Écrit en anglais par Benyamin Poghosian et publié dans The Armenian Mirror-Spectator en date du 21 août 2024
La guerre du Haut-Karabagh en 2020 et le début du conflit russo-ukrainien en février 2022 ont considérablement perturbé le statu quo dans le Caucase du Sud, propulsant la région au centre de rivalités de pouvoir régionales et mondiales. À divers degrés, la Russie, les États-Unis, l’Union européenne, la Turquie, l’Iran, Israël, la France, l’Inde, la Chine et le Pakistan sont impliqués dans le Caucase du Sud, créant un lien complexe d’intérêts qui se chevauchent, divergent et façonnent le présent et l’avenir du contexte géopolitique de la région. Ces dernières années, les États-Unis et l’Union européenne ont accru leur présence dans le Caucase du Sud. Cependant, un changement potentiel de gouvernance à Washington et les changements de priorités dans le prochain cycle législatif de l’UE pourraient modifier considérablement leur engagement dans la région.
L’administration Biden a poursuivi son engagement actif dans le Caucase du Sud. Les États-Unis ont été l’un des principaux médiateurs dans les négociations entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, organisant plusieurs réunions entre les ministres des Affaires étrangères arménien et azerbaïdjanais à Washington de 2022 à 2024 et la rencontre entre le premier ministre Nikol Pachinian et le président Ilham Aliev en février 2023 à Munich. L’engagement des États-Unis envers l’Arménie s’est également accru, s’alignant sur les efforts plus larges de l’administration pour soutenir la démocratie dans le monde entier. La confrontation entre les États-Unis et la Russie a encore influencé leur politique dans la région, car Washington considère le processus de paix entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan et la normalisation entre l’Arménie et la Turquie comme un outil pour réduire la dépendance des pays du Caucase du Sud et d’Asie centrale à l’égard de la Russie.
À l’approche des élections présidentielles américaines de novembre 2024, l’impact potentiel sur la politique étrangère américaine dans le Caucase du Sud ne peut être surestimé. En cas de victoire de Kamala Harris, la candidate du parti démocrate, il est peu probable que la politique étrangère américaine subisse des changements radicaux, même si un intérêt durable pour le Caucase du Sud n’est pas garanti.
En cas d’une seconde présidence Trump, la situation devient plus incertaine. De nombreux experts trouvent difficile d’évaluer la politique étrangère de Trump, en particulier ses vues sur le Caucase du Sud. Cependant, l’opinion dominante est que l’implication américaine dans le Caucase du Sud diminuerait probablement sous l’administration Trump. Les principaux moteurs de l’approche de l’administration Biden – le soutien à la démocratie et la lutte contre la Russie – pourraient ne pas être aussi pertinents pour une administration Trump.
Le Caucase du Sud, y compris l’Arménie, devrait se préparer à l’éventualité d’une participation réduite des États-Unis. Ce changement pourrait se produire rapidement si Trump revenait à la Maison Blanche en janvier 2025, ce qui nécessiterait une préparation proactive de la part de la région.
L’Union européenne a accru son implication dans le Caucase du Sud à la suite de la guerre du Haut-Karabagh en 2020. Bogdan Aurescu, ministre roumain des Affaires étrangères, Alexander Schallenberg, ministre autrichien des Affaires étrangères, et Gabrielius Landsbergis, ministre lituanien des Affaires étrangères, ont effectué une tournée régionale dans le Caucase du Sud du 24 au 26 juin 2021 en tant qu’envoyés spéciaux de Josep Borrell, haut représentant de l’UE pour les Affaires étrangères et la politique de sécurité. Le commissaire européen chargé du voisinage et de l’élargissement, Olivér Várhelyi s’est rendu dans le Caucase du Sud du 6 au 9 juillet 2021 pour discuter des relations de l’UE avec la région. En outre, le président du Conseil européen Charles Michel s’est rendu dans la région du 17 au 19 juillet 2021.
