Les journaux, écrans de télévision et Internet sont inondés d’histoires et de photos de réfugiés qui se précipitent dans et autour de la Méditerranée. Les caravanes humaines sur terre et sur mer dans des navires rachitiques évoquent des souvenirs d’antan, alors que des réfugiés émaciés marchaient sur certaines de ces mêmes routes, des Arméniens qui cherchaient refuge, la paix et la survie de leurs familles, dans un pays prêt à les recevoir.
Par conséquent, toutes ces images et reportages ont une résonance très profonde pour les Arméniens, descendants des rescapés du génocide.
L’histoire se répète, mais cette fois il s’agit de Syriens, d’Irakiens et de Libyens.
Certains gouvernements européens, comme celui de l’Allemagne, ont fait preuve d’empathie envers ces personnes déracinées. D’autres, comme le gouvernement hongrois, traitent les êtres humains comme autant de têtes de bétail, alors que ces derniers tentent de traverser les terres hongroises pour atteindre les pays du Nord. Il est ironique que la Hongrie, qui, jusqu’à un peu plus de deux décennies souffrait économiquement en raison du rideau de fer, puisse faire montre de si peu de sympathie.
Dans les deux cas – charitable ou non – il y a dans toute cette situation beaucoup d’ironie. Les personnes qui frappent à la porte de l’Europe sont dans cette position, non pas parce qu’elles ont décidé du jour au lendemain d’abandonner leurs habitats et de chercher refuge en Europe. Elles sont les victimes d’une catastrophe humanitaire éclatée artificiellement dans leurs pays, conçue par les mêmes puissances dans les bras desquels ils se jettent.
À la fin de la Première Guerre mondiale, les Arméniens qui avaient survécu au génocide sont devenus les sujets de ce même dilemme moral, parce que les Alliés – en particulier la France et la Grande-Bretagne – avaient déjà signé les accords Sykes-Picot de 1916, se divisant entre eux les terres ottomanes, sans prévoir de patrie pour les Arméniens. Même les 150 000 Arméniens qui se sont vus promettre une patrie en Cilicie ont été traitreusement abandonnés par le gouvernement français dont l’armée avait fui secrètement, laissant les Arméniens sans défense à la merci des forces turques.
(NDLR. Accords Sykes-Picot, accords secrets signés le 16 mai 1916, entre la France et la Grande-Bretagne, avec l’aval des Russes et des Italiens, prévoyant le partage du Proche-Orient à la fin de la guerre, espace compris entre la mer Noire, la mer Méditerranée, la mer Rouge, l’océan Indien et la mer Caspienne, en plusieurs zones d’influence au profit de ces puissances, dans le but de contrer les revendications ottomanes).
Plus tard, lorsque les réfugiés ont atteint le port de Marseille, la France est devenue leur sauveur, et mérite notre gratitude pour ce geste humain à retardement.
Le même destin a été imposé aux Arméniens ainsi qu’à la population grecque de Smyrne, jetés à la mer en 1922.
Avant 1990, l’Irak était un pays stable et prospère. Les provocations des pays humanitaires d’aujourd’hui ont incité à la rébellion, sans pouvoir maintenir la paix et l’intégrité du pays, tout en offrant une occasion propice aux médias occidentaux de diaboliser son leadeur, en vue de l’agression qui en a suivi.
Le même scénario s’est répété en Libye et en Syrie.
Les planificateurs de ces tragédies ne savaient pas, ou plutôt ne se souciaient pas, des conséquences de leurs actes. Aujourd’hui, ils ont un énorme problème de réfugiés sur les bras. L’ironie est que certains journalistes essaient de rationaliser et de justifier ce grabuge en concoctant des théories sur l’incompétence des Moyen-orientaux pour l’autonomie, que les régimes autoritaires qu’ils étaient ont causé le chaos actuel, malgré l’agression militaire de l’Occident.
L’ancien vice-président Dick Cheney, l’un des architectes du chaos actuel, est sorti de son forteresse pour publier son troisième livre « The Exceptionnel. » Il accuse le président Obama d’avoir refusé de suivre son modèle de bains de sang, et d’avoir eu recours à la diplomatie pour résoudre les conflits insolubles du Moyen-Orient. Incidemment, M. Cheney avait aussi l’Iran dans sa ligne de mire, à réduire à néant, tout comme le sort de la Syrie, de l’Irak et de la Libye, mais il n’a pas eu le temps d’atteindre son but. L’objectif de son nouveau livre est de persuader le prochain président qu’il y a là une mission inachevée. Bien sûr, la langue utilisée est totalement différente, mais pour inciter au même résultat, il insinue que le président Obama est faible, qu’il hésite et sape la grandeur de l’Amérique (et son exceptionnalisme), surtout depuis qu’il est pas fort sur le côté militaire, ce qui signifie qu’il réfrène les fabricants d’armes et les commerçants.
L’agression étrangère contre la Syrie en 2011 (« guerre civile » est un terme inapproprié) a créé 9 millions de réfugiés. Plus de 3 millions de personnes ont fui vers les pays voisins, la Turquie, le Liban, la Jordanie et l’Irak. Un autre 6,5 millions sont des déplacés internes. La Turquie et la Jordanie se plaignent de l’afflux de réfugiés syriens, mais ont servi comme substituts aux puissances occidentales pour fomenter la guerre en Syrie.
Le colonel Mouammar Kadhafi avait créé une société égalitaire en Libye, il était certes une tête excentrique de l’Etat. Mais aucun citoyen n’était motivé à abandonner ce pays riche, et à devenir un réfugié jusqu’à ce que la Libye ait été envahie, et que son président ait été tué de la manière la plus atroce, divisant le pays et le rendant vulnérable à l’extrémisme islamique.
Alors que certains bateaux sombrent dans la Méditerranée, et que d’autres se rendent sur les côtes d’Italie et de Grèce, de nombreux réfugiés de Somalie s’y pressent également. Le sort des Somaliens a été scellé bien avant. L’homme fort Mohammad Siad Barre a dirigé la Somalie de 1969 à 1991. Durant son règne, il n’y avait pas de pirates dans la Corne de l’Afrique, et les voies maritimes étaient en sécurité pour les navires de la marine marchande transportant le pétrole des pays du Golfe vers l’Europe via la mer Rouge. M. Barre était maintenu au pouvoir sous la tutelle de l’Union soviétique,. Il s’est tourné vers les Etats-Unis, et a été renversé après une guerre avec le régime marxiste d’Ethiopie. Depuis lors, les Somaliens fuient vers les pays arabes et européens, ce qui aggrave le problème des réfugiés.
Un effet corolaire de cette crise des réfugiés est le conflit entre les différents groupes d’Europe. Les Kurdes et les Turcs constituent la première vague de réfugiés, principalement en Allemagne, en Hollande et en Autriche. La violence entre les Kurdes et les Turcs s’est étendue à l’Allemagne, où les Loups gris turcs ont coupé la gorge d’un manifestant kurde à Hanovre, et un Turc a délibérément heurté des manifestants kurdes à Berne, en Suisse, blessant cinq personnes.
Il existe également des rapports voulant que les taupes accompagnent les réfugiés afin de devenir des agents djihadistes dormants en Europe.
Les Arméniens sympathisent avec ce nouveau flux de réfugiés, et assistent à nouveau à la duplicité des grandes puissances qui jouent sans scrupule avec le destin des petites nations, tout en se créant des problèmes.
Le prix à payer du cynisme politique qui sévit actuellement dans les pays européens est ce problème de réfugiés.
Traduction N.P.