En faisant plaisir à ses ennemis, l’Arménie plonge tête première dans les abysses

Écrit en anglais par Philippe Raffi Kalfayan et publié dans The Armenian Mirror-Spectator en date du 4 mars 2024

 

Philippe Raffi Kalfayan, réside à Paris, France. Avocat et titulaire d’un doctorat en droit international, il est maître de conférences en droit international et ancien secrétaire général de la FIDH (Fédération internationale des droits de l’homme).

 

Au fil des ans, j’ai régulièrement alerté sur les menaces auxquelles l’Arménie était exposée en raison de l’absence de cohésion et de stratégie nationales couplée à une exacerbation des divisions internes. Les conséquences tragiques de ces erreurs grossières sont connues. Elles se poursuivent : nous assistons à un processus ininterrompu de concessions unilatérales pour établir la paix à tout prix avec un voisin qui en exige toujours plus. Jusqu’où le gouvernement arménien est-il prêt à aller ? La tentative de modification de la constitution de la République d’Arménie risquerait de porter un coup fatal si elle se concrétisait, car elle porterait atteinte à l’âme de cette République, à son identité, et romprait les liens avec la diaspora.

Je soutiens la nécessité d’une réforme constitutionnelle, pas une réforme destructrice de l’identité nationale arménienne mais plutôt une réforme qui la renforce, tenant compte de la diaspora et sans oublier le droit à l’autodétermination de la population arménienne d’Artsakh ou de l’histoire de la nation arménienne.

L’État-nation arménien, patrie de tous les Arméniens, est le seul moyen de perpétuer la République d’Arménie. À cette fin, j’appelle toutes les composantes de la nation arménienne à résister au projet actuel.

 

L’esprit de résistance

Tout récemment, la France a honoré l’esprit de résistance durant la Seconde Guerre mondiale en inhumant au Panthéon, la plus haute distinction que le pays puisse décerner, les restes de Missak Manouchian, un étranger apatride et communiste qui a pris les armes contre les occupants nazis du pays, ce même pays qui lui avaient refusé la citoyenneté. Lui et sa femme, Méliné, ainsi que les 23 membres de leur célèbre groupe de résistance – tous étrangers – ont été honorés.

Bien entendu, une triste ironie de l’histoire est que la grande majorité des Arméniens ont abandonné tout esprit de résistance. La présence à la cérémonie manouchienne du chef de l’État arménien, qui dirige un gouvernement dont les actions sont justement une série ininterrompue de concessions sans résistance, était en soi un paradoxe. Nos voisins turcs et azerbaïdjanais ne signeront un traité de paix que lorsque la République d’Arménie renoncera à ses aspirations nationales et à sa souveraineté.

L’Artsakh est la première victime de ces concessions ; il est également tombé sans aucune résistance. La chute a été totale, la République d’Arménie n’ayant même pas anticipé l’attaque ni offert un passage sûr aux dirigeants de l’enclave, qui ont été rapidement rassemblés par les forces azerbaïdjanaises, en flagrante violation du droit international. Ils demeurent en prison, dans certains cas déjà reconnus coupables de diverses accusations graves.

Le consentement du gouvernement arménien concernant l’abandon du Haut-Karabagh ne fait plus de doute. La façon dont le sujet a disparu des commentaires de ses dirigeants ainsi que les menaces à peine voilées proférées contre des personnes et des groupes en Arménie qui réclament le respect du droit à l’autodétermination de la population du Haut-Karabagh en témoignent. Plus douloureux encore, une partie de la diaspora se comporte également comme si l’affaire était close, alors que les réfugiés sont toujours sous le choc et vivent dans des conditions précaires.

