L’Azerbaïdjan prépare le terrain pour une nouvelle escalade à grande échelle en recourant à la désinformation

Écrit en anglais par Johnny Melikian et publié dans The Armenian Mirror-Spectator en date du 23 mars 2024

Johnny Melikian est chercheur principal à l’Institut de recherche Orbeli, à Erévan.

 

Le processus d’établissement d’un monde multipolaire, qui a marqué la fin de la guerre froide, a créé à la fois de nouvelles occasions et de nouveaux risques. Parmi eux, la révision des règles et principes précédemment établis, qui a conduit à un nouveau conflit au cœur de l’Europe. La confrontation Russie-Occident, qui entre dans une nouvelle phase depuis 2014, a également entraîné certains changements dans le Caucase du Sud.

La deuxième guerre du Haut-Karabagh, à l’automne 2020, a modifié le statu quo qui s’était formé au milieu des années 90, juste après la première guerre du Haut-Karabagh. Plus tard, en 2021-2022, à la frontière arméno-azerbaïdjanaise et en septembre 2023 au Haut-Karabagh, nous avons vu encore plus de sang et de souffrance. À la suite de l’agression à grande échelle de deux jours contre la démocratie du Haut-Karabagh, la partie arménienne a subi plus de deux cents morts, parmi lesquels des civils, des femmes et des enfants. À la suite de ce nettoyage ethnique, plus de 100 000 personnes ont été déplacées de force.

Après la guerre de 2020, Bakou a commencé à utiliser le terme « corridor de Zangezour » comme élément de sa stratégie de guerre de l’information, exigeant de l’Arménie qu’elle fournisse un couloir exterritorial à son enclave – Nakhitchevan (et Turkiye). En parallèle, à partir d’août 2022, Bakou a commencé à utiliser d’autres noms, tels que celui de « l’Azerbaïdjan occidental », revendiquant l’ensemble des territoires de la République d’Arménie et faisant référence à la frontière internationalement reconnue entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan comme une « frontière conditionnelle ». » Cette politique est devenue de plus en plus évidente à la suite de l’agression militaire à grande échelle et de l’occupation de plus de 200 kilomètres carrés du territoire arménien en septembre 2022.

Alors que l’Azerbaïdjan devrait accueillir d’ici la fin de cette année la 29e Conférence 2024 des Nations unies sur les changements climatiques COP29, qui sera l’événement international le plus important qu’il ait organisé au cours de ses décennies d’indépendance, ses méthodes agressives se transforment. Reconnaissant qu’au cours des préparatifs de cette conférence, la tactique précédemment employée consistant à faire officiellement pression sur Erévan pourrait entraîner de graves conséquences politiques, voire même l’annulation de l’événement lui-même, l’Azerbaïdjan prépare en fait le terrain pour de nouvelles actions agressives en accusant l’Arménie de tentative d’escalade et de déclenchement des hostilités dans la région de Syounik, située dans le sud du pays.

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Conformément à cette stratégie, Bakou mène une campagne de désinformation, à laquelle participent notamment les médias turcs pro-gouvernementaux. Ils « alarment » l’opinion publique en affirmant que la France et l’Iran « préparent un sabotage » dans la région arménienne de Syounik, en utilisant prétendument des milliers de soi-disant « terroristes ».

Cette tactique reflète l’utilisation antérieure par l’Azerbaïdjan de mercenaires syriens lors de l’agression contre le Haut-Karabagh en 2020 et constitue une tentative de salir l’Arménie par des accusations similaires. L’objectif principal de ces actions est de justifier l’occupation du territoire arménien et d’établir ce qu’on appelle le « corridor de Zangezour ». Bakou prépare le terrain pour une éventuelle invasion des territoires arméniens. Cependant, contrairement aux provocations observées en 2021-2022, elles visent à fabriquer un prétexte informationnel pour leurs futures provocations.

Face à la politique agressive et conflictuelle de Bakou, les mesures prises par le gouvernement de la République d’Arménie pour moderniser les forces armées arméniennes et les remilitariser avec des armes et des équipements purement défensifs semblent plutôt pragmatiques. Le rétablissement de l’équilibre militaro-technique et militaro-politique entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan est la seule garantie du maintien du statu quo actuel et de la stabilité dans la région. Ceci, à son tour, peut conduire à la paix tant attendue. Cependant, les tentatives visant à présenter ces réformes et le processus de réarmement d’un État souverain comme une « tentative d’agression » sont une preuve supplémentaire que les autorités de Bakou n’ont aucun désir de parvenir à la paix et à la stabilité.

Un développement positif important s’est produit avec la décision des États membres de l’UE de créer la Mission de l’Union européenne en Arménie (EUMA), accordant à la région une présence internationale. Le 20 février 2023, Bruxelles, dans le cadre de la politique de sécurité et de défense commune de l’UE, a lancé le déploiement de la mission de l’Union européenne en Arménie (EUMA). Cette mission civile opère sur le territoire de la République d’Arménie pour un mandat de deux ans et comprend actuellement 103 collaborateurs internationaux, avec des plans d’expansion dans les mois à venir. Ces membres du personnel sont originaires des États membres de l’UE et comprennent des experts et des observateurs de l’UE.

Le déploiement de l’EUMA est avantageux pour l’Arménie et pose des défis à l’Azerbaïdjan. Chargée de surveiller les frontières entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, la mission civile va au-delà de la simple surveillance, documentant activement chaque provocation et développement dans la région. Cette approche globale renforce la transparence et la responsabilité, favorisant ainsi la stabilité et la paix dans la région.

Cependant, les tentatives sous tous les formats de négociation et les réunions avec ou sans médiateurs suggèrent que Bakou, soutenu par la Turquie, n’a pas la volonté de rechercher la paix avec l’Arménie. La récente escalade à la frontière les 12 et 13 février 2024, qui a entraîné la mort de quatre soldats arméniens, montre que l’Arménie est menacée d’une nouvelle agression à grande échelle. Après l’occupation, en 2021-2022, de plus de 200 kilomètres carrés de territoires arméniens, l’Azerbaïdjan tente désormais de profiter de cet élan en s’emparant de davantage de territoires souverains de la République d’Arménie. Il n’est pas disposé à revenir à la table des négociations avec un programme positif.

D’autre part, malgré les défis mentionnés ci-dessus auxquels la République d’Arménie est confrontée depuis 2020, Erévan a confirmé à plusieurs reprises son engagement à signer un traité de paix avec l’Azerbaïdjan basé sur les principes du droit international, avec une reconnaissance mutuelle de l’intégrité territoriale et de la souveraineté. L’Arménie réaffirme également qu’elle est prête à assumer une part de responsabilité et à contribuer à l’instauration d’une paix et d’une stabilité à long terme dans la région.

Comme mise en œuvre pratique de cette idée, Erévan a développé et proposé l’initiative du Carrefour arménien, qui a ensuite évolué vers le projet Carrefour de la paix. Cette initiative, qui constitue une mise en œuvre pratique de l’agenda de paix arménien, nécessite le développement ultérieur des communications entre tous les pays de la région au moyen de la rénovation, de la construction et de l’exploitation de routes, de chemins de fer, de pipelines, de câbles et de lignes électriques. Elle repose sur quatre grands principes : la souveraineté et la juridiction des pays, ainsi que la réciprocité et l’égalité. Je crois fermement que si l’Azerbaïdjan rejette un programme agressif, ce projet bénéficiera à tous les habitants de notre région et pourra devenir l’un des piliers de la stabilité régionale et du développement futur.

 

Traduction N.P.