Quel avenir pour le Haut-Karabagh ?

Écrit en anglais par Benyamin Poghosian et publié dans The Armenian Mirror-Spectator en date du 14 octobre 2023

 

Le 19 septembre 2023, l’Azerbaïdjan a lancé une offensive militaire contre la République autoproclamée du Haut-Karabagh avec un objectif clair : la détruire. Il s’agissait d’une suite logique de la politique menée par l’Azerbaïdjan durant plusieurs décennies, y compris la guerre du Haut-Karabagh de 2020 et le blocus du corridor de Latchine (Berdzor) imposé en décembre 2022. Après 24 heures de combats intenses, la République autoproclamée du Haut-Karabagh s’est rendue. Quelques jours plus tard, un exode massif de la population arménienne a commencé et, fin septembre 2023, il restait moins de 100 Arméniens au Haut-Karabagh. Le 28 septembre, le président de la République autoproclamée du Haut-Karabagh a signé un décret visant à dissoudre la République d’ici la fin 2023.

La réaction à ces événements, en Arménie, a été quelque peu surprenante. Le gouvernement a clairement indiqué que l’Arménie n’interviendrait pas pour empêcher la destruction du Haut-Karabagh. La plupart des Arméniens se sont tournés vers les réseaux sociaux, déplorant le manque d’action de la Russie, de l’Union européenne (UE) et des États-Unis. Beaucoup ont été véritablement surpris que pour la Russie et l’Occident collectif, les intérêts géopolitiques ou économiques aient plus de valeur que le sort des 100 000 Arméniens qui vivaient dans le Haut-Karabagh depuis plusieurs millénaires.

La plupart des Arméniens semblaient vivre dans un univers parallèle où les puissances mondiales agissaient uniquement sur la base de valeurs. La deuxième réaction de la société arménienne a été la recherche des coupables. La liste était assez longue, du président russe Vladimir Poutine au président du Conseil européen Charles Michel, en passant par le Premier ministre Nikol Pachinian, le président turc Recep Tayyip Erdogan, le président azerbaïdjanais Ilham Aliev et même le président américain Joe Biden quelque part au milieu. Une autre tendance consistait à modifier les photos de profil des réseaux sociaux, en mettant des photos prises au Haut-Karabagh ou avec des monuments culturels et historiques du Haut-Karabagh.

Certes, de nombreux Arméniens participent également à de nombreuses initiatives privées visant à soutenir les personnes déplacées de force du Haut-Karabagh, mais tous savent que cela ne durera pas éternellement. Plusieurs mois plus tard, beaucoup seront submergés par les problèmes de leur vie quotidienne, et rares sont ceux qui continueront à soutenir les Arméniens du Karabagh, comme ce fut le cas pour les Arméniens déplacés de force de Chouchi et Hadrout en raison de la guerre du Haut-Karabagh en 2020.

Ce qui manque principalement, ce sont les débats et les discussions sur ce qui devrait être fait maintenant, après que l’Azerbaïdjan ait achevé par la force le Haut-Karabagh. Il existe deux voies à suivre : la première consiste à se concentrer sur les problèmes humanitaires des personnes déplacées de force du Haut-Karabagh, en cherchant à accueillir certaines d’entre elles en Arménie et à oublier les 32 années d’existence de la République autoproclamée du Haut-Karabagh. Une partie de cette stratégie réside dans les discussions sur le « droit au retour » des Arméniens au Haut-Karabagh et dans les discussions sur la personne à qui l’Arménie devrait s’adresser pour garantir ce droit, l’ONU, l’UE, l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), le Conseil de l’Europe, la Cour internationale de Justice, les États-Unis ou d’autres pays comme la France.

Le problème ici est le fait évident qu’aucun Arménien du Haut-Karabagh ne peut vivre sous juridiction azerbaïdjanaise, indépendamment de toute présence internationale « afin de garantir ses droits ». La seule façon de garantir le droit au retour des Arméniens est de mettre fin au contrôle azerbaïdjanais sur le Haut-Karabagh, et l’Arménie ne peut y parvenir que par des moyens militaires. Toutes les autres discussions de la communauté internationale, le droit international et d’autres termes fascinants ne sont que de simples manipulations en vue de gains et d’objectifs politiques, que ce soit à l’intérieur ou à l’extérieur de l’Arménie. La première option est la voie directe pour transformer très bientôt le Haut-Karabagh en une nouvelle « Arménie occidentale » ou « Nakhitchevan » avec des chansons, des restaurants aux toponymes du Karabagh dans le centre-ville d’Erévan, ou même certaines zones résidentielles reproduisant les noms des villes du Karabagh ou des banlieues/quartiers de Stepanakert.

Cependant, il existe d’autres options disponibles. La seconde option envisage le fait que le monde va traverser une ou deux décennies très turbulentes alors qu’une transition est en cours d’un système unipolaire à quelque chose de différent. Il est très difficile d’évaluer ce nouvel ordre, mais on peut affirmer que le Caucase du Sud fera partie de ces turbulences et de cette transition. Ainsi, la géopolitique de la région continuera de changer, notamment l’équilibre des pouvoirs et les relations entre les principaux acteurs. Cela s’applique également pleinement à l’avenir de l’Arménie, de l’Azerbaïdjan et du Haut-Karabagh. Cependant, si l’Arménie reste assise et attend, elle continuera probablement à perdre, comme elle le fait depuis 2020.

La première chose à faire, et cela doit être fait immédiatement, du moins d’ici la fin 2023, est d’abroger le décret du président de la République autoproclamée du Haut-Karabagh sur la dissolution de la République. Sans entrer dans une bataille juridique sur la légalité de ce décret, il est clair que s’il n’est pas abrogé, il compliquera considérablement toute action visant à inverser la situation au-delà de 2023. L’abrogation du décret signifiera que le président et le parlement de la République autoproclamée du Haut-Karabagh continuera de fonctionner jusqu’au printemps 2025, les deux pays ayant des élus depuis le printemps 2020 pour cinq ans. Ils devraient continuer à fonctionner à Erévan ou, si le gouvernement arménien pense que l’Azerbaïdjan utilisera leur fonctionnement comme un casus belli pour justifier sa nouvelle agression contre l’Arménie, que l’Azerbaïdjan s’apprête de toute façon à lancer, des discussions devraient avoir lieu pour trouver un autre pays, ce qui permettrait à ces organismes de fonctionner.

L’annulation du décret du 28 septembre ne signifie pas que l’Arménie doit se retirer des négociations avec l’Azerbaïdjan autour d’un traité de paix. Un traité de paix entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, comprenant la reconnaissance par l’Arménie de l’intégrité territoriale de l’Azerbaïdjan à l’intérieur des frontières de l’Azerbaïdjan soviétique (86 600 km²), n’a rien à voir avec l’existence de la République autoproclamée du Haut-Karabagh. La République doit continuer à fonctionner et les Arméniens doivent être prêts à la restaurer si les conditions nécessaires apparaissent au milieu des tourmentes mondiale et régionale. Personne ne peut garantissent que ces conditions se réaliseront, mais personne ne peut prétendre qu’elles ne se réaliseront pas. Ce qu’il faut faire, c’est être prêt à les utiliser si elles apparaissent, et le premier pas dans cette direction est l’annulation du décret du 28 septembre.

 

Traduction N.P.