Ni guerre ni paix dans le Caucase du Sud

Écrit en anglais par Benyamin Poghosian et publié dans The Armenian Mirror-Spectator en date du 12 février 2024

 

Depuis 2020, le Caucase du Sud est entré dans une ère de turbulences actives. La principale raison était la décision azerbaïdjanaise de recourir à la force militaire pour « résoudre le conflit du Haut-Karabagh ». L’Azerbaïdjan a déclenché la guerre en 2020, a lancé des incursions en Arménie proprement dite en mai et novembre 2021 et septembre 2022 et a imposé un blocus au Haut-Karabagh en décembre 2022. Le point culminant de cette stratégie a été l’attaque militaire de septembre 2023 contre le Haut-Karabagh ce qui a entraîné le déplacement forcé d’environ 105 000 Arméniens et la dissolution de la République autoproclamée du Haut-Karabagh.

Même après la prise totale du Haut-Karabagh, l’Azerbaïdjan poursuit sa politique de menaces et de pressions envers l’Arménie avec une liste d’exigences en constante évolution. Bakou soutient au plus haut niveau le concept de ce qu’on appelle « l’Azerbaïdjan occidental ». Il espère un couloir extraterritorial depuis l’Arménie et déclare qu’il ne retirera pas ses troupes des territoires arméniens occupés, rejette l’offre de l’Arménie de signer un pacte de non-agression et continue d’exiger des changements dans la constitution arménienne et d’autres lois.

Le président de l’Azerbaïdjan a déclaré publiquement que le droit international ne fonctionne pas et que la force brutale et le recours aux moyens militaires sont devenus le seul moyen pour les États d’atteindre leurs objectifs. Immédiatement après sa victoire aux élections présidentielles anticipées du 7 février 2024, le président Ilham Aliev a visité les installations militaires de l’armée de l’air et a assisté au survol du véhicule aérien de combat sans pilote Akinci, d’une portée de 7 500 km et une masse maximale au décollage de plus de 5,5 tonnes, dont plus de 1 350 kg de charge utile.

La guerre du Haut-Karabagh en 2020 constitue une violation flagrante de l’un des trois principes convenus par les coprésidents du Groupe de Minsk de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) au cours de plus de deux décennies de négociations : ne pas recourir à la force ou à la menace de la force. L’incursion de septembre 2022 en Arménie était contraire à l’esprit des négociations au format de Bruxelles, et l’attaque de septembre 2023 contre le Haut-Karabagh était une violation flagrante des demandes publiques de l’Union européenne (UE) et des États-Unis de ne pas recourir à la force contre le Haut-Karabagh.

Cependant, ni l’un ni l’autre de ces derniers n’a donné suite à son avertissement public des répercussions pour punir l’Azerbaïdjan pour ces violations. Le président du Conseil européen Charles Michel a plutôt félicité le président Aliev pour sa victoire lors des élections anticipées du 7 février, envoyant ainsi le message que l’UE « a oublié ou pardonné » le comportement de l’Azerbaïdjan et est prête à poursuivre le partenariat stratégique avec ce pays.

Après la guerre du Haut-Karabagh en 2020, la stratégie du gouvernement arménien était basée sur la logique de « ne pas irriter l’Azerbaïdjan pour éviter de fournir une quelconque justification à de nouvelles attaques azerbaïdjanaises ». Ainsi, le gouvernement arménien a poursuivi les négociations avec l’Azerbaïdjan après les incursions de mai et novembre 2021 en Arménie. En avril 2022, l’Arménie a déclaré qu’elle était prête à accepter le statut autonome du Haut-Karabagh au sein de l’Azerbaïdjan. Après l’agression de septembre 2022, l’Arménie a reconnu le Haut-Karabagh comme faisant partie de l’Azerbaïdjan, abandonnant toute demande d’autonomie.

L’Arménie a accepté de poursuivre les négociations pendant le blocus du Haut-Karabagh au premier semestre 2023. Elle a déclaré qu’elle était prête à signer un accord de paix avec l’Azerbaïdjan d’ici la fin 2023 sans aucune mention du Haut-Karabagh, acceptant ainsi de ne pas contester sa prise de contrôle militaire et le déplacement forcé des Arméniens. Lorsque l’Azerbaïdjan a annulé sa participation aux plateformes de négociations occidentales après septembre 2023 et a proposé d’entamer des négociations bilatérales, l’Arménie a de nouveau accepté. Alors que l’Azerbaïdjan a suggéré de signer uniquement un accord-cadre laissant tomber les questions liées à la délimitation et à la démarcation des frontières et au rétablissement des communications, l’Arménie a également répondu oui.

En janvier 2024, le gouvernement arménien a commencé à parler de la nécessité d’adopter une nouvelle constitution, arguant que la constitution actuelle, avec sa référence à la Déclaration d’indépendance de 1990, constitue un obstacle à l’établissement de la paix avec l’Azerbaïdjan et la Turquie. Le président Aliev a exigé une modification de la constitution arménienne et d’autres lois en 2021 et a réitéré ces demandes début 2024.

Cependant, malgré tous les efforts arméniens « pour ne pas irriter l’Azerbaïdjan et instaurer une ère de paix dans la région en acceptant les demandes azerbaïdjanaises », la région est loin d’être stable. L’Azerbaïdjan continue d’exiger l’établissement d’un couloir extraterritorial via l’Arménie et le retour des enclaves, tout en laissant entendre que si l’Arménie n’accepte pas ces demandes, une autre attaque militaire est probable.

Ainsi, ni la politique d’apaisement de l’Arménie ni la volonté de l’UE et des États-Unis d’accepter les résultats du recours à la force par l’Azerbaïdjan n’ont apporté la stabilité dans le Caucase du Sud. Dans le contexte actuel, la seule manière de véritablement stabiliser la région est de réduire le fossé militaire entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan. Tant que l’Azerbaïdjan et tous les autres pays seront sûrs que Bakou est susceptible de recourir à la force contre l’Arménie et de la contraindre à accepter ce qu’elle veut, il n’y aura ni négociations efficaces ni stabilité.

Dans ce contexte, la volonté de l’Inde de vendre des armes à l’Arménie et les actions de la France visant à accroître les capacités de défense de l’Arménie apparaissent comme des mesures concrètes pour contribuer à stabiliser le Caucase du Sud. La coopération militaire entre l’Inde et l’Arménie, et la France et l’Arménie ne peut pas déstabiliser le Caucase du Sud parce que la région n’est déjà pas stable, et elle ne l’est pas non plus en raison des opportunités que recèle le déséquilibre militaire en faveur de l’Azerbaïdjan. Ainsi, quiconque s’intéresse à un Caucase du Sud stable devrait saluer la coopération militaire entre l’Arménie et l’Inde et l’Arménie et la France et chercher d’autres moyens de réduire l’écart militaire entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan afin de fournir à l’Arménie les moyens de se défendre contre une nouvelle agression.

Les développements de 2021 à 2023 ont prouvé que ni les négociations ni les concessions n’ont fonctionné et que le seul moyen d’assurer la stabilité dans la région est d’augmenter les capacités de défense de l’Arménie. Toutes les déclarations, arguments et analyses visant à accuser l’Inde et la France de déstabiliser la région en vendant des armes à l’Arménie ne sont pas fondés par des faits. Ce ne sont que des outils de propagande destinés à perpétuer la supériorité militaire de l’Azerbaïdjan sur l’Arménie et à perpétuer l’instabilité dans le Caucase du Sud.

 

Traduction N.P.