La diaspora contribue à cette fuite en avant dans l’oubli en détournant les yeux des vrais problèmes. Certains soutiennent que la diaspora ne peut pas décider à la place des citoyens arméniens tandis que d’autres, opportunistes, suivent aveuglément le gouvernement pour obtenir des avantages politiques ou personnels. Mais un troisième groupe est composé de ceux qui refusent le défaitisme mais ne proposent pas de solutions capables de créer un mouvement populaire national unifié. En conséquence, la diaspora se replie dans ses domaines habituels : se positionner en permanence en victime, alerter et faire pression sur les dangers extérieurs auxquels la République d’Arménie est confrontée, mener un travail humanitaire, etc. C’est louable et utile dans l’absolu, mais cela est aussi la marque d’un manque de résistance face à la trajectoire imprudente du gouvernement arménien : la destruction du projet d’État-nation conçu et adopté à la fois par les fondateurs de la Première République d’Arménie (1918) et par ceux de la Troisième République d’Arménie (1991).

On peut lire des avis appelant à la réorganisation de la diaspora, voire à une « constitution » pour la diaspora, pour soutenir et promouvoir les idéaux nationaux indépendamment du gouvernement arménien. C’est irréaliste et inefficace. Il ne faut pas oublier que nos pays de résidence n’ont aucune utilité pour nos aspirations panarméniennes. Ils ne prêtent attention qu’aux sujets soulevés par l’État arménien. Deux exemples confortent cette affirmation. La première est terminée : la diaspora s’est mobilisée pour défendre la condamnation pénale du négationnisme arménien tandis que le gouvernement arménien défendait la liberté d’expression dans les antichambres de la Cour européenne des droits de l’homme, de concert avec la Turquie. La seconde est d’actualité : la diaspora est mobilisée pour défendre le droit à l’autodétermination des Arméniens du Karabagh, alors que les dirigeants arméniens considèrent ce sujet comme clos. Les gouvernements de nos pays de résidence choisiront toujours la position minimaliste défendue par le gouvernement arménien.

La menace extérieure, l’Azerbaïdjan, existe et représente un grave danger. Cependant, la menace interne n’est pas moins dangereuse ; au contraire, elle est insidieuse car elle émane du gouvernement de la République d’Arménie. Cela pourrait conduire le gouvernement à remanier la constitution pour en éliminer toutes les références historiques et les idéaux nationaux, mais cela est présenté comme un moyen de s’adapter à un nouvel environnement géopolitique.

 

Définir la Constitution et son objectif

Tous les États ne disposent pas d’une constitution au sens d’un texte unique codifié, formulé comme tel. Les États-Unis, la France et de nombreux autres pays ont codifié leurs constitutions, mais pas le Royaume-Uni, le Canada, l’Australie et Israël. Au lieu de cela, ils disposent d’un ensemble de « lois fondamentales » qui servent de constitution de facto. La constitution est un document essentiel permettant à toute nation libre de déterminer sa philosophie sociale et de la traduire en objectifs visionnaires. Il fournit des orientations sur le fonctionnement de l’État afin de protéger les droits et les intérêts de sa population.

La Constitution se situe à l’intersection du système juridique, du système politique et de la société. Il est ainsi possible d’identifier deux archétypes constitutionnels majeurs : la constitution procédurale et la constitution prescriptive. Une constitution procédurale définit la structure des institutions publiques et fixe des limites juridiques au pouvoir du gouvernement afin de protéger les processus démocratiques et les droits humains fondamentaux. Il contient peu ou pas de mention explicite de la formation d’une nation ou de principes philosophiques ou idéologiques fondamentaux. En revanche, une constitution prescriptive met en avant le rôle fondateur de la constitution en tant que « charte fondamentale de l’identité de l’État », qui joue « un rôle clé dans la représentation des objectifs finaux et des valeurs partagées sur lesquels un État est établi » (Lerner, 2011). Elle propose une vision collective d’une société selon les valeurs et aspirations partagées par une communauté homogène. La mise en œuvre réussie d’une constitution normative peut avoir un impact positif sur les efforts d’édification de la nation.

Le préambule, qui sert d’introduction, est une partie importante de la constitution car il définit les idéaux du peuple qu’elle représente. Il s’agit d’une déclaration résumant les principales raisons et objectifs de la constitution et faisant parfois référence à des événements historiques importants, à l’identité ou aux valeurs nationales.