Avant la guerre du Haut-Karabagh en 2020, l’Union européenne n’était pas directement impliquée dans le processus de négociation entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan. Fin 2021, l’UE a établi le format de négociations de Bruxelles. Les dirigeants arméniens et azerbaïdjanais ont tenu six réunions facilitées par le président du Conseil européen Charles Michel (en décembre 2021, avril, mai et août 2022, mai et juillet 2023). Par ailleurs, deux réunions ont eu lieu en marge des sommets de la Communauté politique européenne (octobre 2022 et juin 2023). À la suite de ces réunions, l’Arménie et l’Azerbaïdjan ont déclaré reconnaître leur intégrité territoriale respective conformément à la déclaration d’Alma-Ata de 1991, et l’UE a lancé une mission d’observation à court terme en Arménie en octobre 2022. Une mission ultérieure de deux ans a commencé son mandat en février 2023.
L’UE et l’Arménie ont entamé un dialogue visant à renforcer et à approfondir les relations entre l’UE et l’Arménie après les retombées de la crise du Haut-Karabagh en septembre 2023. En février 2024, elles ont lancé les travaux sur le nouveau programme de partenariat UE-Arménie. L’UE a accepté d’entamer un dialogue sur la libéralisation des visas et a fourni un soutien de 10 millions d’euros par le biais de la Facilité européenne pour la paix. L’UE a également considérablement accru son engagement envers la Géorgie, en accordant à Tbilissi le statut de candidat en décembre 2023.
Cependant, le rôle futur de l’UE dans la région demeure flou. L’UE a besoin d’une politique régionale plus cohérente, car les différents États membres poursuivent des objectifs différents. Cette divergence d’intérêts et la nature des relations avec les trois pays de la région ont empêché l’UE de développer une stratégie unifiée pour le Caucase du Sud, comme l’a soutenu l’APRI Arménie dans son rapport de recherche.
Les orientations politiques d’Ursula von der Leyen pour la prochaine Commission européenne (2024-2029), qui mettent l’accent sur les Balkans occidentaux, l’Ukraine et la région méditerranéenne, excluent le Caucase du Sud. Cela pourrait indiquer un intérêt moindre de l’UE pour la région. À la suite de l’adoption de la loi sur l’influence étrangère en Géorgie, les tensions croissantes avec le gouvernement du Rêve géorgien pourraient éloigner davantage l’UE de la région.
En conséquence, il est probable que l’implication et l’intérêt des États-Unis et de l’UE dans le Caucase du Sud diminueront dans les années à venir par rapport à leur engagement actif de 2021 à 2024. La question se pose alors de savoir quelles puissances bénéficieraient de cet éventuel vide. Ce vide pourrait être comblé par la Russie, la Turquie et l’Iran, les positionnant ainsi comme les principales puissances façonnant l’avenir de la région.
Cela pourrait correspondre aux intérêts stratégiques de l’Azerbaïdjan, dans la mesure où Bakou ne souhaite pas voir une présence occidentale croissante dans la région, tout en s’appuyant sur son alliance avec la Turquie, en renforçant sa coopération avec la Russie et en établissant un partenariat stratégique avec la Chine. Cela pourrait créer des complications pour la Géorgie qui, malgré les tensions croissantes avec l’Occident, ne veut rompre tous ses liens avec les États-Unis et l’UE, les considérant comme des partenaires pour sa politique étrangère équilibrée.
Cette configuration future pourrait être un défi pour l’Arménie de continuer à poursuivre son « pivot vers la politique mondiale », comme l’a inventé Armen Grigorian, secrétaire du Conseil de sécurité lors du Forum APRI 2024. Le gouvernement arménien devrait se préparer à ce scénario dans sa planification d’urgence en élaborant une stratégie d’interaction avec le Sud global, en activant les contacts avec les nouveaux dirigeants iraniens et en s’adressant aux partenaires occidentaux pour une meilleure compréhension de l’avenir de leur politique dans la région au-delà de 2024.
Traduction N.P.