Le destin du Patriarcat de Jérusalem

Editorial écrit en anglais par Edmond Y. Azadian et publié dans The Armenian Mirror-Spectator en date du 31 mars 2016

Au cours des dernières années, les scandales sexuels qui affligent l’Eglise catholique aux Etats-Unis et ailleurs sont devenus routiniers. Ces scandales font la manchette et ont affaibli l’Eglise catholique, qui en plus d’être une institution religieuse, est aussi une puissante force politique. Par exemple, Le pape François aurait joué un rôle important dans le rapprochement des Etats-Unis avec Cuba.
Tant qu’il y aura une telle institution puissante avec un poids politique impressionnant, il y aura d’autres forces offensées ou blessées qui auront recours à tous les moyens à leur disposition – dans ce cas, les médias – pour riposter.
Cela dit, les prêtres catholiques pris en flagrant délit ne peuvent être absous et les tribunaux ont distribué des verdicts de culpabilité dans de nombreux cas, ce qui a entraîné l’embarras et d’énormes dégâts pour l’église et ses coffres.
La question du célibat du clergé est considéré comme la cause première de ces abus alors que l’Eglise catholique demeure obstinément attachée à cette pratique anachronique. L’Eglise catholique a connu de nombreuses réformes, et doit faire face à encore plus, mais la question du célibat du clergé n’est pas à l’ordre du jour.
Dans les médias, c’est le plus souvent l’Eglise catholique qui semble se distinguer. D’autres confessions rencontrent certainement des problèmes similaires, mais nous l’apprenons par hasard et plus rarement.
Lorsque l’on ne dispose pas de faits tangibles à portée de main, la théorie du complot reste une route très périlleuse. En extrapolant les faits, vous pouvez affirmer avec une certaine confiance qu’une telle conspiration existe mais sa motivation est une lutte de pouvoir.
Les factions belligérantes comptent toujours sur les faiblesses de l’adversaire pour les exploiter et marquer des points ou la victoire. Et l’Eglise catholique – ou son clergé coupable – a été exposé à ces faiblesses.
Cette introduction a pour but de définir les paramètres de ce problème multidimensionnel.
Maintenant, il semble que le scandale est frappe à la porte de l’Eglise arménienne. Des informations circulent dans les points de presse israéliens et arméniens, ainsi que sur les médias sociaux sur les abus sexuels perpétrés par le clergé arménien.
Le scandale a de nombreux composants. Les Arméniens faisant partie de la race humaine, ils sont également affligés des vices humains. Un élément de fierté primitif nous place parfois sur le mode d’auto-négation. Nous pensons qu’il ne peut y avoir de toxicomanie parmi les Arméniens, ni de violence domestique, ni de prostitution, etc. En réalité, tout cela fait partie intégrante de notre tissu social. La question est de savoir comment les identifier, trouver les causes profondes et les affronter de façon réaliste, les traiter avec prudence.
Au cours de la dernière semaine de février, un canal de télévision israélien appelé « Israël Aujourd’hui » a diffusé un documentaire de 15 minutes intitulé « Les démons du passé », dans lequel un accusateur, Hrayr Yezegelian, est entré au monastère arménien de Saint-Jacques à Jérusalem et a fait face au Frère Khat Jundurian, qui l’aurait agressé sexuellement à 13 ans alors qu’il était élève du séminaire.
A voir le clip vidéo qui circule sur Facebook, il semble qu’il a été soigneusement chorégraphié et mis en scène.
La même victime présumée, M. Yezegelian, 38 ans, a également accusé l’archevêque David Sahakian, qui était le doyen du Séminaire de Jérusalem en 1990. Selon le quotidien Le Progrès, une poursuite a été déposée contre l’archevêque le 22 juillet 2013, et le 22 janvier 2015, les organismes d’application de la loi française ont lancé une enquête. Il a été accusé d’abus sexuel sur un enfant de moins de 15 ans. L’archevêque est décédé à la mi-mars à Décines (Rhône), France, à l’âge de 81 ans. Il avait été au service du diocèse de Lyon en France.
Selon un écrivain bien informé, Nahabed Melkonian, qui a publié un article sur Internet (Lorsque la boîte de Pandore a été ouverte), un autre prêtre de la Fraternité de Saint-Jacques, le père Norayr Kazazian, a rencontré Frère Khat à Bethléem, en lui demandant d’admettre sa faute et présenter des excuses à Hrayr Yezegelian. Au cours de trois visites consécutives, il a secrètement enregistré « les confessions » de Frère Khat, probablement pour être utilisée par le producteur de l’émission à la télévision.
L’élément intéressant à noter est que la victime présumée a avoué sur Facebook : « Cette personne a trouvé la proie parfaite en moi, et a abusé de moi pendant des années, même longtemps après avoir quitté le séminaire. »
Cela soulève la question de savoir pourquoi il est revenu au séminaire après l’avoir quitté s’il était offensé par le comportement de son agresseur.
A la suite de la diffusion du documentaire à la télévision, un avocat, Roni Aloni-Sdovnik, a déposé une plainte contre le patriarcat, à la recherche de 15 millions de shekels israéliens en dommages et intérêts.
Officiellement, le Patriarcat est resté, à ce  jour, silencieux.
L’incident a plusieurs dimensions: a) La véracité de l’accusation qui à son tour touche la point suivant, b) la question du célibat, et c) les gains de la station israélienne qui a diffusé l’incident tout en impliquant le patriarcat, au-delà du présumé coupable en particulier.