Les fondateurs de la troisième République d’Arménie ont pris soin d’insérer dans la constitution un préambule qui définit cette vision nationale. Le peuple arménien s’appuie sur les principes fondamentaux et les objectifs nationaux de la souveraineté arménienne établis dans la Déclaration d’indépendance de l’Arménie. Celle-ci (adoptée le 23 août 1990) constitue donc la base circonstancielle et visionnaire de la Constitution (adoptée le 5 juillet 1995).

Le préambule se lit comme suit : « Exprimant la volonté unie du peuple arménien ; Conscient de sa responsabilité historique dans le destin du peuple arménien engagé dans la réalisation des aspirations de tous les Arméniens et dans la restauration de la justice historique ; Partant des principes de la Déclaration universelle des droits de l’homme et des normes généralement reconnues du droit international ; Exerçant le droit des nations à la libre autodétermination ; En se basant de la décision conjointe du 1er décembre 1989 du Conseil suprême de la RSS d’Arménie et du Conseil national d’Artsakh sur la « Réunification de la RSS d’Arménie et de la région montagneuse du Karabagh » ; Développant les traditions démocratiques de la République indépendante d’Arménie créée le 28 mai 1918. »

On peut y constater que toutes les références historiques qui définissent l’État-nation arménien et les aspirations de TOUS les Arméniens y sont présentes ainsi que la réaffirmation du droit des nations à l’autodétermination. L’article 11 de la Déclaration ajoute la nécessité de soutenir les efforts visant à la reconnaissance internationale du génocide arménien commis dans l’Empire ottoman et en Arménie occidentale.

La Constitution arménienne s’inspire de la Constitution française de 1958 (des constitutionnalistes français ont conseillé lors de sa rédaction). Le préambule de cette dernière fait référence à des références historiques, celle des principes définis par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et celle du préambule de la Constitution de 1946 dont les principes s’inspirent largement du programme du Conseil national de la Résistance du 15 mars 1944 (programme adopté avant la libération de la France durant la Seconde Guerre mondiale). Le Conseil était dirigé par Charles de Gaulle, qui prononça un discours historique à Bayeux (Normandie) le 16 juin 1946. Il dessina le nouvel équilibre des pouvoirs qui se mettrait en place en 1958, défendant l’existence d’un État souverain fort (De Gaulle a toujours résisté à la volonté des Etats-Unis d’imposer leurs vues à la France), garant de l’unité nationale, affranchi du jeu des partis politiques source de divisions et de paralysie.

L’histoire de la Constitution française présente donc un parallèle étonnamment pertinent avec la situation actuelle de l’Arménie, un pays qui a désespérément besoin de cet esprit de résistance et d’unité nationale, transcendant les partis politiques et les influences extérieures, que l’Occident tente actuellement de promouvoir en forçant l’Arménie à rompre ses relations stratégiques de longue date avec la Russie.

 

A suivre dans le prochain numéro

 

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Suite du numéro précédent

 

Constitution arménienne et nouvelles circonstances géopolitiques

Le projet du gouvernement de modifier la constitution est né des demandes de l’Azerbaïdjan ; Le Premier ministre Nikol Pachinian ne le cache pas. En fait, le système parlementaire n’est pas remis en cause. Au lieu de cela, la référence à la réunification du Haut-Karabagh avec l’Arménie est ciblée. Le fait même que ce soit l’Arménie qui ait initié le débat sur ce sujet est une grossière erreur car ses voisins adversaires ont saisi l’occasion pour exiger officiellement et publiquement cette nouvelle concession. Le Premier ministre laisse entendre sans le dire que la signature d’un traité de paix avec l’Azerbaïdjan est conditionnée à la suppression de cette référence dans la Déclaration d’indépendance.

Il est paradoxal de constater qu’il est le seul dirigeant arménien à avoir affirmé que l’Artsakh est l’Arménie et pourtant c’est lui qui veut désormais éliminer cet idéal au nom d’un hypothétique respect mutuel de l’intégrité territoriale avec l’Azerbaïdjan sur la base des frontières soviétiques. L’Azerbaïdjan n’est pas disposé à accepter la souveraineté de l’Arménie sur cette base territoriale. Aujourd’hui, elle s’étend sur 170 kilomètres carrés du sol arménien. La question est alors : pourquoi abandonner cet objectif légitime, voire juridique ?

