Une manière réaliste d’atténuer la catastrophe humanitaire du Haut-Karabagh

Écrit en anglais par Benyamin Poghosian et publié dans The Armenian Mirror-Spectator en date du 9 septembre 2023

Alors que la crise humanitaire s’aggrave au Haut-Karabagh et qu’il n’y a aucune lumière au bout du tunnel, des discussions sont en cours sur la manière de résoudre l’urgence. La Russie, les États-Unis et l’Union européenne (UE) déploient tous des efforts diplomatiques pour trouver une solution.

La Russie a proposé de rétablir les approvisionnements via la route Ağdam – Stepanakert puis, dans les 24 heures, de remettre les approvisionnements via le corridor de Latchine. Les États-Unis avancent l’idée d’ouvrir simultanément les deux routes tandis que l’UE explore toutes les options et est prête à soutenir toute solution que les parties pourraient accepter.

L’Azerbaïdjan a accepté les offres de la Russie et des États-Unis, mais avec une réserve selon laquelle le corridor de Latchine ne peut être utilisé que moyennant la pleine mise en œuvre de la législation azerbaïdjanaise, y compris les exigences douanières et autres. Si cela se produit, cela annulera définitivement le statut de corridor de la route de Latchine, ce qui en fera simplement une autre autoroute à l’intérieur de l’Azerbaïdjan.

L’Arménie insiste sur la restauration du couloir de Latchine conformément à la déclaration du 10 novembre 2020, qui rejette automatiquement la vision azerbaïdjanaise. Pendant ce temps, du moins publiquement, le gouvernement arménien refuse de discuter de toute question concernant le passage de fournitures depuis Ağdam. Les autorités de la République non reconnue du Haut-Karabagh rejettent toute possibilité de ravitaillement via Ağdam, soulignant que cela constituerait le premier pas vers l’intégration du Haut-Karabagh à l’Azerbaïdjan, une perspective que la majorité absolue des Arméniens vivant au Haut-Karabagh rejette avec véhémence. Ils soutiennent que si le Haut-Karabagh est placé sous juridiction azerbaïdjanaise, cela entraînera une ‘désarménisation’ rapide de la région, car les Arméniens ne peuvent pas vivre en Azerbaïdjan en tant que citoyens azerbaïdjanais étant donné la politique anti-arménienne de l’Azerbaïdjan au cours des 35 dernières années, la propagande arménienne et le niveau de haine envers les Arméniens en Azerbaïdjan.

Les changements politiques survenus dans la République du Haut-Karabagh et l’élection de Samvel Shahramanian à la présidence, le 9 septembre 2023, renforceront très probablement encore cette vision des dirigeants du Haut-Karabagh, selon laquelle il n’y a actuellement aucune possibilité, même de discuter l’intégration à l’Azerbaïdjan.

Ces derniers jours, l’Azerbaïdjan a, à son tour, concentré des troupes importantes le long des frontières entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan et sur la ligne de contact entre l’Azerbaïdjan et le Haut-Karabagh. Le gouvernement arménien a fait part de ses inquiétudes quant à d’éventuelles attaques à grande échelle de l’Azerbaïdjan contre l’Arménie et/ou l’Artsakh, tout en se disant prêt à entamer des discussions avec l’Azerbaïdjan pour apaiser les tensions.

Le Premier ministre arménien Nikol Pachinian a discuté de ces questions lors de ses conversations téléphoniques du 9 septembre avec les dirigeants français et allemands.

Les tensions sans précédent dans les relations entre l’Arménie et la Russie ont rendu la situation encore plus compliquée. Dans sa déclaration du 8 septembre 2023, le ministère russe des Affaires étrangères a affirmé que les dirigeants arméniens avaient pris une série de mesures hostiles ces derniers jours, notamment le lancement du processus de ratification du Statut de Rome de la Cour pénale internationale, le voyage de l’épouse du Premier ministre arménien à Kiev avec le transfert de l’aide humanitaire à l’Ukraine et la tenue d’exercices militaires sur le territoire arménien avec la participation des États-Unis. Le 8 septembre, l’ambassadeur d’Arménie en Russie a été convoqué au ministère russe des Affaires étrangères et une note de protestation lui a été remise.

