Écrit en anglais par Benyamin Poghosian et publié dans The Armenian Mirror-Spectator en date du 3 décembre 2023
La question la plus posée après la prise de contrôle militaire du Haut-Karabagh par l’Azerbaïdjan est peut-être la suivante : pourquoi n’y a-t-il pas d’accord de paix entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan ? Le statut et l’avenir du Haut-Karabagh sont les pierres angulaires du conflit depuis la fin des années 1980. Les positions des parties étaient trop éloignées les unes des autres pour laisser espérer un compromis. Les Arméniens étaient convaincus que le Haut-Karabagh ne pouvait pas faire partie de l’Azerbaïdjan, car ils ne pouvaient pas vivre sous juridiction azerbaïdjanaise. Les Azerbaïdjanais étaient convaincus, eux, que le Haut-Karabagh devait faire partie de l’Azerbaïdjan.
La situation n’a changé qu’en octobre 2022, lorsque le Premier ministre arménien a signé une déclaration à Prague reconnaissant le Haut-Karabagh comme faisant partie de l’Azerbaïdjan. Il semblait que le changement radical de la position de l’Arménie ouvrirait enfin la voie à une normalisation entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan. L’Arménie accepterait que le Haut-Karabagh fasse partie de l’Azerbaïdjan, tandis que l’Azerbaïdjan fournirait des garanties de sécurité aux Arméniens du Haut-Karabagh. Cependant, seule la première partie de l’équation était réelle. L’Arménie a reconnu le Haut-Karabagh comme faisant partie de l’Azerbaïdjan et a même abandonné toute demande d’autonomie. De l’autre, l’Azerbaïdjan a imposé un blocus au Haut-Karabagh et a lancé, en septembre 2023, une offensive militaire, obligeant l’ensemble de la population arménienne de la région à quitter son pays.
Néanmoins, alors que plus de cent mille Arméniens entraient en Arménie, de nombreux membres de la communauté internationale espéraient que l’ère de la paix arriverait enfin, et leur logique était claire. La question du Haut-Karabagh et l’avenir des Arméniens constituent les principaux obstacles à la normalisation des relations entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan. La République du Haut-Karabagh étant détruite, rien ne pourrait empêcher l’Arménie et l’Azerbaïdjan de signer un accord de paix. Cela ouvrirait alors la voie à une normalisation des relations entre l’Arménie et la Turquie et la géopolitique du Caucase du Sud serait modifiée.
Tout le monde a commencé à parler d’un traité de paix entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan d’ici la fin de 2023. Cela a évoqué un sentiment de déjà vu, car à l’automne 2022, des discussions intenses ont eu lieu sur la possibilité de signer l’accord de paix entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan d’ici la fin de 2022. Pourtant, fin septembre 2023, nombreux étaient ceux qui étaient sûrs que rien ne pourrait cette fois empêcher la paix. Cependant, en octobre-novembre 2023 tout a changé. Début décembre 2023, personne ne parlait plus d’un accord de paix d’ici fin 2023 ; Qui plus est, personne ne savait quand et où les négociations entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan pourraient reprendre.
Il règne une confusion en Occident alors que les gens cherchent à comprendre ce qui se passe. En apparence, la raison derrière ces développements est le rejet par l’Azerbaïdjan des plates-formes de négociation occidentales. Soudainement, l’Azerbaïdjan a compris que l’UE et les États-Unis, en tant qu’acteurs extérieurs, n’apportaient que chaos et instabilité dans le Caucase du Sud. Simultanément, l’Azerbaïdjan laisse entendre que la signature d’un accord de paix à l’occidentale irriterait la Russie et l’Iran et ne souhaite pas aggraver ses relations avec ces États puissants, qui auront une influence significative dans la région dans un avenir proche. L’Azerbaïdjan propose désormais de reprendre les négociations à Moscou ou d’avoir des pourparlers directs, sans aucun médiateur, soit en Géorgie, soit près de la frontière entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan.
