Le lobby anti-arménien turc s’étend à la ville d’Armenia en Colombie

Éditorial écrit en anglais par Harout Sassounian et publié dans The California Courier en date du 16 juillet 2019

Le site Internet de Breitbart (média politique des États-Unis) a publié un article de Frances Martel décrivant les pressions déployées par la Turquie dans la ville colombienne d’Armenia, fondée en 1889 et s’appelant à l’origine Villa Holguín. Selon Wikipedia, la ville d’Amérique du Sud a changé de nom et s’appelle désormais Armenia « à la mémoire du peuple arménien assassiné par les turcs Ottomans lors des grands massacres de 1894-1897, puis du génocide arménien de 1915-1923 » attribuant l’origine du nom de la ville à l’Arménie.
Ece Ozturk Cil, ambassadeur de Turquie à Bogota, en Colombie, a envoyé deux lettres, les 14 décembre 2018 et 11 janvier 2019, au maire d’Armenia, l’invitant, ainsi que 10 membres du conseil municipal, à se rendre en Turquie comme invités officiels du gouvernement turc.
Le 3 février 2019, lors d’une séance spéciale tenue un dimanche soir, le Conseil municipal d’Armenia a approuvé, par 12 voix contre 6, la visite du maire Oscar Castellanos et de neuf membres du conseil municipal en Turquie, entre le 6 et le 13 février 2019. Pendant le voyage, le maire et les membres du conseil municipal d’Armenia ont rencontré les maires d’Istanbul et d’Ankara, le président du Parlement turc, ainsi que le centre d’études sur l’Amérique latine de l’université d’Ankara. Ils ont aussi rencontré des hommes d’affaires turcs et visité la Mosquée Bleue et le Grand Bazar.
Le voyage a généré une controverse importante en Colombie. De nombreux habitants de la ville d’Armenia se sont opposés à cette visite en raison de l’absence du maire et des neuf membres du conseil municipal à un moment où la ville est en plein désarroi économique et mal gérée. Cinq maires d’Armenia ont été évincés au cours des trois dernières années pour corruption. Les citoyens ont estimé que le nouveau maire aurait dû rester à la maison et s’occuper des affaires de la ville. Le procureur général régional a ouvert une enquête sur le voyage en Turquie pour examiner les violations commises par le maire et les membres du conseil. Il faudrait également enquêter pour déterminer quels pots-de-vin ou cadeaux ont été reçus de leurs « généreux » hôtes turcs lors de cette visite.
La publication colombienne locale Semana a confirmé le lien entre Armenia, la Turquie et le génocide: «… il s’avère que le conseil municipal d’Armenia a décidé, par l’entente 08-2014, de reconnaître le génocide arménien et a declaré le 24 avril date officielle de commémoration, en solidarité avec le pays qui porte le même nom que la ville colombienne. Par la suite, le Conseil a ratifié ce lien dans le procès-verbal 075-2015, par lequel il a cherché à établir des liens d’amitié avec la République d’Arménie… »
En réponse à la reconnaissance du génocide arménien, Semana explique que « tout semble indiquer que cette invitation du gouvernement turc a pour toile de fond de fournir aux membres du conseil une autre version d’un épisode historique douloureux qui indique que ce pays est responsable du génocide. »
Semana rapporte : « Comme on s’en souviendra, ce que l’on appelle aujourd’hui le génocide arménien a eu lieu en 1915 durant la Première Guerre mondiale et bien que les chiffres soient encore en discussion, on parle d’un minimum de 300 000 et d’un maximum de 1,5 million de morts. Les victimes de cette extermination sont le peuple arménien et désignent comme bourreau l’empire ottoman turc, la Turquie d’aujourd’hui ».
Semana se demande également si ce voyage en Turquie des responsables de la ville pouvait entrainer l’annulation de la reconnaissance du génocide arménien.
Entre-temps, le seul nouveau développement depuis le voyage est une murale représentant un homme vêtu de vêtements de l’époque ottomane juste à côté du bâtiment du conseil municipal d’Armenia. Breitbart a déclaré que la peinture murale n’avait « aucune corrélation historique avec la ville » et « déroutait et énervait de nombreux habitants… Le journal régional La Crónica de Quindío a rapporté que les habitants semblaient déconcertés, voire outrés, par la coûteuse fresque murale, qu’ils jugent hors de propos pour leur patrimoine. »

Breitbart a rapporté d’après La Cronica, les propos d’une femme de la région, Maricela Montes : « Je ne comprends pas vraiment ce qu’Armenia a à faire avec la Turquie. Je pense que ce dont ils ont besoin c’est de rembourser des faveurs pour ce petit voyage… Il n’est pas logique que quelque chose comme cela soit peint sur une si jolie bâtisse. »
Le journal a cité un autre habitant qui aurait déclaré ne pas être fâché, mais simplement « déconcerté ». Jorge Jaramillo a confié à La Cronica: « Nous sommes étonné parce que nous ne comprenons pas ce qu’un sultan a à voir avec Armenia. Qu’est-ce qui nous arrive ? S’il vous plaît, des politiciens sérieux doivent prendre les rênes de cette ville. C’est vraiment horrible pour notre métropole. » Le conseiller municipal Luis Guillermo Agudelo a déclaré à quotidien El Tiempo : « La murale est une absurdité… C’est un bâtiment public qui a une connotation très importante… C’est là que se trouvait notre galerie, et maintenant, elle change totalement d’identité. »
El Tiempo a rapporté que « le conseil n’envisage pas seulement des faveurs culturelles envers la Turquie. Ils discutent maintenant ouvertement de la déclaration de 2014 adoptée par la ville pour reconnaître le génocide arménien », a déclaré Breitbart.
Jusqu’à présent, l’invitation turque s’est retournée contre la Turquie car elle a suscité de nombreuses discussions sur le génocide arménien dans les médias colombiens et a causé des problèmes juridiques pour le maire et le conseil municipal.
Il incombe à l’ambassadeur de la République arménienne au Brésil, également accrédité en Colombie, de prendre immédiatement des mesures pour contrer les efforts de lobbying déployés par la Turquie. Une action similaire doit être entreprise par les communautés arméniennes d’Amérique du Sud. Ils devraient également veiller à ce que le conseil municipal n’efface pas sa décision antérieure de reconnaître le génocide arménien et se débarrasse de sa murale ottomane.

 

Traduction N.P.