La Russie déplore que l’Arménie succombe aux sirènes de l’UE

Le Parlement européen a adopté une résolution soulignant la nécessité de renforcer les liens entre l’Union européenne (UE) et l’Arménie, encourageant cette dernière à poursuivre son autonomisation vis-à-vis de la Russie. Si le Premier ministre, Nikol Pachinian, s’en félicite, les observateurs russes n’apprécient pas.

Mercredi 13 mars, le Parlement européen a adopté, par 504 voix pour et 4 contre, « une résolution sur la nécessité de liens étroits entre l’Union européenne et l’Arménie, et un accord de paix entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan », rapporte le site arménien Armenpress. Les députés ont par ailleurs indiqué que « si l’Arménie souhaite obtenir le statut de candidat [à l’adhésion à l’UE] et poursuit sur la voie des réformes qui renforcent la démocratie, cela pourrait constituer la base d’une phase de transformation des relations entre l’UE et l’Arménie ».

Le Premier ministre arménien, Nikol Pachinian, qui dès son arrivée au pouvoir s’est engagé à sortir l’Arménie de l’orbite de la Russie, a salué cette résolution qui « exprime le soutien indéfectible [de l’UE] à la souveraineté, à l’intégrité territoriale et à l’indépendance de la république d’Arménie », relaie le site russo-arménien Russia Armenia Info. « La résolution doit faire l’objet de discussions au sein de la société en Arménie », a-t-il ajouté.

Le ministre des Affaires étrangères arménien, Ararat Mirzoian, a affirmé que l’approfondissement des relations avec l’Occident et l’UE n’était pas dirigé contre la Russie ni ses autres voisins. « Notre objectif est d’accroître la sécurité de l’Arménie », a-t-il déclaré vendredi 15 mars devant l’Assemblée nationale arménienne, cité par le média arménien News Armenia. Alors que la Russie était son allié traditionnel, l’Arménie se détourne peu à peu de Moscou, qui ne l’aurait pas soutenue face à son rival azerbaïdjanais.

« Pas de véritable intégration » ?

Ce revirement n’enthousiasme par la Russie. « On anesthésie l’Arménie par un rêve européen », titre, ironique, le quotidien russe Nezavissimaïa Gazeta. La résolution européenne a tenu compte, entre autres, « du gel de l’adhésion de l’Arménie à l’Organisation du traité de sécurité collective [chapeautée par Moscou], de la réduction de la dépendance de l’Arménie à l’égard de la Russie et du développement de la coopération avec la France et d’autres pays de l’UE. Par ailleurs, les députés européens veulent protéger ainsi Erévan de Moscou », poursuit le média russe.

« Cette résolution est importante pour l’Arménie, explique à Nezavissimaïa Gazeta l’expert arménien Archalouïs Mgdessian. Les autorités du pays la perçoivent comme une nouvelle étape sur la voie du rapprochement avec l’UE. Mais il ne s’agit que d’image, pas de véritable intégration. Jusqu’à présent, l’Arménie ne jouit ni d’un régime d’exemption de visa ni d’un accord d’association avec l’UE. En outre, pour un véritable rapprochement, l’Arménie devra se retirer de toutes les organisations que la Russie supervise, et en premier lieu de l’Union économique eurasiatique ».

La « carotte » agitée par Bruxelles

L’analyste arménien Haïk Khalatian, interrogé par le même journal, pense que « les discussions sur l’intégration européenne ont pour but de détourner l’attention de la société arménienne de la perte du Karabagh [en 2023] et de la cession (à venir, à l’Azerbaïdjan) de villages (contestés] dans les régions frontalières ». Khalatian en est persuadé :

« L’Occident fait des pas vers Erévan non pas par amour pour l’Arménie, mais dans le cadre de la confrontation géopolitique avec la Russie ».

L’analyse du journal de Moscou Kamsomolskaïa Pravde est sans concessions : « Pachinian a ‘retourné sa veste’ en direction de l’Ouest et mène son propre pays à l’effondrement ». Selon le journal, la dynamique des relations russo-arméniennes « a radicalement changé » en 2023 : « Pachinian a choisi la voie d’une coopération éphémère avec l’Occident, abandonnant délibérément l’amitié avec ses partenaires historiques et les valeurs de son propre peuple ».

L’expert et député azerbaïdjanais Rassim Moussabekov, interrogé par le site azerbaïdjanais Vesti, qualifie la résolution des députés européens de « carotte » brandie pour qu’Erévan obtempère à Bruxelles. Il présage une riposte très sévère de Moscou et conclut : « Il est illusoire d’espérer un détournement de la Russie vers l’Occident sans douleur ».

 

Alda Engoian

Courrier international

15 mars 2024