient écrit dans leur quotidien, Cumhuriyet, que le gouvernement fournissait de l’armement à des organisations terroristes en Syrie. Ils avaient même appuyé leurs dires avec des photographies.
Le gouvernement les a accusés d’avoir divulgué des secrets d’Etat et M. Erdogan s’est vanté qu’ils en paieraient le prix. Par la suite, la Cour constitutionnelle les a libérés de prison. Furieux, Erdogan a crié, « Je ne suis pas en position d’accepter cette décision. Je le dis clairement : je n’ai aucun respect pour elle. »
Les journalistes font toujours face à des accusations et peuvent faire face à la réclusion à perpétuité.
« Dans les pays normaux, le président est là pour demander aux gens d’obéir aux lois, » a déclaré M. Dündar. « Mais en Turquie, ce sont les gens qui doivent demander au président de le faire. »
Cumhuriyet et Zaman ne sont pas les seuls médias victimes d’une répression la semaine dernière; la police a perquisitionné les bureaux d’Istanbul du groupe Koza Ipek et fermé son émission de télévision en direct. Les victimes précédentes ont été Bengutur TV et IMC TV, qui ont depuis été abandonnés par le satellite de transmission géré par l’Etat « Turksat. »
Sous Erdogan, la Turquie est devenue le plus grand geôlier de journalistes et se classe désormais 149e sur 180 pays selon l’Indice de liberté de la presse établie par Reporters sans frontières (RSF).
Les fonctionnaires de France, d’Allemagne et d’UE ont tous condamné la saisie par la Turquie du quotidien ‘Zaman’. Un porte-parole du gouvernement allemand a annoncé que la chancelière Angela Merkel avait soulevé la question de la liberté de la presse avec le Premier ministre turc, Ahmet Davutoglu, à Bruxelles. Le ministre français des Affaires étrangères Jean-Marc Ayrault a également exprimé son inquiétude et a dit que le mouvement était contraire aux valeurs européennes. « Il est inacceptable. Nous ne pouvons pas vouloir nous rapprocher des normes européennes et ne pas respecter le pluralisme des médias. Il est évident, et nous l’avons dit clairement aux Turcs. »
A son tour, le Président du Parlement européen Martin Schultz a dit avoir parlé à M. Davutoglu et lui a dit qu’une presse libre était « un élément non négociable de notre identité européenne. »
« Celui qui veut se joindre à l’Union européenne doit soutenir la liberté d’expression, la liberté de la presse et doit tolérer la critique, » a déclaré le chef du Parti vert allemand Cem Ozdemir, qui est d’origine turque, né en Allemagne.
Notons qu’Ozdemir est le fer de lance de la bataille devant le Bundestag pour la reconnaissance du génocide arménien.
Dans une note, ‘Zaman aujourd’hui’, avant le changement en zombie, a rapporté que Garo Paylan, membre du Parti démocratique populaire (HDP) d’origine arménienne a prononcé un discours à l’assemblée générale turque, et a montré quelques photos de graffitis avec les mots « bâtards arméniens » qu’il a étiqueté comme un cas grave de racisme.
Poursuivant son discours, Paylan a ajouté : « Ce crime a été commis non seulement par les forces de sécurité, mais aussi par le Premier ministre. »
En effet, la semaine dernière le Premier ministre Davutoglu, en visite à Bingol, a déclaré que les gangs arméniens avaient coopéré avec les Russes lors de la Première Guerre mondiale
« Quel genre de racisme est-ce ? Suis-je autorisé à dire « gangs turcs ? »
Avec tous les crimes et offenses du gouvernement turc en Europe et aux Etats-Unis, on lui donne, au mieux, une claque et on continue à coopérer avec le régime Erdogan.
Roy Greenslade a publié un article dans The Guardian sous le titre « Erdogan, l’ennemi de la liberté de la presse, va à nouveau humilier l’UE. »
Dans cet article, il cite Christophe Deloire, le secrétaire général de RSF, « l’UE doit exercer la totalité de son pouvoir. … Il ne peut être question de la reprise des négociations d’adhésion à l’UE tandis qu’Ankara piétine visiblement sur les valeurs européennes de base. » Greenslade poursuit : « Il ne retient pas son souffle face à l’UE, cependant, jusqu’à présent, l’Union européenne s’est montré coupable de faiblesse en réponse aux attaques du président Recep Tayyip Erdogan envers les médias. »
Puis il demande : « L’UE est-elle déterminée à se laisser humilier ? La réponse est claire : Oui. »
La conclusion pessimiste est basée sur une évaluation objective. M. Davutoglu est à Bruxelles afin de négocier un accord avec les dirigeants de l’Union européenne, pour extorquer un autre 3,5 milliards $ en contrepartie de l’admission des vagues de réfugiés sur les côtes européennes, et en provenance de Grèce. Tout au long de ses négociations, après avoir entendu toutes les critiques et sermons, il aura peut-être pensé dans son esprit cynique qu’« il faut se contenter de ce que l’on a. En réponse à vos besoins, la Turquie peut vous aider sur la question des réfugiés, vous payez et vous nous laissez tranquille. Vous n’avez aucune influence sur nous ou comment nous traitons les journalistes dans notre pays. »
Ceci est, en substance, la base de l’arrogance du gouvernement Erdogan. Aucun dirigeant de l’Union européenne n’a encore eu la témérité de pointer du doigt la Turquie, l’accusant d’être la cause de ce chaos. L’agression de la Turquie contre un pays stable comme la Syrie a exacerbé la situation, forçant sa population pacifique à se disperser sur les rives de la mer Egée et au-delà. Et au lieu de la Turquie, c’est l’Europe qui paie le prix de cette tragédie humanitaire héroïque.
La Turquie bafoue les valeurs européennes et s’en lave les mains. L’armée d’Erdogan fait un saccage meurtrier contre la population kurde du pays, le carnage est prépondérant, l’UE et les Etats-Unis ont leur conscience, lorsqu’ils classent le PKK comme une organisation terroriste.
La Turquie joue une partie de bras de fer avec la Russie, agite les structures de l’alliance avec l’OTAN et M. Obama prône, « La Turquie a le droit de se défendre. »
Dès le début de la guerre froide, la Turquie a assumé son rôle de substitut pour faire le sale travail de l’Occident au Moyen-Orient. Il arme les groupes terroristes en Syrie, et l’Occident détourne la tête.
En effet, le journaliste de The Guardian a raison : « Ne retenez pas votre souffle. Erdogan ne sera pas tenu responsable de ses problèmes intérieurs et de ses bévues internationales, parce qu’il est devenu un mal nécessaire. »
Traduction N.P.