Editorial écrit en anglais par Edmond Y. Azadian et publié dans The Armenian Mirror-Spectator en date du 10 avril 2015.
Le programme nucléaire de l’Iran qui mettait au point sa première bombe avait créé une situation explosive au Moyen-Orient, et avait, à de nombreux égards, un impact sur les relations dans la région. Le bras de fer entre l’Iran et Israël définit non seulement la politique régionale, mais aussi les relations internationales. Les chefs religieux d’Iran ont fourni dans le passé des munitions aux extrémistes d’Israël afin de justifier une attaque préventive et tirer sur les réticences de Washington.
Deux années d’intenses négociations entre les Six (Etats-Unis, Russie, Chine, Allemagne, France et Grande-Bretagne) et l’Iran a finalement donné quelques résultats positifs, à Lausanne, Suisse. L’Iran a accepté de revoir à la baisse son programme nucléaire durant cinq à dix ans, et autorise des inspections internationales intrusives. En retour, les Etats-Unis et la communauté internationale ont promis de lever les sanctions qui paralysent l’économie iranienne.
Avec la perspective d’une vie meilleure, il y a de l’exaltation dans les rues de Téhéran, sauf de la part des radicaux iraniens ainsi que des adversaires du président Obama, sans mentionner les opposants au Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu, qui contestent l’accord.
Selon cet accord, qui sera finalisé le 30 juin, l’Iran a accepté de réduire le nombre des centrifugeuses en fonction des deux-tiers, à 5 600, et de diminuer son stock actuel d’uranium faiblement enrichi de 10 000 kg à 300 kg, durant 15 ans.
Alors que le président Obama a salué l’accord comme « l’occasion unique d’une vie » pour freiner la propagation des armes nucléaires dans une région dangereuse, le premier ministre d’Israël a répondu que « pas une seule centrifugeuse n’est détruite, pas une installation nucléaire n’est arrêtée, y compris les installations souterraines qu’ils ont construites illégalement. Des milliers de centrifugeuses vont poursuivre l’enrichissement d’uranium. C’est un très mauvais accord. »
Ce que M. Netanyahu voulait dire mais n’a pas achevé, l’a été par l’ancien ambassadeur de George W. Bush aux Nations Unies, John Bolton, qui avait intimidé et insulté chaque diplomate décent au cours de son mandat controversé. Dans un éditorial dans le New York Times, Bolton a offert son propre remède au problème nucléaire iranien : il a clairement préconisé le bombardement de l’Iran, quelles qu’en soient les conséquences, en ignorant complètement le fait que ce genre de politique néo-conservatrice pourrait transformer le Moyen-Orient en un bain de sang sans fin.
Le discours de M. Netanyahu devant le Congrès américain a été un affront au président Obama, sans oublier qu’il avait le pouvoir législatif d’Amérique dans sa poche, et qu’il peut paralyser les actions de l’exécutif quand il le souhaite. L’ingérence de M. Netanyahu dans la politique intérieure des États-Unis a transformé l’affaire iranienne en une question partisane, opposant les républicains aux démocrates. Quarante-sept sénateurs républicains ont écrit une lettre de menaces à l’intention de l’Iran, sapant l’autorité du président Obama. Alors que son voyage à l’étranger juste avant les élections aurait pu persuader de la nécessité d’un autre mandat pour M. Netanyahu avec le soutien de l’extrême-droite, son prestige dans le monde ainsi qu’auprès des Israéliens modérés et libéraux a chuté.
M. Obama lui-même n’aurait pu poursuivre une politique indépendante vis-à-vis du chef maximaliste d’Israël, n’eût été des divisions que M. Netanyahu lui-même avait créées au sein de la communauté juive elle-même.
En effet, un puissant groupe de pression juif, le J Street Group, tant en privé qu’en public, a tenté de bloquer le discours de M. Netanyahu devant le Congrès, en lui disant que l’opinion publique américaine prise pour acquis pouvait engendrer une réaction contre Israël. Bien que J Street n’ait pu arrêter l’allocution du Premier ministre israélien au Capitol, il a du moins fait preuve d’une certaine solidarité avec M. Obama dans son affrontent avec le dirigeant israélien.
Malgré l’appel de conciliation de M. Obama au Premier ministre israélien, ce dernier a poursuivi son attaque vitriolique de l’affaire iranienne. M. Netanyahu a admis, au fond, que l’accord jouissait du consensus de la communauté internationale, tout en ayant l’œil sur cette affaire.
