Arménie – Iran – Inde: un partenariat émergent en Eurasie

Écrit en anglais par Benyamin Poghosian et publié dans The Armenian Mirror-Spectator en date du 27 avril 2023

La transformation en cours de l’ordre mondial a créé des opportunités et des défis pour les pays du monde entier. Le monde unipolaire s’estompe, tandis que les principales caractéristiques de l’ordre mondial qui émergent ne sont pas encore apparentes. Le nouveau monde sera-t-il un espace de coopération entre différents acteurs, ou sera-t-il une jungle, où tous se combattent et où les plus forts prennent tout ? Au milieu de cette ambiguïté stratégique, une tendance est claire : dans les années à venir, voire les décennies, le monde sera confronté à l’instabilité, à une concurrence croissante et à une lutte pour l’hégémonie régionale.

L’Eurasie est l’exemple le plus frappant de cette évolution. La guerre en Ukraine, la rupture complète des relations entre la Russie et l’Occident, les tensions croissantes entre les États-Unis et la Chine et les bouleversements en Afghanistan sont autant de caractéristiques d’un gâchis émergeant.

Parallèlement, alors que les grandes et moyennes puissances luttent pour étendre leur influence, les petits États sont confrontés à des menaces existentielles. L’Arménie est un exemple de petit État dépassé par l’évolution du paysage géopolitique. Avant 2020, l’objectif principal de politique étrangère, de défense et de sécurité arménienne était la Russie. L’Arménie a accueilli une base militaire russe et des troupes frontalières et a adhéré à l’Union économique eurasienne et l’Organisation du traité de sécurité collective. La logique principale derrière cette stratégie étant la conviction qu’une alliance avec la Russie empêcherait la Turquie de s’impliquer directement dans toute future guerre entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan.

Cependant, les dirigeants arméniens n’ont pas réussi à évaluer la nature changeante de la géopolitique dans la région, y compris la transformation des relations russo-turques et le rôle croissant de l’Azerbaïdjan pour la Russie. En conséquence, l’Arménie a subi une défaite lors de la guerre du Haut-Karabagh de 2020, qui a mis en doute son existence même. Cela a ouvert la voie à l’Azerbaïdjan pour de nouvelles incursions en Arménie proprement dite. Depuis la fin de la guerre du Haut-Karabagh de 2020, l’Arménie fait face à une escalade permanente et aux agressions de l’Azerbaïdjan. Cela a entraîné l’occupation de 200 km2 du territoire arménien par l’Azerbaïdjan, l’émergence du concept d’Azerbaïdjan occidental et la pression croissante exercée sur les Arméniens du Haut-Karabagh pour qu’ils acceptent le contrôle azerbaïdjanais ou quittent leur patrie. Les négociations facilitées par la Russie, l’Union européenne (UE), et les États-Unis n’ont pas réussi à instaurer la paix et la stabilité. Simultanément, les actions récentes de l’Azerbaïdjan, y compris l’établissement du point de contrôle du corridor de Latchine, ont prouvé une fois de plus que l’Azerbaïdjan est déterminé à prendre le plus possible et à utiliser pleinement sa victoire durant la guerre de 2020.

Alors que l’Arménie lutte pour faire face à de multiples défis pour sauver le Haut-Karabagh, pour résister à de nouvelles incursions azerbaïdjanaises en Arménie, pour chasser les soldats azerbaïdjanais d’Arménie proprement dite et pour survivre à la confrontation Russie-Occident, il est urgent de réévaluer ses politiques étrangères, de défense et de sécurité. Les anciens schémas ne fonctionnent plus et Erévan doit chercher de nouveaux partenaires et partenariats. L’Arménie était derrière l’Azerbaïdjan dans la participation aux formats de coopération multilatérale, l’Azerbaïdjan ayant lancé avec succès les plates-formes Azerbaïdjan-Géorgie-Turquie et Azerbaïdjan-Iran-Russie. Erévan a fait des efforts pour établir les plateformes de coopération Arménie – Grèce – Chypre (ayant eu la première réunion trilatérale au niveau des ministres des Affaires étrangères en juin 2019) et Arménie – Turkménistan – Iran.

Dans ce contexte, les relations avec l’Iran et l’Inde et la mise en place d’un format de coopération trilatéral offrent une nouvelle opportunité stratégique pour l’Arménie. Les deux pays sont intéressés par une Arménie forte et sont contre la domination turque sur le Caucase du Sud. L’Iran a joué un rôle dans la prévention ou l’arrêt des récentes incursions azerbaïdjanaises en Arménie. Parallèlement, des exercices militaires à grande échelle le long des frontières Iran-Azerbaïdjan en 2021 et 2022 ont envoyé un message à l’Azerbaïdjan selon lequel l’Iran ne peut se limiter uniquement à des déclarations verbales.

L’Inde est un acteur relativement nouveau dans la géopolitique du Caucase du Sud. Cependant, le partenariat stratégique croissant entre l’Azerbaïdjan, la Turquie et le Pakistan et la nécessité de trouver une voie de transit alternative pour atteindre l’Europe en contournant le canal de Suez et la frontière occidentale de la Russie augmentent l’importance du Caucase du Sud.

L’Arménie, elle, a historiquement entretenu des relations amicales avec l’Iran et l’Inde. Erévan a apprécié l’approche équilibrée de l’Iran dans le contexte du conflit du Haut-Karabagh, tandis que l’Inde a toujours été perçue comme un pays et une civilisation amis. Ces dernières années, nous avons également assisté à un partenariat Inde-Iran croissant, y compris des investissements indiens dans la modernisation du port de Chabahar. L’Inde a réussi à obtenir une dispense de sanction pour ses investissements à Chabahar en 2019. L’Inde considérait Chabahar comme une porte d’entrée stratégique pour atteindre l’Asie centrale via l’Afghanistan. La prise de contrôle de l’Afghanistan par les talibans en 2021 a rendu cette route assez compliquée à emprunter. Cependant, Chabahar pourrait lui être vital pour atteindre l’Europe via le corridor du golfe Persique et de la mer Noire.

Dans ce contexte, les consultations politiques trilatérales entre les ministères des affaires étrangères des trois pays, tenues à Erévan le 20 avril 2023, sont de la plus haute importance. Les parties se sont concentrées principalement sur les questions économiques et les canaux de communication régionaux et ont convenu de poursuivre leurs consultations dans un format trilatéral. L’Arménie doit accroître son potentiel dans tous les domaines – économique, militaire et diplomatique. Sinon, elle ne fera que continuer à perdre face à un Azerbaïdjan confiant et affirmé. Alors que le monde entre dans les eaux inconnues de la multipolarité, le partenariat stratégique Arménie – Iran – Inde est un outil précieux pour favoriser les intérêts stratégiques des trois États.

 

Traduction N.P.