La migration est le destin des Arméniens. Nous avons une histoire tragique de migration forcée. Bien sûr, la migration la plus spectaculaire qui mettait fin à toutes les migrations subséquentes a eu lieu dans le sillage du génocide de 1915, qui a déraciné la majeure partie de la population arménienne de sa patrie historique par l’Empire ottoman et l’a dispersée à travers le monde. Cette expérience hante chaque arménien et transcende les générations, si bien que chaque fois que nous voyons des réfugiés derrière des barbelés, chaque fois qu’un bateau rempli de réfugiés coule en mer, cela touche une corde très sensible au fond de nous.
Le flot actuel de réfugiés syriens inonde le Moyen-Orient, l’Europe et même l’Amérique du Nord, et est le résultat d’une tragédie humanitaire artificielle qui certainement aurait pu être évitée et demande aujourd’hui une attention et une action urgente.
Admettre ou refuser les réfugiés a dépassé la portée humanitaire pour devenir un problème politique, social, économique et psychologique. Les craintes et les soupçons sont ravivés et trouvent leur expression à travers des actions et des réactions politiques.
Cinquante pour cent de la population de Syrie est réfugiée en raison de la guerre civile brutale, qui déborde dans les pays voisins; chaque pays, l’UE et les Nations Unies ont tous été mobilisés pour répondre à cette question vitale d’ampleur mondiale.
Très semblable à l’époque du génocide arménien et de l’Holocauste juif, les pouvoirs en place pourraient intervenir et arrêter le carnage, mais ils ne le font pas. Si nous observons l’histoire, dans le cas de l’Allemagne, il y a même eu connivence avec le gouvernement ottoman. Plus tard, elle a mis en place des programmes humanitaires pour gagner la reconnaissance des victimes et des survivants. Aujourd’hui, certains des pays qui se posent comme des bienfaiteurs sont les principaux instigateurs cyniques de la tragédie. Cette affaire a été crûment exposée au cours d’un évènement déchirant à Paris, lorsqu’Eric Ouzounian, le père de Lola Ouzounian, l’une des victimes de l’attaque du 13 novembre, au Bataclan, a refusé de prendre part à un service commémoratif dédié à la mémoire des victimes et a blâmé le gouvernement français pour les attaques dans un article publié par le Huffington Post. En particulier, il a écrit : « La France mène une politique désastreuse au Proche-Orient depuis de nombreuses années. Nicolas Sarkozy a violé les résolutions du Conseil de sécurité des Nations Unies interdisant toutes sortes d’interventions par terre dans d’autres pays, a envoyé des troupes en Libye pour renverser Kadhafi, et s’est jointe à la coalition contre Bachar al-Assad, alors que ces pays ne sont pas les ennemis de la France. … Les présidents récents ont agi avec une légèreté inconcevable, dirigée par une vision à courte vue. Mais ce n’est pas la seule facette de la responsabilité du monde politique. »
Le blâme peut aussi s’étendre aux Etats-Unis et au Royaume-Uni mais surtout à la Turquie. Pourtant, la Turquie est récompensée pour son rôle dans le crime. En fait, la Turquie forme les criminels armés de l’EI et les renvoient vers la Syrie pour commettre leurs décapitations et saccages meurtriers qui aboutissent à l’exode des citoyens syriens vers les pays voisins.
Le Liban a accepté plus d’un million de réfugiés syriens, presque l’égal à un quart de sa population. La Jordanie en a admis plus de 600 000, tandis que la Turquie a été forcée d’admettre 1,8 million de réfugiés, qui n’auraient pas demandé l’asile si la Turquie n’avait pas piqué le nid de frelons et créé des troubles dans leur pays d’origine.
La Turquie a aidé les réfugiés à inonder le continent européen et à créer la panique. La ruse a réussi, et les pays de l’Union européenne (UE) réunis à Bruxelles ont prié Ankara de ralentir ou d’arrêter le flux de réfugiés, le récompensant par de très généreuses offres. La Turquie a reçu 3,2 milliards de dollars en aide pour son programme de réfugiés. Le plus grand avantage est que la chancelière allemande Angela Merkel a adouci sa position et l’UE a promis de reprendre les négociations au point mort avec la Turquie, en vue de son entrée dans l’Union européenne. Bien sûr derrière ces gestes magnanimes, il y a une politique plus globale en jeu. La Turquie était isolée dans son bras de fer avec la Russie et ces changements de politique symbolisent la solidarité des alliés avec la Turquie. Une dépêche récente de Russie suggère les autorités turques ont abattu l’avion russe qui bombardait l’EI pour les gains que reçoit la Turquie en pétrole pas cher de leur part, pétrole volé des oléoducs irakiens.
Le président Erdogan a dupé l’Occident qui a toléré ses bombardements de cibles kurdes en Syrie et en Irak, sous couvert de la lutte contre l’EI. Son aventure irresponsable d’abattre un avion militaire russe a amené à contrecœur les alliés de l’OTAN à son secours. Dans les deux cas, c’est le monde à l’envers.
Tout en participant à ces aventures de politique étrangère, le président Recep Tayyip Erdogan nourrit une bombe à retardement à l’intérieur du pays. Toutes les cellules terroristes en incubation en Turquie seront finalement matures et se retourneront contre lui parce qu’elles ne considèrent pas Erdogan et son parti suffisamment fondamentalistes face à l’islam, pratiquant la forme extrême de cette religion. Lorsque Oussama ben Laden a joyeusement tiré sur un Mig soviétique en Afghanistan grâce à des missiles Stinger fournis par les Etats-Unis, qui aurait pu imaginer qu’il pourrait prendre pour cible l’Occident, et jeter son dévolu sur le World Trade Center ?
