Les retombées de la guerre au Karabagh

Editorial écrit en anglais par Edmond Y. Azadian et publié dans The Armenian Mirror-Spectator en date du 14 avril 2016

Alors que sont révélées au monde les conséquences de la récente poussée sur la ligne de contact, les deux parties au conflit soignent leurs blessures et comptent leurs victimes. Encore une fois, dans l’esprit des dirigeants mondiaux, l’expression qui prévaut est un « conflit gelé » pour le Karabagh (Artzakh), un terme impropre. En outre, le différend sur l’enclave ne se limite pas à l’Arménie et l’Azerbaïdjan, mais se trouve sur la ligne de la confrontation Est-Ouest et une conflagration pourrait déclencher un conflit encore plus important que les parties intéressées ne peuvent ni prévoir ni contrôler.
Quelle que soit la raison derrière cette guerre-éclair avortée de l’Azerbaïdjan, le problème est lourd de conséquences dangereuses.
Un éditorial du Guardian de Londres cite un certain nombre de raisons de la récente épidémie : « Toutes sortes de facteurs locaux pourraient ajouter de l’huile sur le feu : des slogans et des sentiments nationalistes et bellicistes des deux côtés, et les révélations des « Panama papers » augmentent la pression sur la présidence de l’Azerbaïdjan, pression incendiaire, et pour qui reconquérir les territoires perdus semble être une diversion bienvenue. »

Une guerre alarmiste n’est pas dans l’intérêt de l’Arménie, mais la presse étrangère doit toujours donner une impression de neutralité en citant quelques mensonges sous le couvert de présenter les deux côtés d’un même problème. En plus des raisons ci-dessus, il ne faut pas écarter les intentions et les inclinations de la Turquie envers Moscou. Bien que le président Barack Obama ait snobé le président turc Recep Tayyip Erdogan au Sommet sur la sécurité nucléaire de Washington pour ses activités égoïstes avec l’OTAN, il accueillerait certainement le rôle de ce dernier comme l’homme des mouvements agressifs de l’OTAN dans la région.
Au cours de cette brève guerre, le Premier ministre turc, Ahmet Davutoglu, a annoncé qu’Ankara « se tiendrait main dans la main avec l’Azerbaïdjan face à l’agression arménienne et l’occupation jusqu’à la fin des temps. » Il a ajouté, « jusqu’à ce que l’ensemble du territoire azéri est récupéré, y compris le Haut-Karabagh. »
La Turquie est membre de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) et est donc censé demeurer impartiale. En fait, c’est le seul pays à avoir exprimé de l’enthousiasme face à la peur.
Les félicitations prématurées envoyées par le président turc Erdogan au président azéri Ilham Aliev « pour sa victoire » et l’envoi de combattants de l’EI de Raqqa via la Turquie en Azerbaïdjan ont démontré amplement que la Turquie est le principal instigateur du récent conflit.
L’Arménie n’a reçu de personne le genre de soutien qu’Ankara a offert à l’Azerbaïdjan, pas même de son allié stratégique, la Russie, qui, au mieux joue le rôle de médiateur pour rétablir le cessez-le-feu. Même le bombardement de la population civile de la région de Tavouch en Arménie n’a pas permis d’appliquer une clause du traité de sécurité collective avec la Russie.

Au lieu de cela, ajoutant l’insulte à l’injure, le Premier ministre Dmitri Medvedev, après avoir visité Erévan et Bakou, a annoncé que la Russie continuera à vendre des armes à l’Arménie et à l’Azerbaïdjan afin de maintenir la parité militaire.
Il se trouve que même cette politique absurde de parité n’a pas de prise puisque l’Arménie combat les forces azéries avec des armes des années 1990. L’Arménie n’a guère les ressources de l’Azerbaïdjan riche en pétrole, et cela jusqu’à récemment, avant la dégringolade du prix du pétrole, qui a fait sombrer le manat azerbaïdjanais.
85% des armes de l’Azerbaïdjan sont fournis par la Russie, et le reste par Israël et les Etats-Unis. Les récents contrats d’armes avec la Russie se chiffrent à 4,5 milliards de dollars, et avec Israël à 1,6 milliard de dollars.
Il est ironique qu’une délégation de la Knesset israélienne se soit rendue en Arménie et ait déposé une gerbe au Mémorial du Génocide tandis que les Forces de défense israéliennes ont manié des drones Kamikaze au nom de l’Azerbaïdjan, créant de nouveaux martyrs arméniens durant ce mois solennel.
Un document publié par Frederik Wesslau, directeur du Programme de l’Europe élargie, stipule qu’« aucun des coprésidents du Groupe de Minsk de l’OSCE – Russie, Etats-Unis et France – ont démontré le genre de volonté politique nécessaire afin de trouver une solution au conflit. Des trois, la Russie a le plus d’influence sur l’Arménie et l’Azerbaïdjan, mais aussi le moins d’intérêt à voir une résolution réelle du conflit. Le conflit non résolu rend les deux pays dépendant de Moscou et limite sévèrement leurs options dans l’alignement géopolitique. La Russie est en mesure de les opposer, ce qui lui donne une influence considérable sur toute la région du Caucase du Sud. »
La politique de Moscou est sournoise ; tandis que le Premier ministre Medvedev pointe du doigt la Turquie, le ministre des Affaires étrangères de Russie Sergey Lavrov déclare « nous ne blâmons pas la Turquie pour la récente guerre. »