Une vérification des antécédents révèle qu’après l’occupation de l’armée israélienne de Beyrouth, au Liban, en 1982, la famille Yezegelian a été déplacée à Jérusalem, où le patriarcat leur a fourni des logements, selon une tradition de longue date. Les trois frères ont été inscrits au séminaire, mais ont choisi de ne pas entrer dans la prêtrise. Hrayr, à l’âge de 38 ans, semble être un étudiant à vie, il poursuit des études de psychologie. Il semble également être un vagabond, et avoir besoin d’une aide psychologique.
En attendant, il a décidé de se joindre à l’Eglise mormone. Pendant de nombreuses années, l’abus sexuel présumé ne le dérangeait pas assez pour qu’il prenne des mesures. Il a accusé ses agresseurs présumés seulement après l’expiration du délai de prescription. Lors d’une collaboration douteuse, le Frère Norayr Kazazian a secrètement filmé la confession du Frère Khat devant Jundurian. Il a également invité la télévision israélienne à filmer la confrontation entre la « victime » et l’« agresseur » tout en interférant au cours d’un service religieux.
Nous ne pouvons pas absoudre les prédateurs et nous pouvons sympathiser avec la « victime » uniquement si l’accusation est fondée. Mais le dénouement théâtral de la situation sent le roussi. Le peuple et la chaîne de télévision sont allés trop loin et leurs actions et ne passent pas le test de l’odorat. Si Hrayr avait effectivement été victime, il est à nouveau victime cette fois en compagnie du Patriarcat, qui fait face à l’embarras public, bien au-delà de la poursuite de 15 millions de shekel.

