Écrit en anglais par Benyamin Poghosian et publié dans The Armenian Mirror-Spectator en date du 30 octobre 2024
Le 26 octobre 2024, des élections législatives ont eu lieu en Géorgie. Bien avant le jour du scrutin, elles ont été qualifiées d’élections géorgiennes les plus cruciales depuis la révolution des roses de 2003. Les partis d’opposition ont présenté le scrutin comme un choix entre la Russie et l’Europe, tandis que le parti au pouvoir, le Rêve géorgien, l’a décrit comme un choix entre la guerre et la paix. Dans les deux cas, la géopolitique a joué un rôle important.
L’opposition a accusé le Rêve géorgien de détourner la Géorgie de l’intégration européenne. Le gouvernement a affirmé que l’opposition cherchait à ouvrir un second front contre la Russie, transformant la Géorgie en une autre Ukraine. Le Rêve géorgien a même placardé des affiches dans les rues de Tbilissi montrant les images d’une Tbilissi paisible face à des villes ukrainiennes ravagées par la guerre.
Les récentes mesures prises par le gouvernement géorgien, notamment l’adoption d’une loi sur la transparence des influences étrangères et d’une loi sur la propagande anti-LGBT, ont mis à rude épreuve les relations de la Géorgie avec l’Occident. L’Union européenne a suspendu le processus d’adhésion et annulé le financement de la « Facilité européenne pour la paix » (instrument financier de l’UE créé en mars 2021, visant à fournir une aide militaire aux pays partenaires et à financer le déploiement des missions militaires de l’UE à l’étranger dans le cadre de la Politique étrangère et de sécurité commune), tandis que les États-Unis ont imposé des sanctions à plusieurs responsables géorgiens. L’opposition a profité de ces événements pour accuser le parti au pouvoir de chercher à se rapprocher de la Russie. Les dirigeants du Rêve géorgien ont attribué les actions anti-géorgiennes à un « Parti de la guerre mondiale » non spécifié.
Les élections ont eu lieu dans un contexte d’évolution positive de l’économie géorgienne, qui a connu une croissance substantielle en 2022, 2023 et au premier semestre de 2024, en grande partie grâce à l’immigration russe et aux réexportations vers la Russie. Le gouvernement a invoqué cette croissance économique afin de justifier sa décision stratégique de ne pas se joindre aux sanctions antirusses, arguant qu’elle avait finalement amélioré le niveau de vie des Géorgiens, ce qui, selon lui, était la responsabilité première du gouvernement.
Selon la Commission électorale centrale géorgienne, le parti Rêve géorgien a remporté les élections avec environ 54 % des voix. Quatre blocs d’opposition ont remporté plus de 5 % des voix, le seuil pour être représenté au Parlement. La Coalition pour le changement, composée d’anciens dirigeants du Mouvement national uni (l’ancien parti au pouvoir), a obtenu 11 % des voix. L’Unité pour sauver la Géorgie, dirigée par le Mouvement national uni, a obtenu environ 10 %. Géorgie forte, dirigée par le parti Lelo pour la Géorgie, a remporté près de 9 %, tandis que Pour la Géorgie, dirigé par l’ancien premier ministre Giorgi Gakharia, a obtenu près de 8 %. Les résultats officiels ont montré que la part de voix du parti Rêve géorgien était légèrement inférieure à celle des sondages commandés par la chaîne de télévision pro-gouvernementale Imedi TV. Les résultats officiels contrastent fortement avec les sondages de HarrisX (pour le parti pro-opposition Mtavari Arkhi TV) et Edison Research (pour Formula TV, une chaîne d’opposition), qui ont présenté l’opposition comme gagnante.
Les quatre groupes d’opposition qui ont fait leur entrée au Parlement ont refusé de reconnaître les résultats des élections. La présidente Salomé Zourabichvili, critique du Rêve géorgien, a également refusé de reconnaître les résultats, dénonçant une fraude électorale à grande échelle, et a appelé à un rassemblement de protestation le 28 octobre qui a rassemblé des milliers de personnes devant le Parlement.