M. Lavrov est d’origine arménienne et sa contribution à l’Arménie ne diffère pas de celle du membre du Politburo Anastas Mikoyan, et de plusieurs empereurs byzantins d’origine arménienne. En effet, dans leur zèle pour démontrer leur fidélité à Byzance, ils ont détruit l’Arménie historique.
Lavrov a annoncé que tous les éléments d’une solution finale sont en place et peuvent être mis en œuvre rapidement. Cela n’augure rien de bien pour l’Arménie, qui se prépare au pire.
En novembre dernier, durant la confrontation russo-turque, des voix se sont élevées à la Douma russe afin d’abroger le traité de Kars de 1921, ce qui a donné lieu à des spéculations d’experts quant à une correction de la frontière arméno-turque, et une cession de certains territoires turcs occupés à l’Arménie. En outre, la guerre civile qui fait rage en Turquie a donné plus de crédibilité à ces spéculations.
Mais la Turquie est sur le point de résoudre son conflit interne, à la manière des sultans ittihadistes et kémalistes avant lui : par l’extermination massive des Kurdes rebelles avec la complicité de l’Occident.
Maintenant, la marée politique change de route, et un sentiment d’isolement s’abat sur l’Arménie.
Les éléments d’un règlement auquel Lavrov se réfère ne peut être autre que les principes de Madrid, qui appellent à des concessions territoriales des Arméniens contre un certain soulagement au Karabagh grâce à un référendum sans date afin de façonner son avenir politique. La Russie, elle, a toujours cherché à introduire ses propres forces de maintien de la paix entre les factions en guerre afin d’étendre sa présence dans le Caucase.
A ce stade, les faits donnent à réfléchir et à évaluer le cours des événements de façon réaliste.
Les citoyens arméniens sont las de la guerre et relient parfois leurs misères au conflit du Karabagh.
L’on se rend compte, maintenant, que l’agression de Bakou contre l’Arménie est un élément nécessaire à la politique étrangère de l’Azerbaïdjan. S’il n’y avait pas de problème du Karabagh, Aliev pourrait revendiquer le territoire de l’Arménie, en se basant sur une histoire fabriquée voulant que les Arméniens soient des colons sur des terres « historiques azéries ».

Cette affirmation est aussi ridicule que les ambitions ottomanes d’Ankara pour rayer l’Arménie de la carte de la région, l’Arménie est une noix dure à casser tandis que la Géorgie est plus favorable aux grandes conceptions turques. Le christianisme ne semble pas constituer un facteur politique pour la Géorgie alors qu’elle a coordonné ses politiques sur celles de l’Azerbaïdjan et de la Turquie. En outre, la russophobie répandue en Géorgie a prouvé être propice à la turcisation interne de ce pays.
Pour le monde turc, l’Arménie reste russophile, mérite un traitement différent et un sort différent. Mais historiquement cette russophilie n’a pas toujours donné des dividendes politiques.
Le soudain sentiment d’isolement a dégrisé les Arméniens tant dans la patrie que dans le reste du monde.
Une initiative spectaculaire a été prise par l’ex-président Levon Ter-Petrosian en interpellant le président Serge Sargissian sur les graves perspectives de la situation du Karabagh. Il n’y a pas de rapport sur leurs discussions, mais Ter-Petrosian a déclaré que ce n’était pas le moment de critiquer les erreurs du gouvernement, un signal positif pour tous les opposants à travers le monde. Jusqu’à récemment, Ter-Petrosian appelait à démanteler ou « déconstruire la kleptocratie de Serge Sargissian, » alors que ce dernier qualifié son prédécesseur de « politicien sans scrupules. » Levon Zurabian, l’homme du Parti du Congrès national à l’Assemblée nationale avait annoncé plus tôt que tout territoire évacué par les forces arméniennes devait être occupé par les Casques bleus, provoquant quelques critiques. Aujourd’hui, les événements semblent prendre cette tournure.
La réunion des deux présidents a certainement porté sur la situation au Karabagh. Malgré la bravoure arménienne, certaines positions stratégiques demeurent entre les mains azéries, stimulant leur moral.
Il y a eu une pléthore de manifestations spontanées d’Arméniens à travers le monde. Des groupes de volontaires se sont déplacés vers la ligne de front et un mouvement de protestation dans le monde a été déclenché de Los Angeles à Moscou, de Paris à Buenos Aires. Le Patriarcat suprême de l’Eglise arménienne est arrivé au Karabagh, accompagné du Catholicos Aram Ier de Cilicie. Une fièvre patriotique qui rappelle la guerre de Sardarapat en 1918 a enflammé les Arméniens.
Il faut espérer que cette solidarité mondiale se traduise par une unité persistante tout au long de la crise actuelle et au-delà.
La réunion des deux présidents aura un impact sur le réalignement politique intérieur en Arménie et façonnera les prochaines élections de 2017.
Il existe un adage voulant que la paix disperse les Arméniens et que les crises les rassemblent, alors que la survie et la victoire exigent une unité nationale de tous les instants.

 

 

Traduction N.P.