Pourquoi l’administration Biden blanchit-elle les crimes de l’Azerbaïdjan ?

Écrit en anglais par Michael Rubin et publié dans The Armenian Mirror-Spectator en date du 23 avril 2024

 

Michael Rubin est chercheur principal à l’American Enterprise Institute. Il a auparavant travaillé comme fonctionnaire au Pentagone, où il s’occupait des questions liées au Moyen-Orient, et comme conseiller politique auprès de l’Autorité provisoire de la coalition.

 

L’année 2023 a peut-être été la pire année pour les Arméniens depuis le génocide d’il y a plus d’un siècle. Les Azerbaïdjanais, soutenus par les forces spéciales turques et utilisant des drones israéliens, ont attaqué le Haut-Karabagh et ont réussi à chasser sa population chrétienne arménienne. Pour le dictateur azerbaïdjanais Ilham Aliev, l’éradication du christianisme et l’expulsion des Arméniens de souche répondaient à l’ambition de toute une vie.

Le rapport national 2023 sur les pratiques en matière de droits de l’homme du Département d’État américain, publié le 22 avril 2024, minimise cette réalité. Alors que le président Joe Biden se considère comme un président des droits de l’homme et se targue d’avoir la clarté morale nécessaire pour reconnaître le génocide arménien, le rapport blanchit non seulement les crimes de l’Azerbaïdjan, mais également les rapports antérieurs de ses diplomates et suggère que quelque chose est pourri au Département d’État pour ne pas dire à la Maison Blanche elle-même.

En apparence, le rapport critique l’Azerbaïdjan, mais ses omissions et ses élisions reviennent à faire référence au tueur en série Ted Bundy uniquement comme un homme qui a perpétré des violences envers les femmes. (NDLR. Ted Bundy a agressé et assassiné de nombreuses jeunes femmes et filles durant les années 1970, et peut-être avant. En plus d’enlever et violer ses victimes, il a pratiqué des actes nécrophiles sur leurs cadavres. En prison, après une décennie à nier les faits et peu de temps avant son exécution, il a admis avoir commis une trentaine d’homicides dans sept États américains entre 1974 et 1978. Le nombre de victimes demeure inconnu, mais pourrait être beaucoup plus élevé.)

La réalité est que lorsque l’Azerbaïdjan a bloqué le corridor de Latchine, il a non seulement violé les termes de l’accord de cessez-le-feu du 9 novembre 2020, mais il a également violé la loi américaine. La loi sur les corridors d’aide humanitaire interdit toute ingérence dans tout pays recevant l’aide américaine en fourniture ou envoi de l’aide américaine vers un autre pays, une autre région ou un autre territoire.

Cela ne ressort pas clairement du rapport du Département d’État. Considérez sa description du blocus du corridor de Latchine : « L’Azerbaïdjan a empêché l’accès au corridor de Latchine. Cela a rendu la route inaccessible à la majorité du trafic civil et commercial et a empêché l’accès aux livraisons de fournitures humanitaires en provenance d’Arménie. Le gouvernement azerbaïdjanais a déclaré qu’il était prêt à fournir des marchandises au Karabagh via des itinéraires alternatifs ; cependant, les Arméniens de souche de l’Artsakh ont refusé les produits en provenance d’Azerbaïdjan.

Ce récit ignore non seulement les faux manifestants écologistes identifiés par la suite comme des agents de sécurité azerbaïdjanais connus, mais omet également la coupure de gaz, d’électricité et autres services publics en Azerbaïdjan. Le rapport du Département d’État légitimise également l’offre azerbaïdjanaise de lever le blocus et amplifie la propagande azerbaïdjanaise selon laquelle la population arménienne du Karabagh partage la responsabilité de son refus d’accepter des routes d’approvisionnement alternatives. Mais en réalité, l’offre azerbaïdjanaise n’a jamais été sincère ; cela équivalait plutôt à voir de la bonne foi dans les offres allemandes durant la Seconde Guerre mondiale pour nourrir le ghetto de Varsovie.

Le secrétaire d’État Antony Blinken ne peut pas plaider l’ignorance. Le rapport du Département d’État contredit ses propres déclarations et les conclusions de ce même Département d’État entre janvier et septembre 2023. Blinken a imputé la responsabilité à l’Azerbaïdjan peu après le début du blocus et a continué d’exiger que l’Azerbaïdjan cesse ses « actions militaires au Haut-Karabagh ». Alors que le rapport du Département d’État minimise la clarté morale en faveur de l’équivalence morale, il omet les conclusions précédentes de Blinken selon lesquelles le blocus et l’agression militaire de l’Azerbaïdjan « aggravent une situation humanitaire déjà désastreuse au Haut-Karabagh et compromettent les perspectives de paix ». L’équivalence morale qui imprègne le rapport du Département d’État ignore également l’avertissement de Blinken aux législateurs en octobre 2023 selon lequel l’Azerbaïdjan pourrait envahir l’Arménie.

Il en va de même pour l’arrestation de hauts responsables de la République d’Artsakh. Le Département d’État insère des citations alarmistes autour des « responsables » malgré des élections libres en Artsakh. En effet, Blinken s’engage à la fois dans le déni des élections et dans la minimisation du fait que les actions de l’Azerbaïdjan n’étaient pas seulement un nettoyage ethnique et l’éradication délibérée d’une culture millénaire et de la population indigène, mais représentaient également le triomphe de l’autocratie sur une région qui avait embrassé la démocratie. Blinken trouve peut-être une telle élision sophistiquée, mais l’administration Biden perd tout fondement moral pour condamner le refus des élections dans son pays lorsqu’elle l’encourage à l’étranger.

Hélas, sous la direction de Samantha Power, l’Agence américaine pour le développement international ne fait pas mieux. Après sa rencontre avec Blinken à Bruxelles et leurs homologues de l’Union européenne, l’USAID a publié une déclaration applaudissant son engagement à « fournir 33 millions de dollars pour soutenir le peuple arménien en aidant les personnes déplacées à la suite aux récentes hostilités ; renforcer son secteur énergétique ; lutter contre l’insécurité alimentaire ; promouvoir la stabilité économique, la gouvernance numérique et l’intégration régionale et défendre les droits de l’homme. Mais ici, le diable se cache dans les détails. Power a alloué cet argent pour soutenir les groupes LGBT et aider les agriculteurs à faire face au changement climatique. Moins d’un quart des fonds annoncés serviront réellement à aider les réfugiés du nettoyage ethnique du Haut-Karabagh mené par l’Azerbaïdjan. En d’autres termes, l’administration Biden a dépensé six fois plus d’argent pour construire un nouveau bureau de poste dans le comté rural de Davidson, en Caroline du Nord, que pour nourrir, vêtir et abriter les expulsés du Haut-Karabagh. Ce n’est pas ainsi que le service gouvernemental de Power conseillait de lutter contre le génocide.

Ne vous y trompez pas : les Arméniens devraient juger la déclaration annuelle de la Maison Blanche sur sa volonté de reconnaître le fait que l’Azerbaïdjan a effectué un nettoyage ethnique de la population arménienne du Haut-Karabagh. Si la déclaration poursuit le modèle établi par Anthony Blinken et ne dénonce pas le nettoyage ethnique de l’Artsakh par l’Azerbaïdjan, le résultat donnera le feu vert à une nouvelle violence. La commémoration n’a aucun sens sans sincérité. Le symbolisme ne doit jamais se faire au détriment du contenu. Si Blinken veut aplanir les relations avec l’Azerbaïdjan, il ne doit pas le faire sur la base de mensonges, mais en calibrant la politique américaine sur la réalité.

 

Traduction N.P.