Une fois de plus, le conflit du Karabagh apparaît en bonne place sur le radar politique du Caucase, ce qui éveille pour certains, la possibilité d’une percée et pour les autres, le spectre d’une nouvelle guerre.
La situation est tellement volatile que le problème peut toujours prendre une tangente inattendue.
« Ceci est une guerre et je voudrais vous demander d’utiliser le terme « guerre », et ne pas utiliser l’expression « violations du cessez-le-feu, parce qu’en fait, il n’y a plus de cessez-le-feu, » a annoncé le porte-parole du ministère arménien de la Défense Artsrun Hovhannisian à des journalistes en décembre dernier.
C’est arrivé juste après une autre rencontre entre les présidents arménien et azerbaïdjanais, à Berne, en Suisse. Un proche du gouvernement de l’Azerbaïdjan a caractérisé la réunion de formalité de routine.
En effet, l’intensification des hostilités à la frontière ne ressemble à rien de plus qu’une violation du cessez-le-feu, surtout lorsque l’Azerbaïdjan déplace le champ de bataille de sa frontière avec le Karabagh vers le territoire souverain de l’Arménie, et de nombreux citoyens se demandent à quoi sert l’alliance stratégique de l’Arménie avec la Russie, si ce traité ne couvre pas l’ensemble du territoire arménien.
En réalité, le Karabagh est une fois de plus pris dans un bras de fer entre les forces qui tentent de consolider leurs positions dans une guerre froide renouvelée.
L’ambassadeur américain auprès du Groupe de Minsk de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), James Warlick, a utilisé cette expression pour décrire la situation, formulation très similaire à celle du ministère de la Défense d’Arménie : « Ce n’est pas un conflit gelé, mais c’est un conflit oublié, avec un risque réel de perte de contrôle. »
La situation explosive a précipité une suite de changements dans la région: la confrontation de la Russie avec l’Occident a forcé Moscou à résoudre les conflits à sa manière – la guerre de 2008 avec la Géorgie, le référendum de Crimée, la guerre syrienne et le bras de fer avec la Turquie. Et puisque Moscou détient la clé de la résolution du conflit du Karabagh, l’Occident, et en particulier, les États-Unis, était inquiet du jeu possible, et par conséquent, a intensifié ses activités diplomatiques. L’Union européenne a annoncé qu’il n’y avait qu’une seule manière de résoudre le conflit du Karabagh : un règlement pacifique. D’autre part, le Congrès américain a tenu des audiences à huis clos sur ce conflit, tandis que les principaux membres du Congrès font pression pour des mesures de résolution du conflit que l’Arménie favorise, mais auxquelles s’oppose l’Azerbaïdjan.
Le Président du Comité des affaires étrangères du Congrès, Ed Royce (R-CA), et le leadeur démocrate du comité, Eliot Engel, ont recommandé que les tireurs d’élite, des deux côtés de la ligne de contact, reculent, et que des équipements de surveillance soient installés afin de détecter les violations du cessez-le-feu. Il s’agit d’une demande faite en vain ces dernières années par l’Arménie. Les Azéris ont demandé le retrait de toutes les « forces d’occupation » du Karabagh.
Le Département d’Etat américain a évolué dans la même direction que le Congrès en envoyant un diplomate de haut rang à Bakou et à Erévan. Charles Kupchan, directeur des Affaires européennes au Conseil national de sécurité des États-Unis, a rencontré le président Serge Sargissian et le ministre des Affaires étrangères Edouard Nalbandian. Bien que la substance des pourparlers n’ait pas été rendue publique, la partie arménienne a remercié les Etats-Unis à profusion pour son aide et son soutien.
Kupchan a également remercié l’Arménie pour fournir des forces de maintien de la paix en Afghanistan et au Kosovo, sous commandement de l’OTAN.
Dans un autre avertissement à l’Azerbaïdjan, le Congrès américain a commencé à rédiger une résolution afin de condamner le président Ilham Aliev et son régime pour sa persécution des ONG, des journalistes et des militants des droits humains. Bien que le projet de résolution n’ait pas été soumise à un vote, le gouvernement azéri a reçu le blâme.
Alors que la tension entre les puissances régionales contribue à la dynamique politique, les maux intérieurs de l’Azerbaïdjan jouent également un rôle dans l’aggravation de la situation.
Thomas de Waal, associé principal de la fondation Carnegie Europe, a analysé les raisons derrière la rhétorique de plus en plus belliqueuse du régime Aliev. Soixante-quinze pour cent du budget de l’Azerbaïdjan est basé sur les recettes pétrolières du pays. La baisse des prix du pétrole sous les 30 dollars le baril a contrarié l’économie du pays et déclenché une spirale descendante de la monnaie du pays, le manat. Le choc a frappé la classe moyenne et entravé l’appétit du gouvernement pour des armements coûteux et sophistiqués.
