La seconde intervention du président Hollande

Editorial écrit en anglais par Edmond Y. Azadian et publié dans The Armenian Mirror-Spectator en date du 4 février 2016

French textA la suite du verdict de la Cour européenne des droits humains dans la cause de la Suisse contre Perinçek, en octobre dernier, il est rafraîchissant et rassurant d’entendre un important chef d’Etat européen se lever et défendre les Arméniens. En effet, le président de la France, François Hollande, a prononcé un puissant discours à Paris le 29 janvier lors du banquet annuel organisé par le Conseil de Coordination des Organisations Arméniennes de France (CCAF) et s’est solennellement engagé à déposer un projet de loi devant le Parlement français criminalisant la négation du génocide arménien.

Par ailleurs, contrairement aux Etats-Unis, des groupes de pression arméniens en France coopèrent dans un cadre unique, malgré les différences traditionnelles et les animosités qui affligent leurs partis politiques. La FRA a des liens étroits avec le parti socialiste au pouvoir et l’ADL (Ramgavar) et d’autres groupes et individus sont affiliés au RMP, le parti à tendance de droite.

Le banquet annuel du CCAF est devenu une tradition où des personnalités influentes de la communauté se rassemblent. Par conséquent, un président ou un politicien ne peuvent manquer l’occasion de s’y présenter. Cette fois-ci, parmi les participants, il y avait le légendaire chanteur Charles Aznavour, la mairesse de Paris, Anne Hidalgo et le professeur arméno-américain de la Sorbonne Mark Moogalian, qui a lutté contre un terroriste dans le train Paris-Bruxelles. Les deux derniers ont, d’ailleurs, reçu un prix lors du banquet.
Le clou de la soirée a été l’apparition du président français, qui a prononcé un bon discours décrivant la cause de la justice présentée par la reconnaissance du génocide arménien dans le cadre des valeurs et des politiques françaises. Il a fièrement déclaré qu’il s’était rendu à Erévan à l’occasion de la commémoration du centenaire du génocide, représentant non seulement les personnes présentes au banquet mais son pays, la France, afin de soutenir la lutte internationale pour la justice.
Tout en explorant les crises actuelles dans le monde, en particulier le problème des réfugiés, il a indiqué que les réfugiés d’aujourd’hui proviennent des mêmes lieux que le génocide arménien, Der Zor et Alep.
Le président français a parlé des deux phases de la reconnaissance du génocide arménien par la législature française : En 2001, le Parlement français a adopté une résolution reconnaissant le génocide arménien. Cependant, en 2012, la Cour constitutionnelle française a invalidé une autre loi pénalisant la négation du génocide arménien. Le président a fait preuve d’assez de dignité pour ne pas blâmer son prédécesseur – et adversaire – le président Nicolas Sarkozy, qui était le véritable coupable. En effet, à la suite de l’adoption de la loi par le Parlement, il y avait assez de temps pour que le président signe et finalise le processus, mais Sarkozy, qui avait promis à la communauté arménienne, les larmes aux yeux, qu’il ratifierait la loi, a permis à ses adversaires de recueillir suffisamment de voix à la Cour constitutionnelle afin d’annuler le vote du parlement.
Le président français a douloureusement rappelé le cas Perinçek qu’il a qualifié d’une autre défaite, non seulement une perte pour le génocide arménien, mais aussi une perte pour la France.
La France a déjà une loi sur les livres (Loi Gayssot) criminalisant la négation de l’Holocauste juif. Pourtant les experts juridiques peuvent couper les cheveux de différente manière mais ne peuvent démontrer qu’il existe une « différence » entre les deux cas.
Le public présent a appris que le président avait demandé à l’ancien président de la Cour européenne des Droits humains, Jean-Paul Costa, d’ailleurs présent, d’élaborer une loi « dans un court laps de temps » afin de criminaliser la négation du génocide arménien de manière à résister à toute contestation.

Dans sa conclusion, Hollande a indiqué que l’Arménie était prête à se joindre à l’Europe comme sa voisine, la Géorgie. Peut-être le président français aurait dû se souvenir que l’Arménie a mérité de faire partie de l’Europe depuis la Première Guerre mondiale, alors que à travers la France et ses alliés, et par le biais de la Légion arménienne et les soldats de l’armée russe, elle a contribué à la victoire des Alliés.
Cependant, les prédécesseurs de M. Hollande ont renié leurs promesses de fournir des lois aux Arméniens de Cilicie sous protectorat français. Si le plan de Cilicie avait survécu, l’Europe aurait étendu sa présence vers l’Asie Mineure, et aujourd’hui l’Occident ne serait pas obligé de mendier à la Turquie l’utilisation de sa base aérienne d’Incirlik, qui se trouve au cœur de la Cilicie, à Adana.
La promesse de M. Hollande de faire adopter la nouvelle loi représente-t-elle la revanche de l’histoire ? Les grandes puissances ne laissent pas le remords jouait un rôle dans leur prise de décision, peu importe le coût pour l’autre joueur.

Maintenant que l’Arménie n’a pas trop d’amis qui peuvent se tenir à ses côtés sur la scène politique internationale, nous n’avons d’autre choix que d’être reconnaissant à la France pour cette nouvelle initiative. Mais nous devons également leur rappeler que cette action constitue le minimum pour leur trahison historique en Cilicie, alors que les troupes françaises, après avoir assuré les Arméniens de leur protection, ont évacué la Cilicie à la dérobée, laissant la population arménienne désarmée à la merci des forces kémalistes.
Bien que Hollande ait assuré à son auditoire que son engagement n’était pas lié aux élections, la politique en Europe connait de nombreuses soubresauts et tribulations, en particulier en ce qui concerne les questions relatives aux Arméniens.
Les militants franco-arméniens méritent notre reconnaissance. Cela n’est pas la première fois qu’ils sont en mesure d’inviter le président du pays à une activité arménienne. Aux Etats-Unis, avec toute la fanfare possible, les Arméniens ont été en mesure d’obliger le vice-président Joe Biden à assister à une messe, à Washington, en mai dernier, lors des commémorations du centenaire. La participation n’entraine pas nécessairement l’approbation politique. En travaillant ensemble aux Etats-Unis, serons-nous peut-être en mesure de mobiliser et de politiser un plus grand nombre de citoyens, et ainsi d’avoir plus de visibilité sur le radar politique.
A ce stade, nous nous félicitons de la seconde intervention de M. Hollande et attendons avec impatience qu’il tienne sa promesse.

 

Traduction N.P.