La mission d’observation conjointe du Bureau des institutions démocratiques et des droits de l’homme de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), de l’ Assemblée parlementaire de l’OSCE, de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, de l’Assemblée parlementaire de l’OTAN et du Parlement européen a signalé des irrégularités durant la campagne électorale, notant que le processus a été entaché de conditions de jeu inégales, de pressions et de tensions, même si les électeurs avaient un large choix. Le président des États-Unis, Joe Biden, s’est dit alarmé par le recul démocratique de la Géorgie, déclarant que les élections parlementaires du 26 octobre étaient entachées de nombreux abus de ressources administratives ainsi que d’intimidation et de coercition des électeurs, et a appelé le gouvernement géorgien à mener une enquête transparente sur les irrégularités électorales. Le secrétaire d’État Antony Blinken a soutenu les appels des observateurs internationaux et nationaux en faveur d’une enquête complète sur les violations liées aux élections. Il a exprimé des inquiétudes spécifiques concernant l’environnement pré-électoral et a souligné la nécessité de transparence dans le processus électoral.
Le président du Conseil européen, Charles Michel, a appelé la Commission électorale centrale et d’autres organismes à enquêter sur toutes les violations liées aux élections. Il a exhorté les dirigeants géorgiens à réaffirmer leur engagement en faveur de l’intégration européenne. Le 28 octobre, les ministres de 13 pays membres de l’Union européenne ont publié une déclaration commune condamnant toutes les violations des normes internationales pour des élections libres et équitables, partageant les préoccupations des observateurs et demandant une enquête impartiale et des mesures correctrices pour les violations confirmées.
Dans la soirée du 26 octobre, le premier ministre hongrois, Viktor Orban, a félicité le gouvernement géorgien pour sa victoire, le Président azerbaïdjanais et le Premier ministre arménien ont adressé leurs félicitations le 27 octobre. Le premier ministre Orban est arrivé en Géorgie le 28 octobre et a rencontré le Premier ministre géorgien le 29 octobre. Les présidents turc et émirati ont également félicité le Premier ministre géorgien.
La Géorgie est entrée, à la suite des élections, dans une crise politique, rappelant les troubles postélectoraux des élections parlementaires de 2020, lorsque tous les partis d’opposition ayant franchi le seuil de la majorité absolue avaient refusé de siéger au Parlement. À l’époque, un compromis avait été trouvé grâce à la médiation de Charles Michel. Les enjeux sont désormais plus importants et la géopolitique y joue un rôle crucial. Bien que l’évolution future soit incertaine, le Rêve géorgien semble bien placé pour conserver le pouvoir pendant les quatre prochaines années.
Pourquoi ces élections sont-elles importantes pour l’Arménie
Premièrement, la Géorgie est la principale porte d’entrée de l’Arménie dans le commerce international, puisque près de 70 % des exportations et des importations arméniennes passent par son territoire. La Géorgie offre également à l’Arménie une voie terrestre vers la Russie et un accès à la mer Noire. Ainsi, toute instabilité politique à long terme déstabilisant la Géorgie pourrait affecter l’économie arménienne.
Au-delà des liens économiques, l’orientation de la politique étrangère de la Géorgie et ses relations avec l’Occident sont cruciales pour l’Arménie. Erévan poursuit une politique de diversification étrangère, en approfondissant la coopération avec l’UE et les États-Unis. Cela comprend la signature du Nouvel agenda de partenariat avec Bruxelles début 2025 et la transformation du dialogue stratégique entre les États-Unis et l’Arménie en un partenariat stratégique. Cependant, les relations entre la Russie et l’Occident étant à leur plus bas niveau depuis la guerre froide et les relations tendues entre l’Iran et l’Occident, le succès de l’Arménie dans le renforcement des liens avec l’Occident dépend de l’équilibre des pouvoirs régionaux.
Si les relations entre la Géorgie et l’Occident continuent de se détériorer – et si d’autres acteurs régionaux comme la Russie, la Turquie, l’Azerbaïdjan et l’Iran s’opposent à un engagement occidental plus important – cela pourrait compliquer la coopération de l’Arménie avec l’Occident et forcer Erévan à ajuster sa politique étrangère.
Traduction N.P.