Écrit en anglais par Benyamin Poghosian et publié dans The Armenian Mirror-Spectator en date du 26 septembre 2024
De septembre 2020 à septembre 2023, l’Azerbaïdjan en a surpris plusieurs en dehors de l’Arménie en prenant le contrôle de la République autoproclamée du Haut-Karabagh, d’abord durant la guerre de 2020, puis lors d’une opération militaire en septembre 2023. La « libération du Karabagh » a été la pierre angulaire de la politique intérieure et étrangère de l’Azerbaïdjan tout au long de la période post-soviétique et la résolution du conflit selon les conditions de l’Azerbaïdjan est devenue une priorité nationale pour Bakou. Depuis septembre 2023, l’Azerbaïdjan est confronté à un nouveau défi : formuler une nouvelle idée nationale afin de rassembler ses sujets autour de l’élite dirigeante, telle qu’articulée par le président Ilham Aliev lors de sa campagne en vue des élections présidentielles anticipées de février 2024.
Deux axes de la nouvelle politique étrangère qui soutiennent la « nouvelle idée nationale » se dessinent. Le premier pilier est le développement des relations avec le monde turc, présenté comme « la porte d’entrée de l’Asie centrale ». Cela comprend le renforcement des relations avec la Turquie et les pays turcs d’Asie centrale. Ces dernières années, l’Azerbaïdjan a considérablement accru ses interactions avec les républiques d’Asie centrale, notamment en organisant des visites de haut niveau et en renforçant la coopération économique. Le corridor central, une route qui pourrait relier la Chine à l’Europe via le Kazakhstan et l’Azerbaïdjan, est l’un des projets économiques promus conjointement par l’Azerbaïdjan et les républiques d’Asie centrale.
L’Azerbaïdjan a également souligné l’importance de l’Organisation des États turcs. Le président Aliev a souligné l’engagement de l’Azerbaïdjan à renforcer les relations avec les États turcs comme une priorité de la politique étrangère, notamment lors de la réunion avec des responsables parlementaires de Turquie, du Kazakhstan, d’Ouzbékistan, du Kirghizistan, de la République turque de Chypre du Nord (RTCN) et de Hongrie.
Dans ce même discours, Aliev a souligné que le monde turc possédait une grande puissance, avec sa vaste géographie et son potentiel – englobant les voies de transport, les ressources énergétiques, le capital humain et une population croissante – et a appelé à des efforts unifiés pour transformer ce potentiel en une influence mondiale. Ces thèmes ont été réitérés lors du sommet informel des chefs d’État de l’Organisation des États turcs, qui s’est tenu en Azerbaïdjan en juillet 2024.
L’Azerbaïdjan prend des mesures pour relier l’Asie centrale au Caucase du Sud, créant ainsi potentiellement une région Caucase-Caspienne plus vaste et proposant un nouveau modèle d’intégration comme alternative à ceux proposés par l’Union européenne et la Russie. En outre, l’Azerbaïdjan a renforcé sa coopération avec les pays du Sud, en établissant un partenariat stratégique avec la Chine et en demandant officiellement à se joindre aux BRICS (l’organisation intergouvernementale regroupant le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine, l’Afrique du Sud, l’Iran, l’Égypte, l’Éthiopie et les Émirats arabes unis).
Le deuxième pilier de la nouvelle stratégie de politique étrangère de l’Azerbaïdjan est le développement du concept d’« Azerbaïdjan occidental », qui revendique des parties importantes du territoire arménien comme terres azerbaïdjanaises historiques. Ce concept a deux objectifs principaux. Premièrement, il maintient l’Arménie et les Arméniens comme les ennemis extérieurs de la société azerbaïdjanaise, ralliant la population autour du régime du président Aliev. Au cours des 20 dernières années, la promesse de « libérer le Karabagh » a été le principal outil utilisé pour consolider le soutien à Aliev et pour détourner l’attention des problèmes systémiques de l’Azerbaïdjan, tels que la répartition inégale des richesses pétrolières et gazières, la corruption rampante, le manque de libertés politiques et individuelles et les violations constantes des droits de l’homme commises par le régime.
Cependant, depuis la prise de contrôle militaire du Haut-Karabagh en septembre 2023, cette question n’existe plus et le concept d’« Azerbaïdjan occidental » pourrait le remplacer comme nouveau point de ralliement, nécessitant une consolidation autour de la dynastie au pouvoir. Les considérations de politique intérieure ne sont pas la seule motivation derrière ce concept. Le deuxième objectif est géopolitique : créer une « justification » pour de futures attaques contre l’Arménie.
Ces deux visions se rejoignent dans la création d’un monde turc unifié et dans le concept d’Azerbaïdjan occidental. Les dirigeants azerbaïdjanais affirment souvent que le gouvernement soviétique a séparé la région arménienne de Syounik, qu’ils appellent « Zanguezour », de l’Azerbaïdjan et l’a cédée à l’Arménie en 1920. Ainsi, une attaque potentielle contre Syounik en 2025 pourrait se justifier comme une étape vers l’unification du monde turc et la création d’un « Azerbaïdjan occidental ».
Les deux orientations de la nouvelle stratégie de politique étrangère de l’Azerbaïdjan ne prévoient pas de paix avec l’Arménie. C’est pourquoi l’Azerbaïdjan a choisi de faire des déclarations qui signalent des progrès tout en les sapant par des conditions préalables insurmontables dans le cadre de négociations de paix avec Erévan. Les dirigeants azerbaïdjanais ont besoin de l’Arménie comme adversaire pour des raisons de politique intérieure et étrangère. Ces deux orientations peuvent également justifier de nouveaux actes d’agression contre l’Arménie.
Dans les circonstances actuelles, tout en poursuivant ses efforts pour signer un accord de paix avec l’Azerbaïdjan, le gouvernement arménien devrait envoyer un message clair à ses partenaires internationaux sur la probabilité croissante de nouvelles attaques azerbaïdjanaises contre l’Arménie après la Conférence des Nations unies sur les changements climatiques de 2024 (COP29), et sur les implications négatives non seulement pour l’Arménie mais pour toute la région, notamment la mise en péril du potentiel de la région à devenir une plaque tournante du transport. Alors que l’équilibre militaire continue d’être en faveur de l’Azerbaïdjan, malgré les récents accords d’achat d’armes conclus par l’Arménie, le gouvernement arménien devrait évaluer de manière réaliste les capacités et la volonté de ses différents partenaires étrangers à dissuader toute nouvelle agression azerbaïdjanaise et prendre ses décisions de politique étrangère sur la base de ces calculs.
Traduction N.P.