L’Arménie évite la plateforme russe, car les relations entre l’Arménie et la Russie se détériorent rapidement et l’Arménie ne veut pas de négociations directes. L’Arménie a besoin de garants qui empêcheront toute violation de l’accord de paix par l’Azerbaïdjan.
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Toutefois, les différences en matière de localisation ne représentent que la pointe de l’iceberg. La raison principale de l’effondrement soudain du processus de négociation est que l’Azerbaïdjan n’est intéressé par aucun accord de paix avec l’Arménie, même s’il satisfaisait toutes ses exigences en matière d’enclaves et de couloirs. Depuis que le président Aliev a hérité du pouvoir de son père en 2003, il a utilisé le conflit du Haut-Karabagh, notamment l’idée de la restitution de Chouchi, comme une idée unificatrice afin de rallier la population azerbaïdjanaise autour de lui. La stratégie était simple : il y avait de nombreux problèmes en Azerbaïdjan, depuis d’énormes inégalités et une corruption endémique jusqu’au manque de libertés fondamentales. Cependant, il a été demandé à la société de les oublier et de se rallier au leader qui a promis de hisser le drapeau azerbaïdjanais à Chouchi. Cette promesse semblait être un fantasme en 2003, mais la majeure partie de la société a accepté cet accord.
Puis, 17 ans plus tard, les troupes azerbaïdjanaises sont entrées dans Chouchi. Ils y ont hissé un drapeau et, en 2023, tous les Arméniens ont été contraints de quitter le Haut-Karabagh. Le président Ilham Aliev a reçu un défilé militaire à Stepanakert à l’occasion du 20e anniversaire de sa première élection à la présidence. Le président Aliev semble avoir tenu ses promesses et sera perçu à jamais comme un héros national, assurant ainsi sa position et celle de sa famille en tant que dirigeants de l’Azerbaïdjan durant des décennies.
Cependant, comme toujours, il existe deux faces à la médaille. Beaucoup, sinon tous, en Azerbaïdjan perçoivent le président Aliev comme un héros national. Cependant, une fois l’accord de 2003 conclu, tôt ou tard, les gens commenceront à se poser des questions sur les inégalités, la corruption endémique, le manque de libertés fondamentales et d’autres problèmes qui ravagent l’Azerbaïdjan.
Pour empêcher cette évolution, le président Aliev a besoin d’une nouvelle idée unificatrice qui rallierait la population derrière lui, comme l’a fait l’idée de hisser le drapeau azerbaïdjanais à Chouchi en 2003, et qui obligerait la société azerbaïdjanaise à tolérer les problèmes multiformes de l’Azerbaïdjan actuel. Les dirigeants azerbaïdjanais ont décidé que la nouvelle idée serait la vision d’un « Azerbaïdjan occidental ». Actuellement, l’idée manque de clarté : cela implique-t-il de hisser des drapeaux azerbaïdjanais dans les villes arméniennes, y compris à Erévan, ou envisage-t-il le « retour pacifique des Azerbaïdjanais en Arménie », où ils vivront en tant que citoyens arméniens ?
Cependant, malgré le manque de clarté sur les détails, le grand projet est là : la société azerbaïdjanaise devrait se rallier au président Aliev et à sa famille au cours des 20 prochaines années pour réaliser un autre rêve national, comme elle l’a fait en 2003 et a réalisé son rêve d’avoir des drapeaux azerbaïdjanais à Chouchi et dans d’autres villes du Haut-Karabagh. De plus, dans ce contexte, l’accord de paix avec l’Arménie ne fera qu’entraver le processus.
Même le meilleur accord de paix donnerait à l’Azerbaïdjan de soi-disant enclaves, établirait un accès terrestre direct avec elles, créerait le « corridor de Zangezour » et tuerait « le rêve d’un Azerbaïdjan occidental ». Ainsi, l’Azerbaïdjan, ou du moins ses dirigeants actuels, n’a pas besoin d’un accord de paix avec l’Arménie ; plus encore, un accord de paix avec l’Arménie pourrait créer d’importants problèmes au cours des 20 prochaines années.
Traduction N.P.