Le Caucase du Sud et l’adhésion de l’Iran à l’OCS

Texte écrit en anglais par Benyamin Poghosian et publié dans The Armenian Mirror Spectator en date du 12 juillet 2023

Alors que la confrontation Russie-Occident se poursuit sans aucun signe de dénouement, de nombreux experts, académiciens et politiciens cherchent à saisir les contours d’un nouvel ordre mondial émergent. Certains pensent qu’en fin de compte, un nouveau monde bipolaire émergera dominé par la Chine et les États-Unis, tandis que la Russie sera forcée de choisir entre ces États en fonction de l’issue de la guerre russo-ukrainienne. Si l’Occident peut imposer une défaite stratégique à la Russie et provoquer un changement de régime, la Russie sera dans le camp de l’Occident contre la Chine. Sinon, le Kremlin sera un partenaire junior de la Chine, fournissant à Pékin des matières premières bon marché et ayant accès aux fonds et technologies chinois.

D’autres soutiennent que le futur ordre mondial sera multipolaire, sans alliances fixes, et que plusieurs acteurs clés poursuivront une coopération temporaire les uns avec les autres en fonction des besoins à court terme. Une chose est claire : la finalisation du nouvel ordre mondial prendra des années et des décennies, et d’ici là, l’instabilité et l’ambiguïté stratégique seront les principales caractéristiques internationales.

Pendant ce temps, plusieurs organisations non occidentales continuent d’accroître leur pouvoir et leur potentiel, conformément au schéma stratégique d’un transfert de pouvoir de l’Occident vers l’Orient. L’Organisation de coopération de Shanghai (OCS) fait partie de ces nouveaux regroupements. L’organisation a été créée en 2001 et était perçue comme un outil de gestion des relations russo-chinoises en Asie centrale. À cette époque, la Chine était encore une puissance régionale émergente, tandis que la Russie cherchait des moyens de coopérer avec l’Occident. Cependant, au cours des 10 à 15 dernières années, l’OCS a pris un élan supplémentaire en tant que l’un des pôles émergents de l’ordre mondial en mutation, ajoutant à ses fonctions essentielles, la coopération économique et les activités antiterroristes.

L’étape importante pour l’organisation a été l’adhésion à part entière de l’Inde et du Pakistan, qui a transformé l’OCS en un acteur régional important en Asie, jouant le rôle d’une autre plate-forme de discussions entre la Russie, la Chine et l’Inde, aux côtés des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) et les dialogues trilatéraux Russie-Chine-Inde. L’Inde fait attention à ne pas être associée à quoi que ce soit d’anti-occidental, car elle souhaite poursuivre son partenariat stratégique avec les États-Unis. Cependant, l’Inde ne souhaite pas non plus le retour à un monde unipolaire dominé par les États-Unis, ni ne souhaite se retrouver dans une nouvelle guerre froide bipolaire entre les États-Unis et la Chine, où elle devra choisir entre Washington et Pékin.

Dans ce contexte, l’adhésion à part entière de l’Iran à l’OCS, finalisée lors du sommet de juillet 2023, insufflera un élan supplémentaire à l’organisation, en faisant d’elle un vecteur plus puissant de coopération et de dialogue en Asie. Compte tenu des tensions entre Téhéran et Washington, l’adhésion de l’Iran pourrait ajouter plus de schémas anti-occidentaux à l’organisation. Cependant, l’Inde et les républiques d’Asie centrale veilleront à ne pas franchir la frontière entre la promotion de la coopération régionale et la poursuite d’une politique anti-occidentale flagrante. Pendant ce temps, comme l’Iran entretient des relations amicales avec la Russie, la Chine et l’Inde, son adhésion à l’OCS peut jouer un rôle positif dans l’équilibre des intérêts de ces trois mastodontes.

L’adhésion de l’Iran à l’OCS aura également un impact sur la géopolitique régionale du Caucase du Sud. Cette région émerge progressivement comme l’un des principaux domaines de confrontation américano-russe dans le monde post-soviétique, alors que Washington cherche à y diminuer l’influence et la présence de la Russie. La Russie est également confrontée à une concurrence accrue de la Turquie alors qu’Ankara fait progresser son partenariat stratégique avec l’Azerbaïdjan et la coopération trilatérale Azerbaïdjan-Géorgie-Turquie.

Pendant ce temps, l’Iran s’inquiète de plus en plus de la diminution potentielle du rôle de la Russie dans la région, car pour les Iraniens, une Russie plus faible signifie des États-Unis plus affirmés. L’Iran et la Russie ont toujours des positions contradictoires basées sur une méfiance historique, des intérêts divergents en Syrie et des différences dans leur approche face à Israël. Cependant, comme l’Iran reste le principal adversaire d’Israël et que les relations Iran-États-Unis sont en mode discrétion, la Russie et l’Iran sont intéressés par une diminution de l’influence et de la présence américaines dans la région, ce qui est également lié aux activités turques dans le Caucase du Sud.

Dans ce contexte, l’adhésion à part entière de l’Iran à l’OCS accroît la présence de l’organisation dans la région, alors que la Russie embrasse le Caucase du Sud par le nord, tandis que l’Iran l’encercle par le sud. L’adhésion de l’Iran à l’OCS pourrait également affecter les négociations en cours entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan et l’avenir du Haut-Karabagh. L’Azerbaïdjan poursuit une politique de puissance, rejetant toute possibilité de présence internationale en Artsakh et tout droit spécial pour les Arméniens tout en les menaçant de nouvelles attaques si Erévan ne signe pas un accord de paix basé sur les conditions azerbaïdjanaises.

Dans l’intervalle, le processus de normalisation Arménie-Azerbaïdjan et Arménie-Turquie aura un impact régional, car il peut réduire l’influence russe sur Erévan et déclencher une poussée progressive de la Russie hors d’Arménie. Cependant, le principal problème pour l’Arménie n’est pas tant le processus de normalisation lui-même que le fait qu’à partir de maintenant, tout accord n’est possible que si l’Arménie accepte les demandes azerbaïdjanaises tout en abandonnant toute exigence tangible de garantie des droits des Arméniens au Haut-Karabagh. En ce sens, la présence accrue de l’OCS autour du Caucase du Sud pourrait donner à l’Arménie un levier supplémentaire durant le processus de négociation afin de contrer les demandes azerbaïdjanaises et envoyer un message aux partenaires occidentaux selon lequel Erévan possède des options alternatives.

 

Traduction N.P.