Le Parlement et le Sénat ottomans ont reconnu en 1918 « les massacres arméniens »

Écrit en anglais par Harout Sassounian en date du 4 avril 2023

J’ai écrit un article en janvier 2016, intitulé : « La Turquie a été le premier pays à reconnaitre le génocide arménien en 1918 ». La plupart des gens ne savent néanmoins toujours pas que « les massacres arméniens » ont été discutés et reconnus par le Parlement et le Sénat ottomans en 1918.

Plus récemment, deux membres arméniens du Parlement turc, Selina Dogan et Garo Paylan, ont soulevé la question du génocide arménien au Parlement le 14 janvier 2016. En novembre 2014, le député Sebahat Tuncel a soumis au Parlement turc une résolution sur le génocide arménien demandant à Erdogan de présenter des excuses, de déclarer le 24 avril Journée de deuil officiel, de rendre publics les documents des archives turques concernant les crimes de masse et de verser une restitution matérielle et morale aux descendants des victimes. La résolution proposée a été ignorée par le Parlement turc.

Depuis la rédaction de mon article de 2016, je suis tombé sur une analyse détaillée rédigée par le professeur Ayhan Aktar dans le History Workshop Journal, intitulée : « Débattre des massacres arméniens devant le dernier parlement ottoman, novembre-décembre 1918 ». Ce débat a eu lieu après la défaite de l’Empire ottoman lors de la Première Guerre mondiale et l’occupation de Constantinople (Istanbul) par les pays alliés victorieux.

Au cours des deux derniers mois de 1918, le Parlement ottoman a discuté durant plusieurs jours du génocide arménien, qualifié à l’époque de massacres. Une motion a été présentée qui révélait : « Une population d’un million de personnes coupables de rien sauf d’appartenir à la nation arménienne ont été massacrées et exterminées, y compris même des femmes et des enfants ». En réponse, le ministre de l’Intérieur Ali Fethi Okyar avait déclaré : « L’intention du gouvernement est de remédier à toutes les injustices commises jusqu’à présent, dans la mesure des moyens, de rendre possible le retour dans leurs foyers des personnes exilées, et compenser leur perte matérielle dans la mesure du possible…. Oui, Messieurs, je dis aussi que nos fonctionnaires ont massacré de nombreux Arméniens, y compris des femmes et des enfants et que leurs biens ont été pillés ».

Une commission d’enquête parlementaire a été mise en place pour rassembler tous les documents pertinents montrant les actions des responsables des « déportations et massacres des Arméniens ». Les preuves ont été remises au tribunal militaire turc et les personnes reconnues coupables ont été pendues ou condamnées à de longues peines de prison.

Voici quelques extraits de l’article d’Aktar : « La discussion sur les massacres arméniens au Parlement ottoman a commencé par des motions demandant des comptes aux gouvernements d’Union et Progrès. Lorsque le 4 novembre 1918, le Parlement ottoman s’est réuni à Istanbul, les tentatives politiques pour retrouver les auteurs ont commencé avec la première motion, déposée par le député Baghdat-Divaniye Fouad Bey quelques jours plus tôt. Cela exigeait que les membres des cabinets Sait Halim Pacha et Talaat Pacha soient jugés par la Haute Cour… La clause 10 [de la requête] faisait directement référence aux déportations arméniennes et au Techkilat-i Mahsusa (Organisation spéciale), une armée irrégulière organisée par la direction du Comité Union et Progrès (CUP) qui avait perpétré des déportations et des massacres.

Certains des parlementaires qui appartenaient à la vieille garde des Unionistes, majoritaires au parlement, sans nier les massacres arméniens, ont invoqué des excuses similaires à celles du gouvernement turc actuel, affirmant que des Turcs avaient également été tués durant cette période.

Six députés arméniens du parlement ont présenté une motion demandant que « la décision de déportation du 27 mai 1915 et le décret du 27 septembre 1915 concernant l’expropriation des propriétés et des immeubles abandonnés soient révoqués, et que les déportés soient autorisés à rentrer. La motion affirmait en outre que les mesures administratives facilitant le partage entre notables locaux des biens ayant appartenu aux Arméniens déportés allaient totalement à l’encontre de l’esprit de la Constitution ottomane de 1876 ».

En réponse aux accusations selon lesquelles certains Arméniens du front de l’Est s’étaient rebellés contre l’Empire ottoman, le député arménien Matyos Nalbandian a répondu : « Même si certains Arméniens avaient commis des actes illégaux, cela justifie-t-il « le déplacement et l’extermination de tous les Arméniens » et « la confiscation et le pillage de leurs propriétés ? » Nalbandian faisait également une distinction entre les Turcs tués sur le front de guerre et les civils arméniens innocents qui ont été massacrés.

Une discussion similaire a eu lieu devant le Sénat ottoman le 21 novembre 1918. Ahmet Riza Bey y a présenté une motion exigeant que « les atrocités commises sous le nom de déportation fassent l’objet d’une enquête, que l’impact négatif dans tout le pays soit analysé, et que ceux qui impliqués dans ces affaires soient poursuivis.

L’ancien gouverneur et ministre de l’Intérieur, Reshit Akif Pacha, a déclaré que son enquête indiquait que « ces ordres d’expulsion avaient été donnés par le célèbre ministre de l’Intérieur (Talaat Pacha) et officiellement communiqués aux gouverneurs des provinces ».

Le 9 décembre 1918, le ministre de la Justice Haydar Molla a déclaré devant le Sénat ottoman que les crimes contre les Arméniens avaient été commis par des fonctionnaires, des politiciens et des Turcs ordinaires.

Fait important, aucun des députés, quelle que soit leur affiliation à un parti ou leur origine, n’a nié l’existence de la déportation et des massacres d’Arméniens.

Le 21 décembre 1918, le Parlement ottoman a été dissous par Mehmed Vahdettin, le dernier sultan de l’Empire ottoman. « Lorsque le Parlement s’est finalement réuni avec les députés nouvellement élus le 12 janvier 1920, il était dominé par les partisans du mouvement de résistance qui s’était développé en Anatolie, sous la direction de Mustafa Kemal Pacha (plus tard Atatürk) », écrit Aktar.

Les tribunaux militaires turcs de 1919-1920 ont jugé et condamné à mort par contumace les cerveaux des massacres arméniens, Enver, Djemal et Talaat, les dirigeants des Jeunes Turcs qui avaient fui le pays.

 

Traduction N.P.