Les soubresauts de l’économie ont également provoqué un remaniement social. L’Azerbaïdjan soudainement à court d’argent, ses dirigeants ne sont pas en mesure de calmer les préoccupations nationales grâce à la stabilité économique que les coffres bien remplis offrent à un Etat riche.
La première victime politique en Azerbaïdjan a été Eldar Mahmudov, ministre de la Sécurité nationale du pays. Il a été limogé, avec la plupart de ses co-équipiers, et accusé de conspiration. M. De Waal demande dans son article, « à quel moment les manifestations économiques deviennent politiques ? Il y a une limite floue. »
L’accord sur le nucléaire avec l’Iran a eu un impact à la fois économique et politique sur l’Azerbaïdjan, l’entrée de Téhéran dans le marché de l’énergie a frappé durement le trésor de l’Azerbaïdjan. Même l’alliée d’hier, la Géorgie, a commencé à négocier avec Téhéran l’achat de gaz. En outre, l’Occident a été le soutien de Bakou contre Téhéran, en particulier dans ses conceptions stratégiques. A un moment donné, Bakou a même aspiré à reprendre le nord de l’Iran, et ainsi étendre son territoire. Tous ces rêves semblent avoir disparu avec le changement iranien, bien sûr.
Ces développements ajoutent au désespoir du régime Aliev, le forçant ainsi à chercher des boucs émissaires. Ce bouc émissaire ne peut pas être autre que l’Arménie, ainsi M. De Waal conclut : « L’inquiétude croissante est qu’un régime azerbaïdjanais placé dans une situation désespérée pourrait choisir de jouer la carte du Karabagh, seul grief qui peut rallier tous les Azerbaïdjanais autour du drapeau, et entamer une opération militaire, petite ou grande, pour récupérer les territoires perdus. Dans ce cas, les Arméniens seraient tenus de riposter et un nouveau conflit potentiellement catastrophique éclaterait dans le Caucase. »
La Turquie a également un rôle dans ce jeu d’échecs. Le gouvernement Erdogan poursuivait avec arrogance un rôle néo-ottoman dans l’ensemble du Moyen-Orient. Elle a joué imprudemment et panse ses plaies depuis. Dans un geste désespéré, Ankara tend une main amicale à Israël dans le but de réorganiser les relations qu’elle a si joyeusement endommagées. La Turquie tente de mettre sur pied une alliance se reliant à d’étranges compagnons comme l’Arabie saoudite et Israël afin de contrer l’influence de l’Iran dans la région. Ankara cherche désespérément à rapiécer ses relations brisées avec Le Caire, jouant la carte sunnite. La même carte n’a pas de prise en Azerbaïdjan, où la majorité appartient à la branche chiite de l’islam, et la population a tendance à être laïque. Une autre carte vide de sens a été utilisée par Ankara en Azerbaïdjan : « Une nation, deux gouvernements ».
Pour remonter le moral en Azerbaïdjan, le ministre des Affaires étrangères turc, Mevlüt Çavusoglu, s’est récemment rendu à Bakou, où il a annoncé, que « la normalisation des relations turco-arméniennes est impossible sans la libération des territoires d’Azerbaïdjan occupés. »
Bien sûr, Çavusoglu n’oserait pas aller au-delà de son mantra traditionnel, compte tenu de l’impasse de la Turquie avec la Russie et la concentration récente d’armements russes en Arménie.
Quelques voix à Moscou ont suggéré une percée au Karabagh. Ainsi, Dmitri Saveliev, membre de la Douma russe et chef du groupe interparlementaire d’amitié russo-azerbaïdjanais, a récemment exprimé l’espoir d’une percée, en notant que, contrairement à l’impasse sur certaines questions, le processus progressait. Il a également fait écho à une déclaration antérieure du ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov voulant que « sept régions occupées de l’Azerbaïdjan » et rattachées au Haut-Karabagh devaient être retournées à l’Azerbaïdjan.
Alors que les médiateurs du Groupe de Minsk mettent la main finale aux Principes de Madrid, qui demandent la libération de ces sept régions, la garantie des droits des personnes déplacées, et le retour des réfugiés dans leurs anciens lieux de résidence, permettant au Haut-Karabagh de tenir un référendum pour déterminer de son statut futur.
Il paraît que le mot chinois pour « crise » a également le sens de « débouché ». Alors, si la formule chinoise fonctionne dans le Caucase, une percée aura bientôt lieu.
Traduction N.P.