L’étape suivante porte sur la question palestinienne. Après ses aller-retours sur une solution à deux Etats, le dirigeant israélien devra faire face une fois de plus aux exigences de la communauté internationale. En effet, la France placera bientôt à l’ordre du jour du Conseil de sécurité des Nations Unies, la question d’un Etat palestinien. M. Netanyahu extraira un prix de l’administration Obama en échange de sa rhétorique sur l’affaire iranienne; il pense que l’administration Obama utilisera son droit de veto pour contrer la proposition française.
M. Obama a invité l’éminent journaliste Thomas L. Friedman à la Maison Blanche pour lui expliquer sa doctrine. M. Friedman est un vendeur habile et suave de la politique israélienne. Il est un chroniqueur poli, autoritaire et convaincant et sous prétexte de critiquer les excès de la direction politique israélienne, il peut adroitement les défendre et les justifier.
Selon l’article de M. Friedman dans le New York Times, M. Obama perçoit l’affaire iranienne dans le cadre de sa vision mondiale. Les États-Unis n’ont pas besoin de convaincre quiconque qu’ils sont la plus grande puissance mondiale. Basé sur ces prémisses, le président Obama a assoupli les relations avec la Birmanie, Cuba et maintenant l’Iran. Nous pouvons également ajouter sa réticence à sauter dans la mêlée syrienne ou à participer (directement) à l’agression contre la Libye.
La doctrine Obama a contribué à la détente dans de nombreuses régions, la Russie reste un point sensible où il semble que les faucons de la guerre froide ont encore leur mainmise.
Les Etats-Unis et l’Iran poursuivent entre eux une politique très complexe; tout en négociant un important accord nucléaire pour une région paisible, les Etats-Unis et l’Iran se battent l’un contre l’autre en Syrie, et soutiennent par procuration des partis opposés au Yémen (Téhéran finançant les rebelles Houthi, les Etats-Unis soutenant les frappes aériennes saoudiennes), et dans la guerre en Irak coopère tacitement à vaincre l’EI à Tikrit.
Une fois l’accord nucléaire scellé en juin prochain, l’Iran s’imposera comme une puissance importante au Moyen-Orient, éclipsant l’Arabie saoudite et son éternel rival, la Turquie. C’est pourquoi Ankara a critiqué Téhéran et s’est jointe au président yéménite déchu Abd Rabo Mansour Hadi dans sa campagne yéménite.
L’Arménie et l’Iran sont en bons termes, mais ils n’ont pas utilisé le plein potentiel de leur coopération parce que l’Iran était sous sanctions et considéré comme une nation paria. Bien que Washington comprenne les options limitées de l’Arménie dans son traitement avec l’Iran, leur coopération est demeurée suspecte aux yeux des dirigeants américains.
Si la présente entente s’avère être une solution viable, l’Iran pourra interagir avec les puissances régionales dans la résolution de nombreuses autres questions insolubles. Un tel problème pourrait être les prétentions de l’Azerbaïdjan sur le nord du territoire iranien.
L’Arménie a salué l’accord-cadre sur le programme nucléaire iranien. L’accord « permet de parvenir à un règlement global, » a déclaré le ministre des Affaires étrangères d’Arménie Edouard Nalbandian. « Les sanctions ont troublé nos relations avec l’Iran, » a rajouté le ministre adjoint des Affaires étrangères Shavarsh Kotcharian.
Selon les données du gouvernement, le volume des échanges commerciaux de l’an dernier, entre les deux pays, était de 291 millions de dollars, qui s’élevait à seulement 5% du commerce extérieur total de l’Arménie.
Les sanctions ont mis le holà sur la mise en œuvre de projets d’énergie arméno-iraniens, comme la construction d’une centrale hydroélectrique de 350 millions de dollars sur la rivière Arax. Les deux pays ont également l’intention de construire une ligne de transmission à haute tension qui permettra à l’Arménie d’exporter plus d’électricité vers l’Iran et importera des volumes plus importants de gaz naturel iranien. Le tourisme sera également un grand potentiel, l’Arménie étant une société ouverte qui offrira des alternatives plus attrayantes aux voyageurs iraniens.
La réhabilitation politique de l’Iran calmera surtout les ambitions pan-turquistes de la Turquie dans la région, et agira comme un équilibre dans la politique du Caucase.
Israël et les Etats-Unis sont plus préoccupés par la menace d’une bombe nucléaire iranienne. Mais imaginez ce que seraient les retombées pour l’Arménie et toute la région si M. Netanyahu avait eu l’occasion d’une « attaque préventive » ou si la gâchette de John Bolton et de ses semblables étaient au pouvoir à Washington.
Heureusement, la bombe iranienne n’a pas été fabriquée et la bombe de M. Bolton n’a pas explosé, et la région peut donc profiter des avantages d’une perspective pacifique.
Traduction N.P.