Succès de la visite papale aux Etats-Unis, mais les Arméniens n’ont fait preuve d’aucune gratitude

Editorial écrit en anglais par Edmond Y. Azadian et publié dans The Armenian Mirror-Spectator en date du 1er octobre 2015

Généralement, morale et politique s’excluent mutuellement; bien que les deux traitent de problèmes sociaux, la politique a une plus forte emprise que la moralité  abstraite et ses impacts sur la conscience sont plus subjectifs.
La visite de François aux États-Unis a réuni les deux approches des problèmes sociaux et a démontré la puissance de la parole et de l’impact de la morale sur la politique et les questions politiques.
En tant que chef spirituel, le pape ne pouvait politiser sa mission, mais puisque les questions sociales comportaient également un volet politique, il a dû adapter son message en conséquence. À la fin de son allocution lors de la session conjointe du Congrès américain, il a déclaré : « Un bon leadeur politique est celui qui, dans l’intérêt de tous, saisit l’instant avec un esprit d’ouverture et de pragmatisme. »
Avant d’atterrir sur le continent nord-américain, le quatrième pape, François, à se rendre aux Etats-Unis, a fait un premier arrêt sur l’île de Cuba, où il a reçu, tant du peuple cubain que du gouvernement, un accueil digne d’un chef d’Etat. Tous étaient reconnaissants pour le rôle joué par le Pontife dans le rétablissement des relations entre les Etats-Unis et Cuba.
Le président Obama était également reconnaissant. Plus tard, il a remercié le pape pour son aide afin d’avoir rafistolé les liens effilochés, ajoutant : « Vous réveillez notre conscience collective, vous nous appelez à nous réjouir des bonnes nouvelles, et vous nous donnez la confiance de nous rassembler, en toute humilité, et de poursuivre dans un monde plus aimant, plus juste et plus libre.
A Cuba, le pape a ramené Dieu dans une société athée, et son message a restauré la foi chrétienne de la population, tout en abordant prudemment les questions politiques. Il a évité d’évoquer les prisonniers politiques, et de provoquer le régime.
La visite du pape aux États-Unis a été plus tumultueuse et mouvementée. Tout au long de sa visite, les médias ont fourni une couverture suffisante et attiré l’attention et la vénération non seulement des catholiques, mais aussi des non-catholiques, car son message transcendait les fractures raciale, religieuse et philosophique.
Il a été le premier pape à s’adresser au Congrès, recevant 30 ovations debout, contre 29 pour Benyamin Netanyahu, qui avait livré un message politique plus conflictuel.
Bien que le pape ait porté un message de paix, il n’a pas hésité à aborder les questions brûlantes de la journée. Certes, les dirigeants du Congrès tels que John Boehner (qui a ensuite annoncé sa démission en tant que Président de la Chambre) et Mitch McConnell ne s’attendaient pas à la teneur du message du Pape quand ils l’ont invité à prendre la parole. Le pape a appelé à la protection des droits des immigrants et des réfugiés, et l’abolition de la peine de mort ainsi que le caractère sacré de la vie « à chacune de ses étapes, » une référence indirecte à l’avortement.

