Les États-Unis, principal médiateur de l’Arménie en 2023 dans le Caucase du Sud

Écrit en anglais par Souren Sargissian et publié dans The Armenian Mirror-Spectator en date du 11 janvier 2024

 

Tout au long de l’année 2023, l’engagement américain dans le Caucase du Sud s’est évidemment intensifié et les relations avec l’Arménie se sont intensifiées, tout cela depuis la guerre de 44 jours déclenchée en 2020 par l’Azerbaïdjan. Depuis la fin de la guerre, les autorités arméniennes sont disposées à établir des relations diplomatiques avec deux voisins immédiats, l’Azerbaïdjan et la Turquie, ce qui correspond pleinement aux intérêts géopolitiques des États-Unis.

Les États-Unis s’efforcent de réduire l’influence russe dans le Caucase du Sud et la réconciliation des relations arméno-turques et arméno-azerbaïdjanaises offrirait une telle possibilité. Essentiellement, la normalisation des relations arméno-turques est une priorité de la politique étrangère américaine dans la région depuis les années 1990. Il n’est donc pas surprenant que les États-Unis aient été beaucoup plus actifs dans la région au cours des trois dernières années, compte tenu des nouvelles réalités.

Alors que les États-Unis cherchent à améliorer les relations arméno-azerbaïdjanaises, ils se sont montrés prudents quant aux processus qui pourraient entraver les négociations. La fermeture du corridor de Latchine par l’Azerbaïdjan en est un exemple. Le blocus de l’Artsakh par l’Azerbaïdjan a commencé en décembre 2022 et s’est poursuivi jusqu’en septembre 2023, lorsque l’Azerbaïdjan a eu recours à la force menant à un nettoyage ethnique contre la population autochtone arménienne. La première réaction américaine à la fermeture du corridor s’est produite le lendemain du blocus de l’Artsakh. Cependant, ce n’étaient que des déclarations sans aucune mesure concrète. Un mois plus tard, Antony Blinken a eu un entretien téléphonique avec le premier ministre arménien ainsi que le président azerbaïdjanais. Lors de cet appel avec le président Ilham Aliev, Blinken « a souligné la nécessité d’un transit commercial libre et ouvert à travers le corridor de Latchine ».

Au cours des mois suivants, de nombreuses autres déclarations ont été faites par des membres du Congrès, notamment ceux impliqués dans le groupe parlementaire arménien, qui ont condamné les actions de l’Azerbaïdjan et ont appelé l’administration américaine à soutenir la population de l’Artsakh et à cesser de fournir une aide à l’Azerbaïdjan.

Bien entendu, le Département d’État et le secrétaire d’État Blinken ont également fait un certain nombre de déclarations sur la question en 2023. Mais le plus important, c’est que dans ces déclarations, les États-Unis ont spécifiquement exprimé leur volonté de faciliter les négociations entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan.

Compte tenu de la situation autour de l’Artsakh après la guerre de 2020 et de la volonté des autorités arméniennes d’établir des relations diplomatiques avec l’Azerbaïdjan et la Turquie, les États-Unis sont devenus beaucoup plus actifs dans la régulation des relations entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, ainsi qu’entre l’Arménie et la Turquie. Dans une série de déclarations, l’administration américaine a exprimé sa volonté de soutenir l’Azerbaïdjan et l’Arménie dans la mise en œuvre des négociations.

On peut citer plusieurs réunions et négociations tripartites et bilatérales entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan organisées par les États-Unis l’an dernier. La première réunion tripartite de cette année-là entre Blinken, Nikol Pachinian et Aliev a eu lieu le 18 février dans le cadre de la Conférence de Munich sur la sécurité, au cours de laquelle Blinken a noté que des progrès significatifs avaient été réalisés au cours des deux derniers mois.

Une autre ronde de négociations entre les ministres des Affaires étrangères a eu lieu du 1er au 4 mai. Les négociations entre Ararat Mirzoyan et Jeyhun Bayramov ont eu lieu au Centre national de formation aux affaires étrangères George Shultz des États-Unis, en présence d’Anthony Blinken et du conseiller américain à la sécurité nationale, Jake Sullivan. Dans son résumé, Blinken a fait une déclaration remarquable selon laquelle les parties sont « vraiment à la portée d’un accord ». Cela a provoqué des discussions animées sur la possibilité de signer prochainement un accord de paix, mais jusqu’à présent, aucun contrat signé n’est connu du public.

Les dernières négociations de 2023 avec la médiation américaine ont eu lieu du 27 au 29 juin. Ces négociations entre Mirzoyan et Bayramov ont eu lieu à nouveau au Centre national de formation aux affaires étrangères George Shultz. Les déclarations de Blinken à la suite de cette réunion ont également été très intéressantes : « Je pense que tout le monde comprend clairement que plus nous nous rapprochons d’un accord, dans certains cas, plus cela devient difficile, plus les questions difficiles sont laissées pour la fin. Mais j’apprécie beaucoup l’esprit de franchise et d’ouverture dont chacun a fait preuve. C’est ainsi qu’on pourra finalement parvenir à une entente et finalement parvenir à un accord. » Il semblait que la version finale du contrat allait bientôt être prête.

