Le Karabagh encore une fois dans l’actualité

Editorial écrit en anglais par Edmond Y. Azadian et publié dans The Armenian Mirror-Spectator en date du 7 avril 2016

En écrivant ces lignes, la violation du cessez le feu sur la ligne de contact se poursuivait, malgré les appels internationaux pour la cessation des hostilités. Bien que les violations soient des événements quotidiens au Karabagh depuis le 5 mai 1994, celle qui a débuté le samedi 2 avril était excessive.
En fait, il s’agissait d’une guerre-éclair des forces azéries dans le but d’envoyer des messages à leurs amis et ennemis. Deux jours après avoir rencontré le secrétaire d’Etat John Kerry à Washington, qui avait conseillé au président Aliev un règlement pacifique du conflit du Karabagh, l’armée azérie a lancé une attaque surprise, au mépris de l’avis de Kerry.
La portée et l’ampleur de l’attaque sur l’Artzakh ont été inhabituelles, notamment en ce qui concerne les armes utilisées. Moscou avait assuré l’Arménie que les lance-flammes vendus à l’Azerbaïdjan récemment ne seraient pas utilisées contre l’Arménie et le Karabagh. Malgré ces assurances, les forces de Bakou ont utilisé ces mêmes armes en toute impunité, ce qui a entraîné des dizaines de morts. Ces assurances impliquent et révèlent en outre avec cynisme que Moscou collabore avec Bakou sur les armes utilisées contre l’Arménie.
Les dégâts et le nombre de blessés sont importants. Les deux côtés ont filtré les statistiques, et une guerre des mots continue plus fort que les bombes qui sont encore en baisse dans les villages frontaliers et sites stratégiques.
Malgré le fait que le président de Turquie Erdogan ait félicité son collègue de Bakou, Ilham Aliev, pour sa « victoire », les résultats restent peu concluants ou peut-être marquent-ils l’échec de l’action-éclair. Un fait est irréfutable, les agresseurs sont, encore une fois, les Azéris.
Chaque fois qu’il y a une réunion au sommet entre les présidents d’Arménie et d’Azerbaïdjan, elle est suivie de violents affrontements sur la ligne de contact. Cette fois-ci, il y avait des rumeurs de réunions entre les présidents Serge Sargissian et Ilham Aliev, à Washington, en marge du Sommet sur la sécurité nucléaire, mais aucune réunion n’a eu lieu et la violence a quand même éclaté.
Aliev et Erdogan sont repartis de Washington penauds, malgré le fait qu’Aliev ait libéré 16 journalistes et militants politiques de prison, dans l’espoir d’être récompensé par le président Obama par une conversation en tête-à-tête à Washington. Le plus qu’Erdogan – ainsi qu’Aliev – aient obtenu a été une rencontre avec le vice-président Joe Biden après avoir été snobé par le président.
Le président Obama avait soutenu la position d’Erdogan lorsque la Turquie a abattu un avion militaire russe en novembre dernier, et lorsqu’Erdogan a commencé à tuer des Kurdes dans le sud-est du pays, en déclarant, « la Turquie a le droit de se défendre. » Cette fois-ci, Obama s’est détourné de son invité et ne semblait pas acquiescé aux mesures répressives contre des journalistes turcs, des universitaires et des militants des droits humains. En outre, il a indiqué son mécontentement sur les atrocités de masse contre la population kurde.

Le conflit du Haut-Karabagh fait une nouvelle fois les titres de l’actualité avec la reprise des hostilités. La plupart des informations et des analyses sont des déclarations remaniées. De nombreux journalistes, en particulier les journalistes d’enquête, ironiquement, ne parviennent pas à faire leurs devoirs et ont recours à la méthode superficielle de l’utilisation des sources d’information officielles, surtout lorsque l’histoire réfère à une minuscule enclave perdue quelque part dans les montagnes du Caucase. Le New York Times avait une histoire de cette nature signée Andrew E. Kramer, dans son édition du 3 avril.
A l’opposé, Al Jazeera a réalisé un reportage très objectif. Traditionnellement, chaque fois que Al Jazeera a des informations ou des commentaires sur le génocide ou toute autre question arménienne, le contenu ressemble à une conférence donnée par le professeur Ahmet Davutoglu.

