Éditorial écrit en anglais par Edmond Y. Azadian et publié dans The Armenian Mirror-Spectator en date du 18 août 2022
Le sujet principal de la politique internationale est le développement d’un nouvel ordre mondial, ressenti et combattu plus intensément dans le Caucase.
Récemment, deux sommets majeurs se sont tenus, le premier à Téhéran, avec la participation des présidents Ebrahim Raisi, Recep Tayyip Erdogan et Vladimir Poutine, et le second dans la ville balnéaire de Sotchi, en Russie, entre uniquement la Russie et la Turquie. La Syrie, l’Arménie et l’Ukraine ne faisaient pas partie des participants malgré le fait que leurs destins étaient sur la table. Les grandes puissances n’ont pas jugé leur participation nécessaire. La plupart des négociations et des décisions concernaient la guerre en Ukraine et ses retombées dans la région, où se trouve l’Arménie.
Lors du sommet de Téhéran, l’Arménie a reçu le ferme soutien de l’Iran sur la question du corridor de Zangezour, qui menace l’intégrité territoriale et la souveraineté de l’Iran.
En effet, le chef spirituel suprême de la République islamique d’Iran, Ali Khamenei, a mis en garde Poutine et Erdogan contre tout changement de frontières entre l’Arménie et l’Iran, car ces « frontières ont une histoire millénaire ».
Lors d’un récent appel téléphonique entre le président Nikol Pachinian et Ebrahim Raisi, ce dernier a évoqué l’avertissement de M. Khamenei concernant les lignes rouges de l’Iran.
Lors d’un entretien avec Armenpress, une spécialiste des études iraniennes, Emma Bigijanian, a déclaré : « C’est ainsi que je comprends les paroles du président iranien, qu’un changement de frontières, c’est-à-dire le soi-disant « couloir », est une ligne rouge pour eux et qu’ils s’y opposeront à tout prix. Dans le tableau général, cela signifie que l’Iran n’exclura même pas une intervention militaire. »
En outre, Bigijanian a fait valoir que c’est désormais le président turc Erdogan qui a le plus besoin du soi-disant « couloir ».
C’est, en effet, la nature de la politique dans la région : Ankara négocie au nom de l’Azerbaïdjan, la Russie négocie au nom de l’Arménie, et la plupart du temps, ils n’ont pas besoin de l’avis de leurs partenaires, dont le destin est aux enchères.
Jusqu’à présent, l’Iran s’est prononcé avec la plus grande force contre la question du corridor, mais il reste à voir si Téhéran utilisera effectivement la force militaire pour soutenir sa position. Dans le cas de la Syrie, Téhéran était allé assez loin pour exprimer son opposition aux efforts d’Ankara d’arracher 30 kilomètres supplémentaires aux terres de ce pays et de l’ajouter à son territoire.
Téhéran a prévenu M. Erdogan que sa nouvelle aventure en Syrie, sous prétexte d’éliminer « les menaces des forces kurdes », pourrait se heurter aux forces iraniennes. Après avoir reçu un avertissement de Washington et de Moscou, en plus de Téhéran, M. Erdogan a suspendu ses plans, bien que le ministre des Affaires étrangères Mevlut Çavusoglu ait répété que « la Turquie n’a besoin de la permission de personne pour agir ».
Il y a plus d’une raison pour laquelle l’Iran a été exclu du sommet de Sotchi. En premier lieu, les positions de Moscou et d’Ankara concordent sur la question du corridor de Zangezour, contrairement aux déclarations fermes du ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, selon lesquelles il ne devrait y avoir aucune « équivoque » sur le fait que l’Arménie maintiendra sa souveraineté sur l’éventuel corridor. La deuxième raison est qu’une fois libéré du joug des sanctions occidentales, l’Iran deviendra un concurrent sérieux de la Russie sur le marché mondial de l’énergie.
Suite à la position ferme de l’Iran sur la question du corridor, Moscou a concocté une opération sous fausse bannière, affirmant que des bandes terroristes avaient infiltré l’Arménie depuis l’Iran et que la Russie a donc posté cinq stations militaires à Syounik, près de la frontière arménienne avec l’Iran. En élargissant encore ses bases militaires dans la province de Syounik, la Russie a placé des points de contrôle pour les citoyens arméniens se déplaçant d’une ville à l’autre dans leur propre pays. Et tout le monde peut deviner si la Russie a coordonné ces démarches avec les autorités arméniennes à Erévan.
À la suite de l’action de la Russie, Téhéran a ouvert un consulat à Kapan, dans le sud, pour mieux surveiller la situation.
