Pourquoi l’Azerbaïdjan force-t-il l’Arménie à négocier sans aucun médiateur ?

Écrit en anglais par Souren Sargissian et publié dans The Armenian Mirror-Spectator en date du 1er mars 2024

 

Pendant des années, l’Arménie et l’Azerbaïdjan ont négocié en présence de médiateurs. Si nous étudions le processus de négociation arméno-azerbaïdjanais, nous verrons que depuis le début des années 1990, les Européens, les Iraniens, les Russes et les Américains ont tenté d’asseoir les deux États à la table des négociations et de jouer le rôle de médiateurs. Cependant, ces négociations n’ont pas été particulièrement fructueuses jusqu’à la création de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) et du Groupe de Minsk. Des dizaines de réunions ont déjà eu lieu avec la participation des chefs d’État et des ministres des Affaires étrangères pour discuter de relations bilatérales et du problème du Haut-Karabagh, avec la médiation des trois coprésidents du Groupe de Minsk. Il convient de noter que pendant des années, les coprésidents du Groupe de Minsk ont eu des divergences, notamment entre les États-Unis et la Russie, mais il s’est avéré que le Groupe de Minsk était le seul format dans lequel les coprésidents avaient une approche commune.

Bien entendu, l’implication des médiateurs a été extrêmement importante durant cette période. En fait, au-delà de la mission de médiation, l’implication des superpuissances constituait une sorte de carcan pour les parties, notamment l’Azerbaïdjan. Avant la révolution arménienne de 2018 et la guerre qui en a résulté en 2020, la situation avait déjà changé en faveur de l’Azerbaïdjan. Cependant, avant 2018, la diplomatie arménienne était capable d’utiliser à son avantage la présence de médiateurs. En particulier, l’implication de superpuissances intermédiaires a permis le recours à certains mécanismes de pression contre l’Azerbaïdjan.

Même si les médiateurs sont impartiaux et sont souvent d’accord avec les parties, cela ne concerne que la diplomatie publique. Toutes les parties savaient que la situation s’aggravait, qu’il y avait des provocations, que des tentatives étaient faites pour déstabiliser l’Arménie et l’Artsakh, et que l’Azerbaïdjan lui-même violait régulièrement les cessez-le-feu. La présence de médiateurs a permis d’exercer des pressions sur l’Azerbaïdjan, étant donné que très souvent, il ne respectait pas, ou partiellement, les accords conclus.

Le meilleur exemple de cette pression est lié aux accords de Vienne et de Saint-Pétersbourg conclus après la guerre d’avril 2016, selon lesquels l’Azerbaïdjan s’est engagé à déployer des mécanismes spéciaux le long de la ligne de contact pour surveiller les incidents frontaliers. Il était clair que ces mécanismes étaient dirigés contre l’Azerbaïdjan, car c’était l’Azerbaïdjan qui tirait régulièrement sur les positions arméniennes. Il s’avère que la présence de médiateurs a considérablement renforcé les positions de la partie arménienne et est considérée comme un mécanisme de sécurité supplémentaire, d’autant plus que les trois États impliqués, la Russie, la France et les États-Unis, sont des pays amis pour l’Arménie où elle dispose d’un puissant lobby et d’influence. En outre, le président azerbaïdjanais Aliev a déclaré que derrière les portes closes, toutes les parties impliquées font pression pour qu’il reconnaîsse l’indépendance du Haut-Karabagh et le droit à l’autodétermination du peuple d’Artsakh.

En regardant les négociations actuelles, nous constatons que les parties ont commencé à négocier sans aucun médiateur. Cela place la partie arménienne dans une situation extrêmement difficile, car derrière des portes closes, l’Arménie se trouve soumise à des conditions destructrices qu’elle devra accepter. Il n’existe aucune garantie internationale qui freinerait au moins un peu l’Azerbaïdjan et donnerait à l’Arménie une chance de manœuvrer. L’Arménie a commis une grave erreur en décidant de négocier directement avec l’Azerbaïdjan, sans médiateurs.

En fait, il s’agit du plus grand échec de la diplomatie arménienne dans le contexte de tous les échecs survenus depuis la révolution. Le résultat des mêmes échecs diplomatiques est la guerre de 44 jours, à la suite de laquelle l’Artsakh a été partiellement, puis complètement perdu. Toutes les conditions préalables à l’encontre de l’Arménie, qui doivent être remplies par Erévan, en sont également la conséquence. Bien sûr, l’Arménie pourrait toujours essayer d’impliquer les États-Unis comme médiateur dans ces négociations, en particulier compte tenu de l’implication active de l’administration Biden dans le récent processus, mais il semble que le gouvernement arménien soit à l’aise avec ce format face-à-face.

 

Traduction N.P.