Puis il s’est questionné sur « l’industrie de la mort », « pourquoi vendre des armes mortelles à ceux qui ont l’intention d’infliger des souffrances indicibles à des individus et des sociétés, » il a ensuite répondu à sa propre question, « nous connaissons malheureusement tous la réponse, c’est tout simplement l’argent. L’argent trempé dans le sang souvent innocent. » Puis il a appelé à l’action afin « d’affronter le problème et arrêter le commerce des armes. »
Son auditoire au Congrès a associé la référence aux 60 milliards de dollars d’armements vendus récemment par les Etats-Unis à l’Arabie saoudite, des armes qui font des ravages en Syrie et au Yémen, ainsi que la nouvelle aide militaire de 45 milliards de dollars promis à Israël.
Toutes les questions que le Pape a abordées sont vigoureusement débattues au cours de la campagne présidentielle.
Le pape a livré des messages similaires tant à la Maison Blanche qu’à l’Assemblée générale des Nations Unies. Il a rappelé à son auditoire une règle d’or : « Faites aux autres ce que vous voudriez qu’ils fassent pour vous. » (Matthieu 7;12)
La visite du pape a profondément touché la conscience de son auditoire. La population des États-Unis a été touchée par son humilité et la simplicité de son message. Il reste à évaluer l’impact de ce message en temps voulu.
« Les gouvernements et leurs dirigeants ne sont pas facilement influençables par les appels à la morale, même provenant du pape, mais ils répondent à leur opinion publique, » a déclaré Louise Fréchette, ancienne secrétaire générale adjointe des Nations Unies. Elle a ajouté que l’accent mis par le pape sur des questions telles que « le changement climatique et les réfugiés pourraient mettre de la pression sur les gouvernements pour qu’ils agissent. »
La visite du pape aux Etats-Unis aura une influence durable sur la conscience des gens et les calculs des politiciens. L’« effet François » est un effet puissant. La seule question demeurée en suspens dans l’esprit des gens est le rôle des femmes dans l’église. Bien qu’il ait préconisé une « théologie profonde sur la place des femmes dans l’église, et un rôle accru des femmes dans la prise de décision, » son dernier mot sur la question a été « l’église a parlé et la porte est fermée » aux femmes.
Il est blâmé pour avoir une « vision aveugle » en ce qui concerne les femmes.
La plupart des médias ont traité la visite papale de manière positive, à l’exception de quelques personnages puissants, dont l’une dans le New York Times, Maureen Dowd, qui a utilisé le pape pour servir ses vues conservatrices concernant la place des femmes dans l’église. Dans son éditorial du dimanche 27 septembre, elle a écrit : « Sa personnalité magnétique et magnanime rend l’église, si souillée par l’ignoble scandale des abus sexuels, plus attrayante, même si le Vatican se cramponne obstinément à sa pratique archaïque de traitement des femmes comme une caste inférieure. »
D’autres analystes suggèrent que, bien que le pape ait souscrit à une philosophie conservatrice, à travers les questions qu’il a soulevées, a donné à la « gauche un nouveau bail sur la vie religieuse. »
En effet, au cours de la dernière décennie, la plupart des discours publics quant à l’Église catholique dans les médias étaient négatifs ; le flot ininterrompu de victimes d’abus sexuels du clergé, si longtemps étouffé, a finalement réussi à trouver une voix. Dans ce processus l’église, jusqu’à récemment, n’a pas réussi à réaffirmer sa supériorité morale. Maintenant, avec François est à la barre, l’église semble être prête à affronter sa conduite passée et se concentrer à nouveau sur le retour des fidèles.

Comme Arméniens, nous avons notre propre ordre du jour concernant le pape et sa mission. Ce que François a fait pour les Arméniens, aucun autre homme d’Etat n’aurait pu faire.

Grâce à sa Divine Liturgie de la cathédrale Saint-Pierre au Vatican, le 12 avril dernier, il a donné une résonance mondiale à la question du génocide. Nous lui étions tous reconnaissants à l’époque, mais lors de sa visite aux États-Unis, nous n’avons pas su lui exprimer notre reconnaissance appropriée d’une grande manière. Nous connaissions depuis longtemps les dates de sa visite, et de son emploi du temps aux États-Unis. Si nous avions mobilisé notre communauté pour un accueil visible, peut-être la question du génocide aurait pu trouver un écho dans le message qu’il a prononcé devant le Congrès, à la Maison Blanche, ou au cours du forum des Nations Unies. Nous ne pouvons pas dire avec certitude quel aurait été le résultat si nous avions été en mesure de déplacer les masses à cette occasion. Bien sûr, il y avait un signe à Philadelphie remerciant le pape pour sa position courageuse. Il y avait aussi un message du diocèse catholique de l’Est, à New York. Il est possible que certains messages n’atteignent pas leurs objectifs, mais nous n’avons certainement pas réussi à démontrer notre gratitude collective. Cela témoigne de notre léthargie comme force politique de ce pays.
Peut-être le seul point positif a-t-il été la rencontre du président Serge Sargissian avec le Cardinal Leonardo Sandri, Préfet du Vatican de la Congrégation pour les Eglises orientales, qui par hasard était en visite à Erévan tandis que le pape était en tournée aux États-Unis. Au cours de cette réunion, à laquelle assistait également le Patriarche de l’Eglise catholique arménienne Grigor Petros 1er Gabroyan, le Président Sargissian a souligné le rôle du Vatican non seulement à unir le monde chrétien, mais aussi à défendre les droits humains, la tolérance, la compréhension et la paix. Il a conclu ses remarques en déclarant que « le fait de la reconnaissance du génocide arménien par le Vatican en est la preuve vivante. »
Pour les personnes vivant aux États-Unis, la visite du pape a signifié la renaissance de la foi et la célébration de son message de paix, mais pour la communauté arménienne, cette visite demeure une opportunité politique cruellement perdue.

 

Traduction N.P.