En effet, l’acte constitutionnel d’indépendance de la République d’Azerbaïdjan (18 octobre 1991) et son document diplomatique d’adhésion à l’ONU en 1992 vont à l’encontre des raisons avancées par le gouvernement arménien pour justifier l’abandon politique du Haut-Karabagh. Dans son article 2, la Déclaration d’indépendance de l’Azerbaïdjan déclare que la République d’Azerbaïdjan est l’héritière de la première République (28 mai 1918 – 28 avril 1920). L’acte d’indépendance ne délimite pas le territoire. L’article 3 précise que l’acte annule le Traité de l’URSS (30 décembre 1922), rejetant ainsi son héritage soviétique, et se reconnaissant ainsi comme l’héritier de la République de 1918-1920. La région du Haut-Karabagh est donc automatiquement exclue du territoire azerbaïdjanais. Le 30 novembre 1920, le président du Comité révolutionnaire d’Azerbaïdjan a reconnu le Haut-Karabagh comme faisant partie de l’Arménie soviétique. Cela a été confirmé par le Bureau caucasien du Parti communiste le 4 juillet 1921. Puisque l’Azerbaïdjan rejette toutes les décisions prises par le pouvoir soviétique, la décision du même Bureau caucasien de rattacher le Haut-Karabagh à l’Azerbaïdjan le 5 juillet 1921 est nulle et non avenue.

Ainsi, en mettant en avant les dispositions du Protocole d’Alma-Ata, marquant la dissolution de l’URSS, l’exécutif arménien s’est lui-même saboté.

 

La Turquie exigera-t-elle des changements à la Constitution arménienne ?

Demain, la Turquie pourrait aussi demander officiellement à l’Arménie (certains hommes politiques turcs ont commencé à le faire) une modification de la Constitution de la République car la Déclaration d’indépendance contient une référence au génocide en Arménie occidentale (voir article 11).

Il est utile de rappeler que la Cour constitutionnelle arménienne s’est prononcée sur les Protocoles arméno-turcs signés à Zurich en octobre 2009. Par une décision du 12 janvier 2010, la Cour a considéré que les dispositions du Protocole « sur le développement des relations entre la République d’Arménie et la République de Turquie » dans la législation et la pratique juridique de la République d’Arménie, ainsi que dans les relations interétatiques, ne peut être interprété et appliqué d’une manière qui contredit les dispositions du préambule de la Constitution de la République d’Arménie et la Déclaration d’indépendance de l’Arménie, ni les exigences de l’article 11 de la Déclaration d’indépendance.

La Cour constitutionnelle a subi une recomposition de ses membres dans le cadre de la prise de pouvoir judiciaire par le parti au pouvoir en Arménie. Le dernier exemple illustrant la violation du principe de séparation des pouvoirs est celui de la nomination du juge David Balayan par l’Assemblée générale des juges afin de pourvoir un poste vacant à la Cour constitutionnelle. Le Parlement, où le parti du Contrat civil de Pachinian dispose d’une majorité des deux tiers, a refusé cette nomination, alors qu’elle avait été décidée à une écrasante majorité de l’Assemblée générale des juges. Il semble donc que la Cour constitutionnelle soit façonnée pour suivre les instructions de l’exécutif.

 

Modifier la déclaration d’indépendance annulerait l’indépendance

Depuis quand un État réécrit-il sa constitution en fonction des injonctions de ses voisins ? Une telle opération serait contraire aux principes de souveraineté et aux intérêts nationaux. Le débat même autour de cette éventuelle concession peut avoir des conséquences désastreuses sur la politique étrangère et judiciaire actuellement menée par le ministère des Affaires étrangères de la RA et l’Agent du Gouvernement pour les affaires juridiques. Tous deux visent à consolider juridiquement et diplomatiquement le droit au retour de la population arménienne d’Artsakh sur sa terre.