La chaîne de télévision Israel Today n’a pas encore consacré un documentaire sur les étudiants de Yeshiva qui régurgitent au visage du clergé arménien et profanent les murs des églises, alors que la police et les tribunaux les ignorent.
Une autre enquête sur la même chaîne de télévision pourrait porter sur les causes de la diminution de la communauté arménienne à Jérusalem. En effet, en 1967, la communauté arménienne de Jérusalem comptait 10 000 à 15 000 âmes. Aujourd’hui, le nombre est inférieur à 1 500.
Même si l’accusation de Hrayr Yezegelian n’a aucun fondement, nous ne pouvons exclure des abus dans un cadre monastique, où des prêtres célibataires mâles vivent ensemble.
Jusqu’au cinquième siècle, le Catholicos et les archevêques arméniens étaient mariés et fondaient des familles. Peu à peu, le célibat a fait incursion dans l’église, avec des moines ascétiques qui sacrifiaient les plaisirs du monde et faisaient vœu de célibat. Il y avait même des moines ascétiques qui ont conduit l’auto-punition à l’extrême en vivant sur des piliers durant de nombreuses années. L’auto-flagellation des prêtres célibataires est poétiquement décrite dans le livre des Lamentations de Grégoire de Narek.
Les prêtres célibataires pratiquaient la vie monastique dans l’isolement. Les monastères étaient appelés Anabat (désert ou dans le désert).
Mgr Malachia Ormanian déclare dans son livre, « L’Eglise arménienne », que les prêtres célibataires ne pouvaient pas prendre de positions pastorales, ni effectuer les sacrements du mariage et des funérailles, parce qu’ils n’étaient pas censés entrer en contact avec les paroissiens ou le public.
Dans le monde globalisé d’aujourd’hui, ces canons ont perdu de leur utilité. Les prêtres célibataires n’observent plus les rigueurs de la vie monastique ; ils sont en public. La tentation est irrésistible, et la conséquence en est la promiscuité et les abus sexuels. L’une des priorités de la réforme de l’Eglise arménienne doit être l’abolition du célibat, qui est pourtant rarement pratiquée. L’élimination du célibat n’est pas la panacée, mais va certainement réduire le nombre de cas, certains seront honnêtes et soulageront l’église de l’hypocrisie. Après tout, ce n’est pas le célibat qui crée la maltraitance des enfants, mais des gens qui peuvent vivre avec un pseudo-célibat peuvent souvent être près d’enfants, c’est pour eux une manière idéale de trouver des victimes.
Les Arméniens occupent un quart de la vieille ville de Jérusalem – un chiffre disproportionné par rapport à la taille de la population. En plus de nombreuses églises et monastères, le patriarcat est également le principal propriétaire immobilier.
La Fraternité de Saint-Jacques à Jérusalem a toujours été une source de fierté et d’embarras. Durant des siècles, il a formé le clergé pour les Eglises arméniennes à travers le monde. De nombreux volumes scientifiques y ont été imprimés. Et, le Patriarcat de Jérusalem abrite la plus grande collection de manuscrits enluminés après le Matenadaran d’Erévan. Mais il a aussi secoué le monde arménien par ses scandales sporadiques, avec des biens mobiliers « perdus » de temps en temps, des manuscrits et des calices qui disparaissent, et les abus sexuels et la promiscuité signalés de temps à autre. Parfois, certains prêtres sont dignes de blâme. Mais les possessions du Patriarcat sont la principale raison de l’empiètement par d’autres.
De nombreuses méthodes disgracieuses ont été mises en œuvre par d’autres ordres religieux ainsi que le gouvernement israélien, notamment l’escroquerie des propriétés arméniennes.
Lors du sommet de la rencontre de Camp David, du 22 au 25 juillet 2000, Ehud Barak d’Israël et le chef de l’OLP Yasser Arafat avait presque signé un accord de paix, sous l’insistance du président Clinton. Mais la transaction a échoué à cause de certains points d’achoppement. Avec un certain nombre de questions critiques, Israël insistait pour garder le quartier arménien sous sa domination, ce qu’Arafat a refusé.
Ce seul fait historique peut témoigner de l’importance du quartier arménien pour le gouvernement israélien.
Il y a un certain nombre de propriétés perdues ou louées pour une durée de 100 ou 200 ans. Il peut aussi y avoir d’autres locations non déclarées.
Les lieux saints sont régis par un ensemble de règlements inscrits dans ce qu’on appelle le statu quo. Ces règlements ont été établis par un firman (décret) délivré par le sultan ottoman Osman III au 18e siècle. Après les Ottomans, la domination coloniale britannique et l’administration jordanienne l’ont scrupuleusement observée, les autorités israéliennes s’y sont officiellement engagés, mais dans le cas des Arméniens, les règlements sont régulièrement bafoués.
La Fraternité de Saint-Jacques est techniquement indépendante de toute ingérence extérieure. Même l’autorité suprême de l’Eglise arménienne n’a légalement rien à redire. Voilà pourquoi certains membres du clergé font montre d’arrogance en toute impunité.
Plus la Fraternité s’affaiblit, plus les intrus y auront des possibilités. Si aujourd’hui, le Frère Norayr Kazezian sert de soupape à un soi-disant scandale, nous pouvons être assurés que d’autres éléments sont testés en permanence parce que le prix en vaut la peine.
En plus des manuscrits enluminés, il existe de nombreux documents d’archives essentiels à l’histoire arménienne. Par exemple, au cours de la Première Guerre mondiale, les archives du Patriarcat de Constantinople ont été déplacés vers Jérusalem pour y être en sécurité. Ils contiennent des documents cruciaux au sujet du génocide arménien. Personne n’est assuré de leur sort.
La Fraternité de Saint-Jacques a toujours était fière de ses nombreux ouvrages savants. Le dernier des Mohican a peut-être été l’archevêque Norayr Bogharian, le gardien et le catalogueur des manuscrits. Depuis sa mort, aucun catalogue n’a été publié.
Le scandale des abus sexuels semble être la pointe de l’iceberg. La présence de la télévision et l’invasion du Patriarcat n’augurent rien de bien.
Les « démons du passé » ont ressuscité, mais leur cible semble être bien au-delà des prédateurs – cette cible aujourd’hui est le destin du Patriarcat arménien de Jérusalem.

 

Traduction N.P.