Écrit en anglais par le Dr Arshavir Gundjian et publié dans The Armenian Mirror-Spectator en date du 17 février 2024
La vie politique intérieure de l’Arménie, avec ses nouveaux développements quotidiens, a récemment pris une nouvelle dimension inquiétante.
Sous l’influence des crises successives survenues au cours de l’année écoulée, j’ai exprimé il y a plus d’un mois mes réflexions dans un essai long et complet intitulé « Arménie-Artsakh-Diaspora : Faire face aux grands défis de la prochaine ère », qui a reçu une large réponse dans la presse arménienne et anglophone. Les réflexions qui y sont exprimées demeurent toujours d’actualité.
Son message urgent est que pour éviter de nouvelles pertes plus importantes et irréparables, il est nécessaire de créer de toute urgence un organisme de stratégie de salut national, avec les meilleurs éléments de notre nation. Dans le cirque politique immoral international d’aujourd’hui, cet organisme devrait diriger l’activité stratégique de l’Arménie avec la consolidation des efforts à l’échelle nationale. Cette initiative devrait être prise par le gouvernement et tous, l’opposition, les intellectuels du pays et toutes les structures importantes de la diaspora, devraient montrer leur sincère et totale coopération.
Cependant, aujourd’hui, on constate avec une profonde douleur et déception qu’en dehors de la large réponse de la presse et en dehors de l’initiative positive et constructive, quoique limitée, du Catholicos Aram 1er de la Grande Maison de Cilicie, aucune mesure n’a été prise sur cette question, qui constitue un problème central de l’existence de la nation arménienne. Le gouvernement arménien lui-même reste immobile. La majorité du monde arménien est-elle dans une profonde stupeur ou a-t-elle atteint un dangereux niveau d’impuissance ?
En fait, les autorités actuelles, et en particulier le premier ministre Nikol Pachinian, continuent d’agir de manière despotique et immuable. Il est évident que ce dernier continue de croire qu’« il est peut-être responsable, mais n’est pas coupable » de toutes les graves pertes de l’Arménie et du peuple arménien, qu’il a entraînées au moyen de sa politique malheureusement incohérente, contradictoire et confuse.
J’écris le présent article pour tirer une nouvelle sonnette d’alarme. Je dois préciser que, comme toujours, mon point de vue n’est ni pro ni anti-Pachinian.
Partant du principe de priorisation des intérêts suprêmes de notre peuple, j’arrive à mes conclusions sur la base des données objectives et évidentes qui sont révélées chaque jour à tout observateur rationnel.
En effet, au cours des dernières semaines, avec des discours spéciaux à l’Assemblée nationale, mais aussi avec des entrevues spéciales en dehors de celle-ci, le Premier ministre, de manière inattendue et avec une grande diligence, a soudainement avancé une série de nouvelles propositions qui n’ont pas été élaborées jusqu’à aujourd’hui. Elles sont douteuses, aveugles et dangereuses.
Dans les circonstances actuelles d’inquiétude existentielle pour l’État et le peuple arméniens, nous espérons tous que les dirigeants arméniens travailleront jour et nuit à concentrer leurs forces de défense contre nos voisins, ainsi que pour secouer la communauté internationale indifférente et immorale, les inonder d’informations convaincantes et obtenir leur coopération, ce qui constitue un travail difficile dans l’état actuel des choses.
Cependant, au lieu de tout cela, le gouvernement actuel, dirigé par le premier ministre Pachinian lui-même, a soudainement commencé il y a quelques semaines à présenter une série de propositions humiliantes, à moitié masquées, mais manifestement défaitistes et destinées, pour des analystes attentifs, à plaire à l’ennemi.
La première de cette série de propositions a été présentée lorsque le Premier ministre a soudainement créé une tempête totalement inappropriée, voire ridicule, avec des discours qui ont duré des heures concernant le remplacement de « l’histoire des Arméniens » (Hayots badmoutioun) par « L’histoire de l’Arménie » (Hayastani badmoutioun), créant ainsi une question d’importance secondaire dans le grave contexte des problèmes de l’heure.
Alors que tous étaient occupés par des questions absurdes de ce type, le Premier ministre et son petit groupe de collaborateurs à l’Assemblée nationale ont commencé, de manière soudaine et inattendue, à soulever un certain nombre de questions entraînant des conséquences bien plus graves. La Déclaration d’indépendance de l’Arménie, la Constitution, les armoiries et l’hymne ont été remis en question à une vitesse vertigineuse.
Incroyablement, ils ont même osé remettre en question l’importance du mont Ararat, l’un des lieux saints les plus importants et incontestables du peuple arménien, en donnant la pitoyable justification qu’après tout, le mont Ararat ne se trouve actuellement pas à l’intérieur des frontières de l’Arménie.