Un drame humanitaire est en train de se dérouler en Europe alors que les réfugiés syriens tentent de couper les barbelés à la frontière de la Hongrie, et de marcher à travers le tunnel sous la Manche vers l’Angleterre.
De nombreux pays ont mis en place des quotas pour recevoir les réfugiés, le plus généreux étant l’Allemagne. La France est la suivante sur la ligne, malgré la menace de réaction politique par l’extrême droite de Marine Le Pen, qui aspire à prendre la présidence, en jouant sur les craintes xénophobes de la population, déjà amplifiées par les récentes attaques.
Le Canada recevra 25 000 réfugiés syriens, mais la promesse du président Obama d’admettre 10 000 réfugiés, et d’opposer son veto fait face à l’opposition du Congrès des Etats-Unis.
Les sondages indiquent que 53% à 56% de la population des Etats-Unis est contre l’admission de réfugiés musulmans. Qui sait à quoi ressemblent ces réfugiés syriens ? Quelqu’un a répondu : le père biologique de Steve Jobs, était en effet un immigrant syrien. Imaginez si Albert Einstein avait été sur le paquebot allemand St-Louis parmi les 937 passagers, presque tous juifs, lorsque le navire a été forcé de quitter le port de Miami et de retourner en Europe. Plus d’un quart des passagers sont décédés plus tard au cours de l’Holocauste.
Le Président Frank D. Roosevelt suspectait que certains espions nazis avaient pu se glisser parmi les réfugiés juifs, il a donc limité leur entrée aux États-Unis.
Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, l’immigration juive, peut-être plus que tout autre groupe, a transformé l’Amérique culturellement, scientifiquement et philosophiquement. Dans un sens, ils ont transféré les meilleures traditions de l’Europe vers les États-Unis.
La phobie anti-immigrés du président Roosevelt s’est également tournée contre la minorité japonaise du pays. 120 000 personnes d’ascendance japonaise vivant sur la côte Ouest ont été arrêtées et détenues sans accusations durant la Seconde Guerre mondiale. Elles ont été brutalement envoyées dans des camps d’internement pendant toute la durée de la guerre. Bien sûr, le gouvernement des Etats-Unis a présenté des excuses aux victimes de cette politique et elles ont été indemnisées financièrement plus tard.
Les craintes d’aujourd’hui peuvent se justifier et certaines brebis galeuses peuvent franchir les frontières avec des réfugiés légitimes, eux-mêmes victimes du terrorisme et fuyant ces mêmes terroristes qui ont l’Occident dans leurs mires. Près de 30 gouverneurs, principalement des républicains, ont exprimé leur position contre l’admission de réfugiés dans leurs états, mais l’immigration est régie par la politique fédérale.
Le président Obama a déclaré, « Quand j’entends les gens dire que peut-être nous devrions simplement admettre les chrétiens et non les musulmans, quand j’entends des dirigeants politiques suggérer un test religieux pour toute personne fuyant un pays déchiré par la guerre, lorsque certaines de ces personnes sont issus de familles qui ont bénéficié d’une protection alors qu’ils fuyaient la persécution politique, c’est honteux. Ce n’est pas américain. Ce n’est pas ce que nous sommes. Nous ne disposons pas d’un test religieux pour avoir de la compassion. »
Les immigrants ont fondé ce pays et il ne peut se tourner contre sa raison d’être. Dix mille réfugiés ne représentent qu’une goutte d’eau dans un océan de 350 millions d’habitants.
Le Secrétaire général des Nations Unies, Ban Ki-Moon, a critiqué les contrôles aux frontières dans un appel à l’Europe pour répondre à la crise des réfugiés avec « compassion, solidarité et responsabilité partagée. »
L’Arménie fait montre de compassion en accueillant 17 000 réfugiés syriens, au troisième rang en Europe en termes d’admission des réfugiés. Le directeur des Amis Européens de l’Arménie, Eduardo Lorenzo Ochoa, a écrit dans un article que « l’Arménie montre à l’Europe comment accueillir les réfugiés. » La plupart des réfugiés syriens en Arménie sont d’origine arménienne, mais il y a aussi des Yézidis et des Assyriens qui ont fait de l’Arménie leur maison. M. Ochoa conclut : « L’approche de l’Arménie à la crise actuelle est la suite directe de cette tradition louable, et prouve que l’Arménie possède entièrement et indéniablement les valeurs de la communauté européenne. »
Bien que l’Arménie soutiennent les valeurs européennes, l’Union européenne n’a pas de plans pour soutenir les réfugiés en Arménie, après l’envoi de 3,2 milliards de dollars à la Turquie pour la cause.
Un mot doit être dit sur les pays qui ont contribué à la crise en Syrie en armant les terroristes : l’Arabie saoudite, le Koweït, le Qatar et Bahreïn n’ont accepté aucun réfugiés bien que leurs signatures tachées de sang marquent le destin de ces réfugiés.
Nadim Houry, directeur adjoint pour l’Orient, l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient de Human Rights Watch, a qualifié l’inaction de ces pays riches face à la crise syrienne de « honteuse. »
Ces réfugiés n’ont pas choisi d’eux-mêmes de se précipiter en Europe ou en Amérique. Ils vivaient, en effet, dans un pays stable et nous pouvons même ajouter, prospère, jusqu’à ce que l’Occident ait décidé qu’un changement de régime était nécessaire.
La morale de l’histoire est de ne pas bombarder et détruire des pays stables, pour ensuite feindre la charité pour les victimes.
Traduction N.P.