Écrit en anglais par Souren Sargissian et publié dans The Armenian Mirror-Spectator en date du 20 septembre 2024
Le corridor de Zanguezour est récemment devenu une source importante de tension entre l’Iran et la Russie, les différents acteurs régionaux poursuivant leurs propres intérêts. Pour la Turquie, il la relie au monde turc, pour l’Azerbaïdjan, il le relie au Nakhitchevan et pour les États-Unis, il offre une voie de transport de l’énergie d’Asie centrale vers l’Europe via l’Arménie et la Géorgie, contournant ainsi la Chine et la Russie. La Russie, au contraire, entend empêcher cela et prévoit de renforcer la sécurité de ses frontières dans le corridor pour maintenir sa présence militaire dans le Caucase du Sud. L’Arménie et l’Iran sont particulièrement préoccupés par les implications du corridor ; si le gouvernement arménien a son point de vue, l’Iran considère le corridor comme une ligne rouge cruciale à ne pas franchir.
Tout a commencé lorsque le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov, s’exprimant à Bakou, a accusé Erévan de saper les accords visant à débloquer les communications via la région arménienne de Syounik, tout en soulignant le soutien de Moscou à un traité de paix rapide entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan. « Nous plaidons pour la signature rapide d’un traité de paix et le déblocage des communications. Malheureusement, ce sont les dirigeants arméniens qui sabotent l’accord signé par le premier ministre Nikol Pachinian. La logique d’une telle position est difficile à comprendre », a déclaré M. Lavrov.
La déclaration de Lavrov a suscité une vive réaction de la part de Téhéran, plutôt que d’Erévan. Mohsen Rezaei, ancien chef du Corps des gardiens de la révolution islamique (IRGC) et actuel secrétaire du Conseil de discernement, a déclaré : « Le comportement de l’homme d’État russe est inacceptable et contredit leur déclaration d’amitié avec l’Iran, ces ambiguïtés doivent être levés. » Il convient de noter que le leader iranien, l’ayatollah Ali Khamenei, avait déjà clairement fait savoir au président russe Vladimir Poutine et à Pachinian que Téhéran s’opposait à l’ouverture de tout corridor, même si sa rhétorique n’a jamais été aussi dure. Quelques jours plus tard, l’ambassadeur d’Iran en Arménie a déclaré aux journalistes locaux que « les rêves de certains concernant l’Arménie sous d’autres noms, y compris le soi-disant corridor, ne se réaliseront jamais. »
Le 3 septembre, l’Iran a pris une décision assez ferme et ne s’est pas limité à de simples déclarations. Selon des informations officielles, l’ambassadeur russe à Téhéran, Alexeï Dedov, a été convoqué au ministère iranien des Affaires étrangères en lien avec le récent soutien de Moscou au projet de « corridor » qui doit relier l’Azerbaïdjan au Nakhitchevan via le territoire de l’Arménie, ont rapporté les médias iraniens. Téhéran a exprimé son inquiétude et s’est déclaré opposé à tout changement géopolitique qui pourrait violer les frontières établies dans la région, proclamant : « Cette démarche souligne l’importance pour l’Iran de maintenir l’intégrité territoriale et la stabilité dans le Caucase, ce qui est essentiel à ses intérêts nationaux et sa sécurité régionale ».
D’un point de vue diplomatique, appeler un ambassadeur au ministère des Affaires étrangères est l’une des manières les plus dures d’exprimer la position officielle du pays d’accueil. Mais cela n’a pas suffi à Téhéran et l’Iran officiel a continué à insister sur sa position. Le 10 septembre, lors de sa visite en Arménie, le vice-ministre iranien des Affaires étrangères a déclaré aux journalistes que l’Iran saluait et était prêt à faciliter la conclusion d’un traité de paix entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, mais qu’il était important de s’opposer à tout agenda caché visant à modifier des frontières internationalement reconnues. « Nous sommes favorables au concept d’une région unifiée, développant le voisinage. Bien sûr, nous sommes également d’accord pour débloquer les communications régionales. Nous soulignons, simultanément, le principe du respect de la souveraineté et de l’intégrité territoriale des pays, ainsi que la reconnaissance de la souveraineté des routes traversant leurs territoires. Nous respectons les intérêts mutuels dans cette région », a déclaré le vice-ministre iranien des Affaires étrangères.