Un nouveau cycle de négociations sous la médiation américaine était prévu pour la fin de l’an dernier, le 20 novembre, mais l’Azerbaïdjan a refusé d’y participer, en réponse aux déclarations faites par le secrétaire d’État adjoint américain James O’Brien à la Chambre des représentants. Dans un communiqué, O’Brien a noté que « nous avons clairement indiqué que rien ne serait normal avec l’Azerbaïdjan après les événements du 19 septembre tant que nous n’aurons pas constaté de progrès sur la voie de la paix », ajoutant que Washington avait annulé les « visites de haut niveau » et arrêté l’aide militaire et autre à l’Azerbaïdjan. L’ambassadeur itinérant arménien Edmond Maroukian a récemment annoncé que l’Azerbaïdjan avait accepté la proposition américaine de tenir une réunion des ministres des Affaires étrangères aux États-Unis en janvier 2024, exprimant l’espoir que Mirzoyan et Bayramov finaliseraient le traité de paix arméno-azerbaïdjanais. Le ministère arménien des Affaires étrangères a en fait réfuté la déclaration de Maroukian, déclarant que « s’il y a un accord sur une réunion, nous le rendrons public ». Bakou, à son tour, affirme que les deux parties ne sont pas encore parvenues à un accord sur la date et le lieu de la prochaine réunion de leurs ministres des Affaires étrangères.

La régulation des relations arméno-turques n’en demeure pas moins importante et pertinente pour les États-Unis. Une fois ces relations normalisées, ils pourront étendre leur influence dans le Caucase du Sud, réduisant ainsi l’emprise de la Russie.

Cependant, il n’y a pas beaucoup d’informations disponibles sur l’implication américaine sur cette question en 2023. Mais on sait que les États-Unis gardent un œil sur la question : par exemple, le conseiller américain à la sécurité nationale, Jake Sullivan, a soulevé la question du processus de négociation entre l’Arménie et la Turquie lors d’une de ses conversations téléphoniques avec Ibrahim Kalin, le principal conseiller du président turc. En outre, lors de sa visite en Arménie, la secrétaire d’État adjointe des États-Unis Erika Olson a rencontré le représentant spécial pour le processus de normalisation entre l’Arménie et la Turquie, Rouben Roubinian, et selon les informations de la presse officielle : « À la demande de l’invité, Rouben Roubinian a présenté les détails du processus de normalisation des relations entre l’Arménie et la Turquie. Cela témoigne du fait que les États-Unis demeurent intéressés par la perspective d’une normalisation des relations entre l’Arménie et la Turquie ».

Malgré les déclarations apparemment positives de Blinken sur la signature du traité de paix dans les semaines ou mois à venir, l’Azerbaïdjan a eu recours à la force en septembre 2023 contre la population autochtone de l’Artsakh. Au milieu de cette crise humanitaire, Samantha Power, la directrice de l’USAID, s’est rendue en Arménie et en Azerbaïdjan, accompagnée du secrétaire adjoint par intérim du Département d’État américain pour l’Europe et les Affaires eurasiennes, Yuri Kim. Au cours de sa visite, Power a annoncé une aide humanitaire de 11,5 millions de dollars. En outre, Power a personnellement transmis la lettre du président Joe Biden, dans laquelle il a exprimé son soutien et celui de son administration à « la poursuite par l’Arménie d’une paix régionale digne et durable qui préserve la souveraineté, l’indépendance, l’intégrité territoriale et la démocratie de l’Arménie ». Des messages similaires ont été réitérés par Power lors de ses visites en Arménie et en Azerbaïdjan lors de sa rencontre avec Aliev.

Un peu plus tard, des informations sont apparues selon lesquelles l’Azerbaïdjan allait envahir l’Arménie proprement dite. Selon certaines sources, c’est Blinken qui a déclaré cela lors de sa rencontre avec les législateurs (la nouvelle a ensuite été démentie par le Département d’État). Cependant, au vu des messages transmis par Power et de la lettre de Biden, on peut conclure qu’il existait bel et bien un risque d’invasion qui a été évité du moins temporairement.

Il est difficile d’affirmer que les efforts américains pour normaliser les relations arméno-turques et arméno-azerbaïdjanaises ont été totalement efficaces, mais il est un fait que durant toute l’année 2023, les États-Unis ont été le principal médiateur, initiateur et acteur dans le Caucase du Sud. Cela est lié au déclin du rôle et de l’importance de la Russie dans toute la région en raison de l’issue de la guerre en Artsakh, ainsi qu’à la concentration des principales ressources de Moscou dans sa guerre en Ukraine. Au cours des décennies précédentes, les États-Unis avaient jeté des bases assez solides pour le règlement des conflits dans le Caucase du Sud et attendaient le moment historique pour poursuivre une politique plus proactive. On peut affirmer sans équivoque que les États-Unis n’ont pas eu, en 2023, une participation aussi active dans le Caucase du Sud depuis 1992.

 

Traduction N.P.