Ces actions auraient été plus rassurantes si la Russie avait mené sa mission de maintien de la paix au Karabagh avec la même vigueur qu’à Syounik. En effet, ces dernières semaines ont vu des affrontements frontaliers entre les forces azerbaïdjanaises et le Karabagh, faisant quatre morts et plus de 20 blessés. Lorsque la partie arménienne s’est plainte de l’inaction de la force de maintien de la paix russe, cette dernière a révélé qu’elle n’avait aucun mandat pour contenir l’Azerbaïdjan par la force militaire. Ils ne peuvent utiliser la force qu’en cas de légitime défense.
Bien que l’agression soit venue du côté azerbaïdjanais, M. Çavusoglu a averti les Arméniens d’arrêter les provocations ! Les forces arméniennes assiégées n’ont certainement aucune motivation pour créer une provocation, étant donné qu’elles sont largement en infériorité numérique. De manière prévisible et exaspérante, Washington et l’Union européenne ont appelé les deux parties à faire preuve de retenue.
Le ministre azerbaïdjanais des Affaires étrangères Jeyhun Bayramov a appelé au retrait des forces arméniennes du territoire azerbaïdjanais. Heureusement, Armen Grigorian, le chef du Conseil de sécurité arménien, a depuis annoncé que les unités arméniennes avaient quitté le Karabagh. Les seules forces restantes sont les membres des forces de défense du Karabagh, que l’Azerbaïdjan refuse de reconnaître. Le simple fait des provocations azerbaïdjanaises et des raids meurtriers justifie le maintien des forces de défense du Karabagh pour empêcher un pogrom, similaire à ceux menés par l’armée azerbaïdjanaise à Bakou et à Soumgaït en 1990.
L’Azerbaïdjan refuse de respecter la déclaration de cessez-le-feu du 9 novembre 2020 qui demande la libération des prisonniers de guerre arméniens mais accuse la partie arménienne de délinquance. D’autre part, Bakou a déjà construit une route alternative vers le Karabagh, pour mieux contrôler les Arméniens atteignant le Karabagh, bien que cette nouvelle route aurait dû être planifiée dans les trois ans suivant la signature de la déclaration et construite seulement après l’approbation des trois signataires. L’utilisation de ce couloir laisse les lignes de gaz et d’électricité hors du contrôle des soldats de la paix et ainsi la vie du peuple du Karabagh peut être facilement manipulée par les seigneurs azerbaïdjanais. Ce n’est pas un danger abstrait ; L’Azerbaïdjan a en effet coupé l’approvisionnement en gaz du Karabagh à deux reprises en mars, après des tempêtes de neige particulièrement violentes.
Alors que les dirigeants de Bakou poursuivent leurs provocations militaires contre l’Arménie et le Karabagh, leur rhétorique n’en est pas moins menaçante. Le ministre des Affaires étrangères du Karabagh, David Babayan, répondant aux récents commentaires du président Aliev, a informé : « Le président azerbaïdjanais Ilham Aliev a déclaré dans son entretien en Azerbaïdjan que les Arméniens vivant au Karabagh n’auraient ni statut ni indépendance, ni aucun privilège spécial. Tout d’abord, je tiens à remercier M. Aliev pour sa sincérité. En effet, ni l’Azerbaïdjan ni ses dirigeants n’ont jamais induit en erreur ou trompé qui que ce soit sur leurs plans pour l’Artsakh. Deuxièmement, en effet, le Karabagh n’aura rien dans le cadre de l’Azerbaïdjan car il n’y aura plus de Karabagh. De plus, pour l’Artsakh lui-même, tout statut au sein de l’Azerbaïdjan est inacceptable. Comment les Juifs pourraient-ils avoir un quelconque statut territorial administratif au sein de l’Allemagne nazie ? »
La déclaration de M. Aliev menace non seulement les Arméniens du Karabagh, mais elle défie la communauté internationale. En effet, le groupe de Minsk de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) maintient toujours que le statut du Karabagh n’a pas encore été déterminé par des négociations pacifiques – le seul moyen d’arriver à une solution. La Russie, en tant que coprésidente du groupe de Minsk, refuse de coopérer avec les autres coprésidents, la France et les États-Unis, faisant ainsi le jeu de l’Azerbaïdjan (et donc de la Turquie).
Le temps presse pour la Turquie et l’Azerbaïdjan. Tous deux veulent sceller des accords historiques avec l’Arménie. La Turquie veut légitimer le traité de Kars de 1921, qui repose sur des bases juridiques fragiles, tandis que l’Azerbaïdjan veut une tranche de territoire arménien pour se lier au Nakhitchevan et compromettre la souveraineté de l’Arménie à perpétuité.
L’Arménie traverse une période difficile. Ses ennemis sont nombreux et ses amis sont rares alors que les paroles sont abondantes.
Traduction N.P.