Pas cette fois, cependant. Les journalistes étaient très bien informés et objectifs et n’ont pas succombé à la position turco-azérie de « l’intégrité territoriale ». L’hôte du programme a directement blâmé Staline pour le sort du Karabagh, alors que le défunt dictateur a amputé cette parcelle de terre en 1922 de l’Arménie et l’a placée sous la domination azérie, pour gagner la Turquie kémaliste.
En passant au crible la profusion d’informations dans les médias, on peut se demander pourquoi cette poussée se déroule maintenant, et qui la provoque. La rhétorique, les analyses et les commentaires sont confus, mais quand nous suivons les informations, nous pouvons faire des progrès.
Il est évident que la crise économique soudaine en Azerbaïdjan, faisant suite à la chute des prix du pétrole à l’échelle internationale, est l’un des facteurs afin de détourner l’attention de la population, loin de la détérioration des misères quotidiennes des citoyens azéris.
Cependant, sur une plus grande échelle, la recrudescence est le reflet localisé d’une guerre froide naissante, où la Turquie pourrait jouer un rôle de substitution de l’OTAN en encerclant la Russie.
Il y a eu une confrontation entre la Russie et la Turquie après l’attentat contre l’avion en novembre 2015, Ankara se cachant derrière le bouclier de l’OTAN, alors que Washington évitait le sujet.
M. Erdogan parie également sur le résultat des élections présidentielles américaines, puisque tous les candidats nourrissent des politiques de la gâchette, carburant essentiel afin d’intensifier la nouvelle guerre froide.
Ankara a toujours gratifié l’Arménie de bouc émissaire dans sa guerre des mots avec Moscou. Cette tendance constante a commencé alors que le premier ministre Ahmet Davutoglu a blâmé Selahattin Demirtas de s’être rendu à Moscou pour mettre en place un bureau kurde dans la capitale russe.
Pour justifier la guerre massive contre le PKK et la population kurde, Davutoglu a jeté le blâme sur les Kurdes qui copinent avec les Russes, « comme les gangs arméniens l’ont fait pendant la Première Guerre mondiale, » Vient ensuite l’accusation d’Erdogan prétendant que la Russie utilise l’Arménie pour lutter contre l’OTAN.
Yournewswire.com rapportait le 4 avril que, selon des sources de renseignements russe, le président turc Recep Tayyip Erdogan a exprimé des inquiétudes envers l’Arménie, un pays avec une population de 3 millions d’habitants, qui est devenue « la plus grande menace pour la paix dans le monde » et a promis de « faire quelque chose. »
Ce rapport est corroboré par les déclarations qu’Erdogan a faites lors d’une conférence à l’Institut Brookings durant son dernier voyage à Washington, en agitant à nouveau l’épouvantail de l’Arménie et en ressuscitant même le spectre de l’ASALA.

Le rapport ci-dessus se termine par une conclusion très explosive : « A savoir pourquoi exactement Erdogan, et son fils, Bilal, qui financent l’EI ont l’intention d’initier une guerre au Haut-Karabagh, dépend des pourparlers en cours entre la Russie et le régime d’Obama à coordonner leur attaque contre la capitale turque qui soutient l’Etat islamique à Raqqa (dans le nord de la Syrie) où les Etats-Unis se préparent à envoyer des troupes supplémentaires des Forces spéciales, ce qui en cas de succès détruirait le rêve de la Turquie de dominer le Moyen-Orient et lui coûterait des millions de dollars. »
A la diffusion de l’information, des appels à la retenue ont été entendus émis par presque toutes les capitales du monde. Inhabituel, mais le secrétaire d’Etat Kerry et son homologue russe, Sergueï Lavrov, ont eu une consultation téléphonique suivie de leur appel résolu à la cessation immédiate des hostilités. Cependant, dans leur appel commun, les deux hommes d’Etat ont condamné les tentatives de « certains acteurs externes » sans les identifier.
L’annonce énigmatique de Lavrov, à la suite de cet appel commun, a semé une certaine confusion. Il a déclaré que la Russie ne blâmait pas la Turquie pour avoir provoqué la situation au Karabagh et il a poursuivi : « Je ne peux pas juger du rôle joué ou non par Ankara, mais pour le bien de toutes les parties concernées, et même pour les personnes en Turquie, il serait préférable qu’Ankara concentre ses efforts à mettre fin à son soutien au terrorisme. »
Tous les doigts pointent vers la Turquie, qui a une motivation supplémentaire en provoquant des troubles dans la région afin de détourner l’attention de la guerre civile qu’il mène en Turquie orientale. Par ailleurs, le leadeur kurde Demirtas a accusé Erdogan et Davutoglu d’être responsables de la récente flambée de violence au Karabagh.
En ce qui concerne l’Arménie, il y a un provocateur.
Le 3 avril, lors d’une réunion au palais présidentiel d’Erévan avec les ambassadeurs de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), le Président Sargissian a déclaré, « Alors que la communauté internationale condamne l’usage de la force dans le Haut-Karabagh, uniquement par des mots, la Turquie est le seul état qui démontre un soutien incontestable aux aventures de l’Azerbaïdjan. Les annonces faites par Ankara avant et après les développements, par lequel ce pays semble rivaliser avec l’Azerbaïdjan sur la rhétorique anti-arménienne, peuvent créer un nouveau point chaud régional, par ricochet au Moyen-Orient. Tous ceux qui ont souhaité voir la Turquie comme médiateur dans le conflit du Haut-Karabagh, réalisent aujourd’hui que le pays ayant adopté une approche sur la ‘sécurité liée au sang’ doit être tenu à l’écart du processus de règlement du Karabagh. »
Le président a également annoncé que si les hostilités se poursuivaient, Erévan pourrait reconnaître l’indépendance de l’Artzakh.
Le Président Sargissian se dirige vers Berlin, au cœur de l’OTAN, pour y rencontrer la chancelière Angela Merkel. Le voyage est significatif par son symbolisme et son contenu. Qu’il n’ait pas reporté ce voyage prévu de longue date indique que le gouvernement arménien est en contrôle de la situation. La visite offre également la possibilité pour l’Arménie d’élaborer sur les effets dans la région du soutien allemand envers l’agression turque.
En attendant, la guerre se poursuit au Karabagh. Les volontaires se dirigent de l’Arménie vers la ligne de front afin de se sacrifier pour leur patrie.
Les Arméniens de la diaspora ne peuvent rester indifférent et vivre comme d’habitude. Il y a un énorme défi pour contrer les informations et la désinformation turco-azérie. En outre, il est temps d’avoir une action législative. Le moins que l’administration Obama peut faire est de réactiver l’article 907 du ‘Freedom Support Act’ pour mettre en garde Bakou. Nous devons sensibiliser nos législateurs et leur demander d’agir.

Ce défi ne comporte aucun sacrifice de sang de notre part, chose répandue en Arménie que les volontaires continuent de protéger.

 

Traduction N.P.