Les Kurdes du Moyen-Orient sont à quelques pas d’aboutir à leurs aspirations historiques nationales; le Kurdistan irakien est déjà une réalité politique parce que l’intégrité territoriale de l’Irak a été réduite à une valeur nominale, et la province du Kurdistan fonctionne comme un Etat souverain dans une fédération fracturée.
La partition de l’Irak est tangible ; les trois entités qui la composent se maintiennent ensemble par opportunisme politique, et par les forces qui dominent la scène au Moyen-Orient.
En premier lieu, l’Occident a temporairement apaisé les craintes turques d’un Kurdistan indépendant en croissance. L’autre composante de la future indépendance kurde est la reconquête de la région de Kobané en Syrie, par les forces locales kurdes, créant ainsi une autre menace qui exacerbe les craintes d’Ankara dans la région.
Mais la principale bataille a lieu en Turquie elle-même. Le Président Recep Tayyip Erdogan a précipitamment abandonné les négociations de paix avec les Kurdes, et a déclenché une guerre contre ces derniers tant en Turquie qu’en Irak avec l’objectif d’intimider, à court terme, les Kurdes et ainsi de remporter une majorité parlementaire lors des élections de 1er novembre prochain.
Bien que les Kurdes, dont le dirigeant emprisonné du PKK, Abdullah Öcalan, aient compromis leurs objectifs politiques pour une certaine autonomie au sein de l’Etat turc en lieu et place d’une indépendance totale afin de faciliter les négociations de paix, M. Erdogan s’est débarrassé de ses gains dans son empressement à remporter les élections. La guerre sanglante qui en a suivi peut avoir des conséquences imprévues, jusqu’à inclure l’indépendance kurde complète.
Alors s’ouvrira une boîte de Pandore historique, et les Kurdes tenteront de relancer le traité de Sèvres, qui leur avait promis l’indépendance. Le même traité, bien sûr, contient des dispositions pour les Arméniens. Mais puisque les Arméniens ont été exterminés sur leurs terres ancestrales, il ne sera pas facile pour eux de faire valoir leurs droits issus de traités, tandis que les Kurdes ont habité le territoire, gagnant ainsi 90% de leur cause.
Bien qu’il n’y ait pas de statistiques officielles de la période ottomane, les populations kurdes et arméniennes dans l’empire semblaient être à peu près égales. Aujourd’hui, la population kurde est estimée à un tiers de la population de la Turquie, soit 20 à 25 millions de personnes.
Au cours de la période ottomane, les Kurdes ont dominé des principautés semi-indépendantes au sein de l’Arménie occidentale historique. La modernisation et la centralisation des efforts ottomans dirigés contre eux ont été pris en charge par les Arméniens avec la promesse de réformes à venir, mais dès que les principautés ont été défaites, les Arméniens ont été mis de côté. Les Arméniens ont tenté d’impliquer parfois les Kurdes dans leurs efforts de progrès culturel et politique. Des tentatives ont été faites d’utiliser l’alphabet arménien pour écrire le kurde, et certains partis politiques arméniens de la fin du 19e siècle travaillaient à la libération des opprimés kurdes ainsi que des paysans arméniens.
Néanmoins, les Kurdes ont été aisément utilisés par le Sultan afin d’exproprier les Arméniens ainsi que de les massacrer. Ils sont également devenus les bourreaux entre les mains des Ittihadistes qui ont organisé le génocide des Arméniens sur leurs terres historiques. Seule une petite partie de la population kurde a contribué à sauver des vies arméniennes.
Les Kurdes ne sont rendus compte qu’ils avaient été mal utilisés seulement lors de la prise de pouvoir de Kemal Atatürk, et qu’il a débuté sa politique raciste d’homogénéisation de la population de Turquie.
Tel Hitler qui réclamait le pouvoir en Europe en développant et en mettant en œuvre sa théorie de la suprématie aryenne, Atatürk était déjà au travail avec la même politique. Sa devise « Ne Mutlu Türküm Diyene », signifie grosso modo « enviez la personne qui prétend être Turc. »
Bien sûr, il n’y avait pas de place dans ce paradigme pour les Kurdes et les Alévis, persécutés, et dont l’identité était bafouée.
Lorsque les Kurdes se sont rendus compte qu’ils avaient été trahis, ils ont présenté des excuses aux Arméniens, et ont commencé à protéger les survivants, même quand ils ont été bombardés dans les années trente.