L’incohérence au sommet de l’État, consciente ou non, est un désastre national. Après l’abandon de l’Artsakh par la coercition, ce serait l’enterrement définitif du droit à l’autodétermination du peuple arménien de l’Artsakh.

Un État peut être formé sur la simple base d’une déclaration d’indépendance, et celle-ci fait office de loi fondamentale. C’est ce document qui consacre la souveraineté nationale vis-à-vis de ses anciens administrateurs ou colonisateurs. Ce fut le cas de la Déclaration d’indépendance des États-Unis en 1776 : « Déclaration unanime des treize États-Unis d’Amérique et Déclaration d’indépendance des États-Unis » vis-à-vis de la Grande-Bretagne. La Constitution des États-Unis n’a été adoptée qu’en 1787.

C’est également le cas en Israël, où plusieurs lois fondamentales constituant l’État d’Israël ont été adoptées. La Déclaration d’indépendance de l’État d’Israël en 1948 vis-à-vis de son mandataire britannique est restée le seul texte « constitutionnel » jusqu’en 1958.

Même si l’auteur ne souscrit pas aux récentes lois fondamentales israéliennes qui sont totalement contraires aux principes du droit international et aux résolutions des Nations unies, il n’en reste pas moins qu’elles illustrent de manière pertinente ce qu’est un État-nation indépendamment de la notion de territoire.

La plupart des Arméniens aiment citer Israël comme exemple de petit État prospère. L’État d’Israël a été créé pour rassembler une nation et représenter ses idéaux. Le territoire d’Israël n’est défini dans aucun document officiel. Le seul document où il est défini est la Charte du Likoud, parti de droite, héritier du parti sioniste révisionniste créé en 1925 et qui veut établir un État juif sur les deux rives du Jourdain, y compris l’ancien territoire palestinien sous domination britannique, mandat (qui inclut Gaza) et la Jordanie (qui inclut la Cisjordanie et Jérusalem-Est). Le Premier ministre Benjamin Netanyahu, actuel chef du Likoud, dévoile ce projet sous nos yeux.

En 2018, la loi Israël, État-nation du peuple juif a modifié les principes de la Déclaration d’indépendance en ce sens qu’elle reconnaît Israël comme État juif et l’hébreu comme seule langue officielle (un régime d’apartheid car il instaure une double discrimination fondée sur des critères nationaux et différences religieuses). Pour le reste, elle poursuit la philosophie de la Déclaration de 1948, selon laquelle Israël est défini comme la patrie historique du peuple juif, dans laquelle l’État d’Israël a été créé. Il proclame que : L’État fera tout pour assurer la sécurité des membres du peuple juif en danger ou en captivité, en raison de leur judéité ou de leur citoyenneté, agira auprès de la diaspora de manière à renforcer les liens entre l’État et les membres du peuple juif; et agira pour préserver le patrimoine culturel, historique et religieux du peuple juif parmi les juifs de la diaspora. La Déclaration de 1948 se termine par une référence à « la réalisation du rêve séculaire : la rédemption d’Israël ». Ce qui était une utopie est devenu réalité.

Il ressort donc des déclarations d’indépendance d’Israël et de l’Azerbaïdjan que ces actes constitutifs de l’État ne définissent pas les territoires. Les deux États ont des objectifs clairement expansionnistes. La politique de paix à tout prix menée par le gouvernement arménien avec l’Azerbaïdjan a peu de chances de réussir dans ces circonstances.

 

Le risque d’exclusion de la diaspora est élevé

La conséquence la plus grave d’un amendement de la constitution arménienne serait l’abandon des rêves et des objectifs de la nation arménienne. Purger la constitution de toutes ses références historiques qui concernent la nation tout entière, c’est mettre en danger l’existence même de l’Arménie car cela limiterait la définition de l’État arménien à la population résidant à l’intérieur des frontières de la République d’Arménie et exclurait les autres de cette nation arménienne.

