À quoi s’attendre de Moscou ?

Écrit en anglais par Souren Sarkissian et publié dans The Armenian Mirror-Spectator en date du 26 mai 2023

Quel que soit l’accord entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan concernant le statut du Haut-Karabagh, cela n’a aucune importance, car Moscou a ses propres intérêts à promouvoir dans la région du Caucase du Sud. Si Moscou a déjà perdu la Géorgie d’où il a retiré ses forces, cela ne signifie pas que cela se produira dans le cas de l’Arménie et également techniquement en Azerbaïdjan, puisque le contingent russe de maintien de la paix est placé en Artsakh, ce que le Premier ministre arménien a accepté de considérer comme territoire azerbaïdjanais. La Russie n’est donc physiquement présente, non pas dans un seul pays du Caucase du Sud mais dans deux. La position de la Russie sera, très probablement, présentée aux parties concernées lors de la prochaine rencontre entre Aliev, Poutine et Pachinian à Moscou.

La position de Moscou peut se caractériser de la manière suivante : « Vous pouvez être d’accord sur n’importe quoi quant à l’avenir de l’Artsakh mais nous avons nos intérêts à défendre dans la région et nous n’allons pas les abandonner ». Moscou comprend parfaitement que la politique de l’Occident est de pousser la Russie hors de la région du Caucase du Sud, et Moscou fera naturellement tout pour empêcher que cela ne se produise. C’est une lutte géopolitique tout à fait normale qui perdure depuis l’effondrement de l’URSS.

Est-il même possible qu’Erévan et Bakou puissent décliner les demandes de Moscou ou ne pas prendre en considération ses intérêts ? Probablement pas. Alors que les principaux moyens militaires et diplomatiques de la Russie sont dirigés vers l’Ukraine, où la Russie mène difficilement des opérations militaires, il serait faux de penser qu’elle renoncera à sa « sphère d’influence historique » où elle est présente depuis des siècles. Il y a une opinion en Occident selon laquelle il existe aujourd’hui une bonne occasion pour que l’influence de la Russie dans le Caucase du Sud soit réduite et équilibrée par l’influence turque.

La même stratégie était évidente juste après l’effondrement de l’URSS, quand il y existait une opinion que la Russie était trop faible et fragmentée et ne pouvait pas maintenir ses sphères d’influence. Cependant, cela ne s’est pas produit et la Russie a continué à maintenir son influence, malgré des difficultés considérables. Un autre exemple est en fait une conséquence de la Seconde Guerre mondiale. À la fin de celle-ci, l’opinion voulait que bien que vainqueur de la guerre, l’Union soviétique avait en fait subi des pertes excessives. Devenue économiquement et socialement extrêmement faible, il ne pourrait maintenir ses zones d’influence en Eurasie et dans le monde. Cependant, cela ne s’est pas produit non plus et les Soviétiques ont conservé leurs sphères d’influence et les ont même élargies.

La question demeure, est-ce que la Russie est actuellement dans une position si faible qu’elle n’a aucun levier pour poursuivre ses intérêts dans la région du Caucase du Sud ? Cela ne semble pas probable. Bien que focalisé sur la guerre en Ukraine, elle essaie toujours de servir ses intérêts dans le Caucase du Sud, et son objectif reste d’y maintenir sa présence. Par conséquent, lors de la prochaine réunion à Moscou, quel que soit l’accord auquel parviendront l’Arménie et l’Azerbaïdjan concernant le statut du Haut-Karabagh et les relations bilatérales, il serait naïf de penser que la Russie ne présentera pas ses intérêts aux parties, ce qu’Erévan et Bakou ne peuvent tout simplement pas ignorer.

La Russie conserve une influence significative sur la politique intérieure et étrangère de l’Arménie et de l’Azerbaïdjan. Outre les outils d’influence « standard », il existe d’autres facteurs extrêmement importants. Selon certains calculs, il y a plus d’Arméniens vivant en Russie qu’en Arménie. Ils ont une richesse financière importante et donc une énorme influence en Arménie.

La Russie abrite également de riches hommes d’affaires azerbaïdjanais qui dépendent totalement du Kremlin plutôt que du régime Aliev. Cela signifie que la Russie peut utiliser ces éléments pour influencer de manière significative la vie politique interne des deux États.

Ainsi, malgré les efforts de Washington pour réconcilier l’Arménie et l’Azerbaïdjan et chasser Moscou, la Russie pourra faire pression sur Erévan et Bakou pour trouver des solutions qui tiennent compte des intérêts de Moscou. En ne se rendant pas à Moscou le 9 mai, Aliev essayait probablement d’éviter une pression potentielle, mais il ne peut plus éviter d’y aller et de rencontrer Poutine.

En somme, l’efficacité de la politique occidentale de réconciliation des parties et de réduction de l’influence de la Russie dans le Caucase du Sud demeure discutable, car les parties en conflit ne peuvent ignorer les intérêts de la Russie tout en cherchant des solutions à leurs propres problèmes.

 

Traduction N.P.