La Turquie du président Erdogan n’a pas seulement l’ambition de faire revivre l’Empire ottoman, elle agit comme tel. Ses tentacules s’étendent des Balkans au Moyen-Orient, d’Afrique du Nord à la Chine, où la minorité ouïghour rebelle est armée et encouragée par la Turquie contre le gouvernement central.
Incidemment, cette dernière situation bénéficie, d’une manière imprévue, à l’Arménie. Ainsi, face à des relations sino-turque aigries, Pékin se retrouve dans une cause commune avec l’Arménie.
Durant la guerre froide, la Turquie était considérée comme un rempart de l’OTAN au Moyen-Orient, opposant expansion soviétique dans la région et lutte contre les mouvements de libération autochtones.
Avec la fin de la guerre froide, de nombreux experts ont estimé que la Turquie avait survécu à son utilité. Mais voilà que la Turquie assume un nouveau rôle d’exécuteur du sale boulot de l’Occident au Moyen-Orient. Lorsque les citoyens ordinaires peuvent extrapoler à partir de simples faits qu’Ankara, en dépit de son adhésion à l’OTAN, est à la poursuite de politiques contradictoires de celles des Etats-Unis et de l’Occident, que Washington regarde dans l’autre sens, cela indique qu’il y a accord tacite entre les deux pays. Par exemple, lorsque la Turquie a témérairement abattu un avion de guerre russe, le président Obama a inhabituellement déclaré que « la Turquie avait le droit de se défendre », tandis que d’autres membres de l’OTAN déploraient l’incident.
L’appui des Etats-Unis en faveur de l’admission de la Turquie dans l’Union européenne était motivé par le même objectif : la Turquie jouerait un rôle de bouclier, interdisant le développement d’un troisième pôle en Europe, indépendant de la tutelle américaine.
Par conséquent, tant que la Turquie demeurera l’instrument indispensable des mauvaises actions, les intérêts arméniens seront neutralisés tant aux États-Unis qu’en Europe.
La même dichotomie a refait surface récemment en Irak et en Syrie. Alors que les États-Unis et ses partenaires de la coalition combattent l’EI, Ankara soutient ouvertement le groupe terroriste, sans conséquences néfastes pour ses intérêts.
Durant longtemps, le gouvernement turc a ignoré la valeur du lobbying politique, permettant aux Arméniens et aux Grecs de recueillir suffisamment de voix au Congrès pour menacer ses intérêts, récupérés une fois par l’ancien Président de la Chambre (et actuel félon) Dennis Hastert, en collusion avec le Président Bill Clinton et une autre fois par notre « amie » Nancy Pelosi, qui a refusé de déposer la résolution sur le génocide. Le caucus sur les questions arméniennes est un groupe prospère, dirigé par les représentants Robert Dold (R-Ill.) et Frank Pallone Jr. (D-NJ). Il semble que les Turcs ont appris le truc. Ils ont découvert la valeur du lobbying politique et ils l’utilisent avec succès à leur avantage. Ils ont engagé le Groupe Gephardt afin d’en faire en leur nom.
Dick Gephardt, ex-représentant du Missouri de 1977 à 2005, était un ardent partisan des résolutions successives sur le génocide arménien avant de vendre son âme et ses principes à la Turquie pour 2,92 millions de dollars par an.
Dans l’édition du 24 décembre 2015 du quotidien turc Sabah, Ragip Soylu publiait un article révélateur intitulé « Le lobby turc aux Etats-Unis atteint un niveau record de dons. » L’auteur cite certains faits et événements qui ont favorisé la Turquie dans ses efforts. Il déclare notamment : « Le PAC turco-américain a été créé en 2007, et depuis lors la Turquie semble obtenir plus de soutien au sein du Congrès, en particulier sur les questions traditionnelles. Par exemple, il y avait 212 parrains de la Chambre des représentants pour la résolution sur le génocide arménien, sujet brûlant pour Ankara en raison de possibles retombées politiques et financières. Cette année, le nombre de représentants ayant coparrainé la résolution a atteint le chiffre de 63. »
Il est évident que l’objectif principal du programme de lobbying de la Turquie est de contrer les intérêts arméniens alors que tant de questions entre les deux pays ne sont pas encore prises en considération.
Le journaliste a également cité le cas du représentant Donna K. Edwards, qui fait face à Chris Van Hollen aux primaires démocrates du Maryland pour le Sénat. Les Turcs ont déjà contribué à hauteur de 26 000 $ à la campagne d’Edwards, parce que Van Hollen est un fervent partisan des Grecs et des questions arméniennes.
Selon Sabah, Lincoln McCurdy, le trésorier de la Coalition Turquie-Etats-Unis, prévoit un plus grand soutien israélien au Congrès en raison de la normalisation des relations turco-israéliennes.
Bien sûr, le président Erdogan devrait mettre un frein à ses propos sur un gouvernement tel celui d’Adolph Hitler comme un bon exemple d’une présidence forte. Il a dit plus tard que ses commentaires avaient été pris hors contexte, mais il n’a pu vraiment s’expliquer.
D’autre part, les Arméniens font face à une bataille difficile à cause de l’alliance stratégique de l’Arménie avec la Russie, ce qui donne une échappatoire aux législateurs à la recherche d’arguments faciles.
Les Arméniens ont deux grands groupes de lobbying aux États-Unis, l’Assemblée arménienne et le Comité National Arménien d’Amérique, dont la coopération sur des questions nationales cruciales sont loin d’être exemplaires. L’Assemblée arménienne a amassé des revenus totaux de 2 973 526 $ en 2013 et de 3 376 822 en 2012. D’autre part, l’ANCA a eu des revenus totaux de 1 205 188 $ en 2013 et 645 050 $ en 2012.
Le budget annuel combiné des deux organisations est de moins de 5 millions de dollars. Ce sont les ressources avec lesquelles les Arméniens font face à l’artillerie lourde et au gouvernement turc. Les lobbyistes arméniens et turcs sont destinés à servir de prolongement à la politique étrangère de leurs pays respectifs.
La Turquie peut acheter des cabinets de lobby grâce à ses vastes ressources, mais ne peut acheter des militants de base que les Arméniens peuvent mobiliser. Cependant, nous avons besoin de disséquer davantage la nature du mouvement citoyen. Il est composé de deux groupes distincts de militants politiques ; tandis que de nombreux Arméniens sont motivés par les questions arméniennes, d’autres sont motivés par différents facteurs. Il existe de nombreux Arméniens à travers le pays qui écrivent à leurs représentants et contribuent à leurs campagnes de promotion des questions arméniennes. L’autre groupe est soit motivé par l’idéologie (démocrate, républicain ou indépendant) ou par ses intérêts commerciaux, avec peu d’intérêt sur la position d’un candidat concernant le génocide, aussi longtemps que le portefeuille de l’électeur est protégé.
La seule alternative pour les Arméniens est de motiver et de mobiliser la majorité silencieuse. Cela constitue notre seule ressource pour combattre la puissante machine bien huilée du lobby turc.
Traduction N.P.