Les préparatifs manifestes de l’Azerbaïdjan en vue de lancer une nouvelle attaque à grande échelle contre l’Arménie ou/et le Haut-Karabagh, les tensions croissantes dans les relations entre l’Arménie et la Russie, les signaux indirects de l’Iran indiquant qu’il ne tolérera pas une attaque azerbaïdjanaise contre l’Arménie qui pourrait mettre en danger l’Arménie et l’Iran, les connexions terrestres, les efforts américains pour diminuer l’influence russe dans le Caucase du Sud et le changement de direction dans la République du Haut-Karabagh ont créé un équilibre géopolitique très complexe et compliqué dans la région, rendant toute solution à court terme à la catastrophe humanitaire qui se déroule dans le Haut-Karabagh encore moins probable.

Dans la situation actuelle, nombreux sont ceux qui affirment que la seule façon d’éviter la famine et les très nombreux décès au Haut-Karabagh est de fournir un minimum de nourriture et d’autres produits nécessaires par le biais d’un pont ou d’un largage aérien. Différentes options sont en cours de discussion, comme l’utilisation de l’aéroport de Stepanakert et l’envoi de fret humanitaire par avion, même si l’Azerbaïdjan ne prévoit pas de passage aérien à travers son territoire, ou l’utilisation de drones cargo qui pourraient voler depuis la région arménienne de Syounik et atterrir à Stepanakert.

Toutes les options doivent être discutées, mais lorsqu’on parle de l’acheminement de l’aide humanitaire par voie aérienne, il ne faut pas oublier qu’il existe un pont aérien fonctionnel entre l’Arménie et le Haut-Karabagh et que ce pont aérien est organisé par les soldats de maintien de la paix russes. Des hélicoptères militaires russes décollent d’Arménie et atterrissent presque quotidiennement à Stepanakert. L’Azerbaïdjan a le droit de contrôler le fret de ces hélicoptères. Toutefois, elle ne peut pas annuler ces vols et n’est pas en mesure d’abattre des hélicoptères militaires russes ni de tuer des soldats russes.

La population du Haut-Karabagh meurt de faim et bientôt des dizaines, voire une centaine de personnes pourraient mourir quotidiennement. La géopolitique complexe de la région ne permet pas de trouver une solution simple pour rétablir l’approvisionnement du Haut-Karabagh en marchandises par voie terrestre. Dans la situation actuelle, la seule solution réaliste est peut-être d’augmenter le nombre de vols d’hélicoptères russes depuis l’Arménie vers Stepanakert pour éviter les décès dus à la faim. La communauté internationale, les pays individuellement, les chefs de régions et les maires préoccupés par la catastrophe humanitaire croissante au Haut-Karabagh devraient s’adresser à la Russie, demander aux Russes de transporter leur aide humanitaire à Stepanakert par des hélicoptères russes, en offrant toute l’aide dont les Russes ont besoin pour ce faire. Il en va de même pour les autorités de l’Arménie et de la République du Haut-Karabagh.

Il est impossible de ramener la vie à la normale en livrant quelques tonnes de marchandises à Stepanakert par hélicoptère, car avant décembre 2022, 400 tonnes de marchandises entraient quotidiennement dans le Haut-Karabagh. Néanmoins, en augmentant le nombre de vols d’hélicoptères russes vers Stepanakert, on pourrait éviter des morts massives pendant que les politiciens tentent de trouver une solution à long terme à la crise actuelle et à la question plus importante de l’avenir du Haut-Karabagh.

 

Traduction N.P.

Photo captions ;   Dr. Benyamin Poghosyan