Le Karabagh, dernière frontière de l’histoire arménienne

Editorial écrit en anglais par Edmond Y. Azadian et publié dans The Armenian Mirror-Spectator en date du 5 mai 2016

Visiter l’Arménie juste après l’agression azérie des quatre premiers jours d’avril a été une expérience triste et l’est encore, tout à la fois provocante et décourageante.
Les pertes humaines sont tant douloureuses qu’inattendues. L’Arménie s’est longtemps bercée en pensant qu’elle possédait les armes les plus avancées ; pendant ce temps les pétrodollars azéris ont acheté des armes très sophistiquées russes et israéliennes. Au cours de la récente guerre-éclair, les drones israéliens se sont avérés être les plus meurtriers. Puisque ces drones pouvaient être guidés à distance, à partir de bases en Israël, les forces azéries n’avaient pas besoin d’être formées pour les utiliser.
Le Prof. Israel W. Charny, un spécialiste du génocide, a écrit sur un blog, « la semaine dernière, des rapports indiquent qu’un drone israélien entre les mains de l’Azerbaïdjan – l’un de nos très gros client d’armes – a été responsable de la mort de six Arméniens dans l’enclave du Haut-Karabagh… J’ai honte. »
Mais qui donnerait de l’importance à l’appel d’un humanitaire face à l’achat de machines meurtrières de l’ordre de plusieurs millions de dollars ?
Ainsi, l’un des facteurs qui ressort ostensiblement dans la récente guerre, c’est l’implication israélienne dans ce conflit, en dépit de la relation de victimes de génocide entre l’Arménie et Israël.
L’autre facteur est la duplicité russe. En effet, Moscou a vendu les armes les plus modernes à l’Azerbaïdjan, tout en clamant que l’Arménie était son alliée stratégique. Les sentiments anti-russes sont forts à Erévan et il y a même eu des manifestations devant l’ambassade de Russie.
Le silence de Moscou a coïncidé avec la visite du ministre de la Défense Sergueï Choïgou à Bakou, ce qui a augmenté la colère en Arménie. Puis la visite du ministre des Affaires étrangères Sergueï Lavrov à Erévan a aggravé la situation.
Les spéculations ont été nombreuses autour du voyage de Lavrov qui mettrait en œuvre les Principes de Kazan ou de Madrid, principes qui demandent, dans les deux cas, que le Karabagh cède cinq régions en échange de promesses imprécises.
Le silence du gouvernement arménien durant la visite de Lavrov a ajouté du carburant à ces spéculations, jusqu’à ce qu’il ait été annoncé que Lavrov n’avait pas apporté de nouvelles demandes. Il n’était à Erévan qu’afin d’encourager les négociations qui jusqu’ici n’ont conduit nulle part. Le gouvernement arménien a précisé que les négociations ne pouvaient se poursuivre tant que les soldats azéris tiraient sur la ligne de contact du Karabagh et même vers l’Arménie.
Soudain, il est apparu que les Arméniens se battaient avec des armes obsolètes datant des années 1980, à contre-courant des armes plus moderne de l’Azerbaïdjan. Cette révélation a également attisé les flammes contre les bonzes de l’armée, dont les généraux ont enflé leurs comptes bancaires, développé des entreprises et construit des palais. Pour calmer la colère, le président a rétrogradé trois généraux clés considérés comme responsables de l’insuffisance des achats d’armes.
Malgré la disparité des armements, l’esprit de combat est élevé du côté arménien. L’Azerbaïdjan a subi de très lourdes pertes, ce qui va certainement aider à atténuer la rhétorique belliqueuse de M. Aliev pendant un certain temps.
« Leurs gains purement militaires sont inconsistants », a commenté l’analyste de la BBC Anatoly Karlin, « et ont été atteint au coût des pertes beaucoup plus élevées dans le personnel et l’équipement que la pire des armées, l’armée du Karabagh est beaucoup plus motivée et qualifiée. Cela a été accompli sans renforts de l’Arménie à proprement parlé. Tout espoir d’une guerre-éclair ont été déçus. »
Les bénévoles et les vétérans arméniens se déplacent vers le front afin d’aider à la consolidation des forces. Il y a une ferveur patriotique ainsi que l’espoir de retour à la maison.
Bien que l’Azerbaïdjan ait appris à grands frais ce que les diplomates ont préconisé tout le long – qu’il n’y a pas de solution militaire au conflit – le gouvernement de Bakou veut poursuivre ses provocations, dans l’espoir de voir diminuer la résilience de la partie arménienne.
Compte tenu de l’équilibre militaire dans la région, la Turquie et l’Azerbaïdjan peuvent s’abstenir d’une guerre tous azimuts contre l’Arménie, mais sont convaincus qu’une guerre d’usure peut payer à long terme.

En bombardant constamment la province de Tavoush en Arménie, ils ont fait fuir la population frontalière. Les Turcs et les Azéris ont l’intention de rendre l’Arménie inhabitable en y instaurant une hostilité constante. Cette approche peut être viable si la situation en Arménie ne s’améliore pas de façon spectaculaire. Combien de temps le patriotisme peut-il survivre alors que les anciens combattants de l’armée retournent chez eux pour une vie de misère, avec un chômage élevé, une disparité des niveaux de vie et une injustice rampante dans l’application des lois ?
Nous devons être conscients que le flux migratoire n’a pas diminué et a même atteint un point critique.
La diaspora se mobilise. Elle s’alarme même que les soldats arméniens aient à défendre les frontières avec des armes primitives. Les organismes et les individus contribuent généreusement. Mais dès qu’un certain calme temporaire est rétabli, cette prise de conscience et cette mobilisation disparaissent et la population est de retour à la triste réalité de la vie.
L’Arménie est en guerre et nous n’avons pas le luxe de pouvoir faire de la politique pour son destin. Il y a certainement la corruption du gouvernement, mais un changement de régime au milieu de la guerre ne peut que profiter à l’ennemi, certainement pas à la population arménienne. Même le plus fervent critique du régime actuel, l’ex-président Levon Ter-Petrosian, a donné son soutien à l’administration qu’il a si souvent qualifiée de « kleptocratie », jusqu’à ce que nous atteignons des eaux calmes qui nous permettront de régler nos comptes.
Nous avons perdu notre royaume d’Ani, au XIe siècle à cause de nos querelles internes. De même, le royaume de Cilicie a été envahie par les Mamelouks en 1375, parce qu’il était affaibli par des querelles princières ou même avec les forces ennemies en dépit des opposants internes.
Les leçons de l’histoire sont trop dures pour être ignorées. Le sang est versé aux frontières du Karabagh et de l’Arménie, et il ne peut y avoir de cause plus forte ou plus noble que de se tenir coude à coude avec les soldats arméniens, comme M. Erdogan promet de se tenir coude à coude avec ses frères azéris.
En dépit des douloureuses pertes de la guerre, le Karabagh survit et la résolution arménienne a une fois de plus dissuadé l’ennemi. L’analyste de la BBC conclut son article ainsi : « Maintenant que le brouillard de la guerre s’est éclairci, il est devenu clair que les Azéris n’ont pas réussi à conserver le village de Talish. Quelle débâcle. »
Rallions-nous autour du Karabagh jusqu’à la victoire finale, jusqu’à ce qu’une paix permanente est instaurée.
Le Karabagh est la dernière frontière de l’histoire arménienne.

Traduction N.P.