Il a également souligné la nécessité de respecter l’intégrité territoriale, la souveraineté et la juridiction des pays. « Nous pensons que le Caucase du Sud ne doit pas devenir un champ de compétition pour la lutte des forces étrangères. Dans ce contexte, nous insistons sur la nécessité de s’opposer à tout agenda caché visant à déstabiliser la région et à créer un terrain propice à la modification des frontières internationalement reconnues », a déclaré le diplomate iranien.
Pourquoi l’Iran s’inquiète-t-il et pourquoi ses réactions sont-elles si dures ? Téhéran estime que le corridor de Zanguezour proposé entraverait son accès terrestre à l’Europe via l’Arménie et la Géorgie, une conclusion corroborée par la carte. L’Iran n’acceptera aucun corridor en Arménie qui diviserait le pays. De plus, l’Iran s’oppose à tout corridor sous le contrôle d’une autre partie, y compris la Russie, car cela rendrait ses communications avec d’autres nations dépendantes d’un tiers. L’Iran perçoit le corridor potentiel comme une menace pour ses frontières et son influence régionale. L’ouverture de cette route diminuerait le statut de Téhéran en tant que superpuissance régionale et réduirait considérablement ses revenus de transit.
L’Iran craint en outre que le corridor ne renforce les positions de l’Union européenne et de l’OTAN à proximité de ses frontières, en particulier compte tenu des liens étroits de l’Arménie avec l’Occident et des exercices militaires avec les États-Unis, qu’il surveille avec méfiance. Sa position ferme fait obstacle à la création du corridor, obligeant Erévan à attendre que des acteurs extérieurs parviennent à un accord sur son propre territoire.
Le 17 septembre, le conseiller à la sécurité nationale russe s’est rendu en Iran pour adoucir la position de la Russie sur le corridor dit de Zanguezour. Comme mentionné dans un communiqué officiel russe, Sergueï Choïgou, secrétaire du Conseil de sécurité de la Fédération de Russie, lors des négociations avec Ali Akbar Ahmadian, secrétaire du Conseil suprême de sécurité nationale iranien, a confirmé son soutien à la politique de la République islamique d’Iran sur les corridors et les voies de communication avec l’Azerbaïdjan, a rapporté l’agence iranienne Mehr. Choïgou a rencontré Ahmadian à Téhéran le 17 septembre et a transmis un message du président russe Poutine à la partie iranienne. « Le haut responsable de la sécurité russe est arrivé à Téhéran sur instruction du président russe pour mettre en œuvre les accords conclus lors de la visite du représentant du guide suprême de la révolution islamique et secrétaire du Conseil suprême de sécurité nationale iranien Ahmadian à Saint-Pétersbourg », conclut le communiqué.
Quelques heures plus tard, la réponse est venue de Turquie. Le chef des services secrets turcs a souligné qu’un accord de paix global entre Erévan et Bakou était extrêmement important pour assurer la stabilité à long terme dans le Caucase et pour le développement des communications le long de la route Azerbaïdjan-Arménie – Nakhitchevan – Turquie-Europe, y compris l’ouverture du corridor dit de Zanguezour.
Nous voyons maintenant que la Russie a choisi de ne pas se précipiter et n’a pas contredit la position iranienne, car Téhéran est très déterminé à faire avancer son programme. Nous remarquons également que la Turquie s’efforce de pousser la Russie à rejoindre le club des partisans du corridor de Zanguezour et d’exercer une pression supplémentaire sur l’Arménie pour qu’elle accepte le projet Bakou-Ankara.
Traduction N.P.