Deux commentateurs de ce projet soulignent les incohérences et les risques de ce projet. Artak Beglarian, ancien ministre d’État d’Artsakh, le juge très dangereux car il oppose artificiellement l’intérêt national et l’intérêt de l’État, alors qu’en réalité ils sont complémentaires. L’État est le noyau et la citadelle de la nation. En outre, cela supprime la responsabilité nationale de l’État envers les 75 pour cent de la nation (diaspora et Artsakh) qui se trouvent en dehors des frontières formelles de l’État. Le projet détruit les principes et symboles idéologiques qui constituent la base de l’identité nationale et affaiblit considérablement le niveau de résistance de la nation et même la consolidation du peuple. Vahan Zanoyan (Voir « Définir la nation et l’État », Armenian Mirror-Spectator, 1er février 2024) retrace le parcours historique de la nation arménienne et la formation de l’État et rappelle que la nation avait une existence permanente alors que ce n’est pas vrai pour l’État. Il a survécu sans État pendant la majeure partie de son histoire. Durant les siècles où il n’y avait pas d’État arménien, c’est la nation, avec son attachement inébranlable à sa culture, sa langue, sa littérature, sa foi, ses traditions, son patrimoine historique, sa mémoire collective et sa conscience obstinée de sa propre histoire, qui a entretenu l’espoir et perspective d’un éventuel état.

C’est d’ailleurs cet espoir et cet idéal d’indépendance qui ont permis de résister à 70 ans de communisme et d’empêcher la destruction de l’idéologie et des valeurs nationales.

L’abandon de l’État-nation porterait un coup démographique fatal à une Arménie déjà en proie à une forte émigration. Les réfugiés d’Artsakh augmenteront également le flux d’émigration car ils ne peuvent pas rentrer chez eux. Si l’Arménie ne représente plus les aspirations de l’ensemble de la nation arménienne, quel est l’intérêt pour les Arméniens de la diaspora d’y investir ou de s’y installer ? Les citoyens actuels et les résidents arméniens eux-mêmes auraient de bien meilleures options en dehors de la République d’Arménie. En effet, si les seuls objectifs sont la paix et la prospérité économique, ils pourront alors mieux les poursuivre en Europe, aux États-Unis, au Canada ou même dans certains États du Moyen-Orient.

Si un État doit être construit, ce sera un État-nation doté d’une idéologie et d’une identité fortes, représentatives des aspirations de la nation arménienne tout entière. La tendance forte partout dans le monde, aux États-Unis comme dans la plupart des pays européens, mais aussi en Russie, en Turquie et en Azerbaïdjan, est plutôt au renforcement des objectifs et des identités nationales. Le projet du gouvernement arménien, allant à contre-courant de cette tendance, annoncerait l’autodestruction de la République d’Arménie.

Le Premier ministre a récemment évoqué la nécessité de construire un État, affirmant qu’il n’en existait pas aujourd’hui. Cet État existe depuis 1918 mais ses serviteurs n’existent plus. Le service rendu à l’État doit primer sur les intérêts et privilèges politiques et individuels. L’Arménie manque de serviteurs et d’hommes d’État depuis son indépendance en 1991. Les espoirs placés dans les nouvelles générations ont été déçus. Au contraire, ceux qui sont au pouvoir semblent encore moins capables de servir l’État que les anciens cadres soviétiques. La modification constitutionnelle, si elle devait avoir lieu, ne diminuerait en rien les revendications de nos voisins belliqueux, mais accélérerait certainement la perte d’un État, la patrie de tous les Arméniens. Perdre cet État-nation créé par les survivants du génocide l’achèverait.

L’urgence est de résister et de lutter contre ce projet, de le neutraliser en empêchant la force politique au pouvoir et son « lider maximo » d’y parvenir. Pour cela, il faudra faire échouer le référendum sur une nouvelle constitution, si jamais il a lieu, et développer un projet alternatif, soutenu par toutes les forces politiques qui souhaitent protéger les rêves arméniens et restaurer la dignité et la souveraineté nationales. Un Conseil panarménien de la Résistance doté d’une Charte réaliste devrait être créé immédiatement. Je suis prêt à coordonner et à consolider les efforts dans ce sens.

 

Traduction N.P.