Des voix sérieuses en Arménie et en diaspora ont fait remarquer au Premier ministre et à ses collaborateurs directs que cette attaque lancée contre tous ces symboles importants pour l’État et l’identité des Arméniens représente des mesures démoralisantes, inutiles et sans conséquence, prises simplement pour plaire et céder aux demandes des Turcs et des Azerbaïdjanais. En réponse, ils ont tenté en vain de nier ces circonstances évidentes.
Cependant, l’aveu prononcé est venu du Premier ministre lui-même lorsque, dans son intention de convaincre le peuple, il a raconté une histoire de taureaux à des fins explicatives, ce qui a simplement provoqué le rire. Adoptant une attitude réfléchie, le Premier ministre a « expliqué » à ses auditeurs ce qui suit. Actuellement, a-t-il déclaré, l’Arménie essaie d’avancer en toute sécurité sur une route bordée des deux côtés de taureaux prêts à attaquer. Il a ensuite ajouté que l’Arménie devait être circonspecte et prudente et retirer tous les « vêtements rouges » afin de poursuivre sereinement son chemin. C’est dire à quel point sa stratégie est transparente.
Peut-être que le Premier ministre n’a pas compris que lors des concours traditionnels organisés en Espagne, lorsque les gens affrontent les taureaux, ils tiennent dans leurs mains des épées mortelles préparées pour les abattre. Lorsque le taureau attaque un torero avec une force excessive, ce dernier, sachant qu’il se trouve face à la vie ou à la mort, plonge sans pitié son épée dans le cœur du taureau. Il est nécessaire que le premier ministre Pachinian considère cette dernière image liée à son histoire de taureaux.
Dans quelle mesure faut-il une conscience de la dignité, de la responsabilité et de la sécurité nationales pour penser que l’Arménie doit avant tout avoir entre ses mains des armes d’autodéfense les plus efficaces et les plus modernes, correspondant à l’épée du torero ? Est-il nécessaire de réitérer le dicton populaire bien connu selon lequel la manière la plus efficace d’assurer la paix est de se préparer au maximum à une éventuelle guerre ?
La politique défaitiste actuelle du premier ministre Pachinian et de ses associés, en apaisant nos insatiables ennemis jurés, les Turcs et les Azéris, en essayant de satisfaire leurs interminables revendications successives, formulées dans le style familier de la mafia, nous mènera volontairement à la situation d’il y a cent ans. A cette époque, la République d’Arménie vaincue fut contrainte de signer le tristement célèbre Traité d’Alexandropol. Cela semble se reproduire aujourd’hui sans même tenter de l’éviter, en profitant de toutes les alternatives offertes aux Arméniens un siècle plus tard.
Nous sommes donc obligés aujourd’hui de déclarer que les propositions du Premier ministre visant à sortir l’Arménie de l’impasse actuelle sont fausses.
Créer une soi-disant nouvelle « constitution légitime », remplaçant « l’histoire des Arméniens » par « l’histoire de l’Arménie », et surtout nier que le mont Ararat, symbole séculaire de fierté du peuple arménien, soit arménien, ne mènera pas au salut, et aucune autre concession ne le fera non plus.
Au lieu de toutes ces mesures humiliantes et infructueuses, l’exigence urgente actuelle est d’unir les forces toutes puissantes de notre peuple, de l’Arménie à la diaspora, et de les mettre au travail avec des moyens intelligents et flexibles, afin qu’ils organisent le dur travail visant à repousser le danger actuel de perte totale de la patrie. Espérons qu’il n’est pas déjà trop tard.
La solution à ce problème existentiel urgent nécessite, d’une part, que l’Arménie se dote en priorité d’un système d’autodéfense moderne et puissant. D’autre part, avec la même importance, elle devrait se doter d’un organe qui crée une stratégie de haut niveau pour le salut national, et plus encore, d’un organe doté de la pleine capacité de traiter des questions politiques, dirigé par des individus qui ont la meilleure expérience, la ruse, les connaissances et surtout la capacité de prédire les mouvements futurs avec l’ingéniosité d’un maître d’échecs.
Il est clair que les autorités actuelles, après la défaite de la guerre de 44 jours, et après des échecs presque quotidiens, dont le dernier et le plus choquant a été la perte totale en 24 heures de l’Artsakh arménien vieux de plusieurs siècles, ne peuvent plus prétendent croire qu’ils sont capables de porter seuls cette grande responsabilité sur leurs épaules. Moralement, ils sont obligés de demander humblement le soutien et la coopération de tous les éléments compétents de notre peuple.
Autrement, ils ne sont pas autorisés à conduire involontairement l’Arménie jusqu’à signer un nouveau et honteux traité d’Alexandropol.
Traduction N.P.