Les Arméniens ont rarement misé sur le ressentiment kurde contre les Turcs. Ils ont encore moins de participation dans leur lutte contre la Turquie. Bien que les Kurdes se soient excusés sur des bases individuelles ou de groupe, ils ne disposent toujours pas d’une entité souveraine qui puissent souscrire à ces excuses. Nous pouvons deviner le genre de politique que cette entité virtuelle pourrait adopter, mais nous ne disposons d’aucune preuve de participation dans leur lutte.
Les Kurdes eux-mêmes n’ont pas conservé les documents nécessaires à propos de leur participation dans les atrocités commises contre les Arméniens.
Le Prof. Nikolay Hovhannisyan, l’un des rares arabistes parmi les historiens arméniens, a considéré un livre, dans l’édition du 2 octobre du journal Azg en Arménie. Le livre est écrit par un historien kurde d’Irak, et publié en arabe en 1977 à Bagdad. L’auteur, Kamal Mazhar Ahmed, ne mâche pas ses mots en décrivant la participation kurde dans la persécution des Arméniens en Turquie, mais il essaie de faire la lumière sur les contradictions historiques qui ont conduit à l’association kurde avec le régime en place.
D’abord, il insiste sur les facteurs qui unissaient les Arméniens et les Kurdes, dont les principales sont l’exploitation par le gouvernement. Mais les facteurs de division sont plus nombreux que ceux qui les unissent. Il y a le facteur religieux, utilisé pour dresser un groupe contre l’autre. Puis il y a eu la politique du Sultan pour diviser et mieux régner. L’historien souligne que les Arméniens étaient avancés en termes d’éducation et avaient amassé un capital considérable, tandis que les Kurdes étaient le contraire. Il mentionne également que le Sultan a encouragé les craintes voulant que les Arméniens aspiraient à l’indépendance.
Les unités militaires hamidiennes que le sultan avait créées pour réprimer les troubles ethniques étaient principalement composées de Kurdes.
L’auteur ne justifie pas le rôle kurde dans les massacres arméniens, comme il l’écrit dans sa conclusion : « Nous devons avouer que le fanatisme aveugle et la faiblesse culturelle ont été les principaux facteurs qui ont motivé la majorité kurde à participer à l’extermination des « giavurs » (littéralement païens pour désigner les Arméniens).
En conclusion de son étude, Hovhannisyan mentionne une discussion avec un militant kurde, un représentant du PKK dans les anciennes républiques soviétiques, à qui il a posé une question sur l’avenir du Kurdistan : « Comment vous et votre parti envisagez-vous la création du Kurdistan ? Quel territoire avez-vous à l’esprit ? Devinant le sens de ma question, le leadeur kurde a répondu que leur chef Oçalan croyait que les Kurdes et les Arméniens étaient des amis ; le moment venu, tout sera révélé. »
Le Professeur Hovhannisyan, frustré par cette réponse ambivalente, s’est souvenu de Charles Talleyrand, politicien français, qui a dit, à propos de la dynastie des Bourbons au pouvoir, « Ils n’ont rien oublié, et ils n’ont rien appris. »
Ce que les Arméniens devraient garder à l’esprit, c’est que l’histoire se déplace vers la création d’un Kurdistan indépendant au cœur même de l’Arménie historique.
Mon expérience personnelle la plus récente jette plus de lumière sur les aspirations kurdes. Durant les commémorations du centenaire du génocide, de nombreux Turcs et Kurdes sont arrivés à Erévan pour présenter publiquement des excuses aux Arméniens. Ils ont placé des couronnes devant le monument de Tsitsernakaberd, et ont même pleuré avec les Arméniens. Je séjournais dans le même hôtel que les groupes kurdes, et nous avons donc eu de nombreuses discussions sur la situation politique actuelle en Turquie. Au cours de l’une de nos discussions, j’ai posé une question directe à l’un des dirigeants kurdes : « Je sais qu’en ce moment, les chances sont contre les Arméniens, la Turquie actuelle ne rétablira pas nos droits territoriaux, mais au moins en principe, quel est votre perception des demandes arméniennes ? »
Le leadeur kurde m’a regardé dans les yeux et a répondu : « Vous voulez dire qu’après tant de sang versé, nous devrions reprendre ces terres et les remettre aux Arméniens ? »
Par conséquent, les Arméniens ne doivent pas retenir leur souffle en attendant les « révélations » d’Oçalan, nous connaissons déjà sa réponse.
Traduction N.P.