Entre la raison et la folie

Une règle fondamentale gère, depuis la création, le monde de l’humanité : deux pôles opposés tenaillent chaque personnalité, appelée, tout le long de son existence, à conserver, autant que possible, sa lucidité et son équilibre entre les deux extrémités et choisir, en toute liberté, celle qui convient à ses penchants et à ses affinités. Un combat bien palpable, mais non déclaré, où chaque extrême fait de son mieux pour attirer l’humain de son côté. La gauche y symbolise le bord sombre, négatif et néfaste qui tente, injustement et férocement, de dominer et de s’emparer, sans en avoir le droit, de toute l’identité. La droite, consciente de son impartialité, de sa force et de sa supériorité, n’intervient et n’agit efficacement que quand elle est ardemment recherchée et fervemment priée de prendre part au conflit intérieur en faveur du bien et de la vérité.

Si, cependant, un déséquilibre affecte, pour une raison ou une autre, cette abstraite dualité, parfaitement conçue et ingénieusement réglementée, le fonctionnement du mécanisme humain, sur lequel elle repose, est mis en question et doit être vérifié de près et soigneusement réparé au cas d’une défectuosité. La maladie mentale en est une des causes qui perturbent dangereusement ce conflit, naturel et harmonieux, indispensable à discerner la réalité et en profiter pour apprendre, se développer et évoluer.

« Je suis fucké (e) dans ma tête, écoute mon âme! » pourrait-être alors, de cette optique, un appel au secours, imminent et désespéré, lancé par toute personne atteinte de troubles psychiques, quelle que soit leur nature ou leur ampleur, en réalisant qu’elle a perdu sa capacité de contrôler le gouvernail de sa vie et d’orienter sa barque où et comme elle l’entend. Ce cri déchirant fuse de son cœur quand elle s’aperçoit, horrifiée, qu’elle n’a presque plus de maîtrise ni sur son corps ni sur son entité, dont sa pensée, ses humeurs, ses émotions et sa volonté. Sa tête, qui devait piloter adéquatement toutes ses facultés, n’est plus apte, hélas, à assumer proprement ses responsabilités. Elle n’est plus capable de mener convenablement son train de vie et l’entraîne, en revanche, vers des falaises vertigineuses et des dépressions abyssales qui le déroutent, l’égarent et consomment inutilement son énergie vitale. Dans des conditions chaotiques pareilles, l’âme, à l’abri de ce périlleux dérèglement, est consciente du danger qui la menace et risque fort de la ruiner. Elle cherche, par conséquent, immédiatement et de toutes les façons, à prendre en main la situation. Elle hurle, donc, de toutes ses forces, que c’est elle qu’il faut écouter et non pas l’esprit détraqué qui s’exprime mal à son nom. Elle veut, ainsi, échapper aux lois et aux règlements insensés, que lui impose un raisonnement en dérangement, pour sauver son navire de couler et l’acheminer vers les rivages salutaires qui lui assurent l’éternité à laquelle elle est destinée.

Toutefois et étrangement, cet appel au secours, dans ce contexte, n’est pas lancé, ici, par un (e) condamné (e) de la maladie psychique, mais par une écrivaine tout à fait saine d’esprit qui n’a jamais expérimenté, en personne, cette effrayante anomalie qui dérobe aux gens qui en souffrent le contrôle de ce qu’ils ont de plus précieux, leur cerveau, pour mettre définitivement leur sort entre les mains d’autrui.

Le destin s’est ingénié à tisser ses toiles imprévisibles pour que le chemin de cette auteure humaniste, profondément éprise des causes humaines avant d’y être frénétiquement engagée, croise celui de trois hommes, en rapport étroit avec cette catégorie de maladies, qui ont joué un rôle pivot dans sa vie. Le premier a failli être son mari; le deuxième aurait pu être le fils qu’elle n’a jamais eu de lui; et le troisième était le médecin, rencontré par pur hasard, qui lui a dévoilé les dessous médicaux de la pathologie et lui a révélé que cette tare, qu’on attribue, la plupart du temps, au facteur héréditaire, affecte l’amour de sa vie. Ce qui ne l’a pas dissuadé de s’unir à elle pour fonder une heureuse et paisible famille.

Un roman, signé Delphine Jacquart, où la fiction épouse harmonieusement la réalité pour donner naissance à une conclusion surprenante : si la raison défectueuse est éphémère, l’âme, qui partage le même corps qu’elle et en souffre douloureusement de son état amoindri, garde, malgré tout, son objectivité et son autonomie et clame, tout haut, son droit à être écoutée et jugée autrement pour ne pas être iniquement condamnée à la folie et subir l’injuste sentence d’être irrémédiablement anéantie.

Amal M. Ragheb

Journaliste internationale et écrivaine

amragheb2@gmail.com

(« Je suis fucké dans ma tête, écoute mon âme », de l’auteure de Mémoire, Delphine Jacquart, sera bientôt en vente.)