Les experts et les politiciens ont retenu leur souffle cette semaine et ont essayé de deviner ce qui allait se passer après l’assassinat du chef des forces d’élite iraniennes Quds et icône nationale, le lieutenant-général Qassem Soleimani.
Les questions abondent dans les médias internationaux : comment la souveraineté de l’Iraq pourrait-elle être compromise par une frappe sur son territoire ? Les tensions vont-elles s’intensifier ou existe-t-il une solution diplomatique ? Comment et quand la vengeance iranienne va-t-elle s’exprimer ? De nombreuses autres questions circulent dans les cercles diplomatiques et les médias.
Alors que la période de deuil de trois jours se termine, les dirigeants iraniens exploitent le cortège funèbre de leur icône nationale.
Il n’y a ni réponses faciles – ni précises – à chacune de ces questions car la situation demeure insaisissable.
Pour commencer, le secrétaire d’État Mike Pompeo des États-Unis a pris le contrôle de la Maison Blanche. Traverser le Rubicon n’est pas dans le style et la stratégie du président Trump. Jusqu’à présent, il a laissé les politiciens et les médias deviner alors qu’il taquine ses ennemis avec l’illusion de la frénésie.
Il ne s’agissait pas d’une erreur freudienne lorsque Pompeo a répondu en public que le président avait pris la décision « à contrecœur ». Aujourd’hui, Pompeo reproduit le rôle du vice-président Dick Cheney dans l’administration de George W. Bush, assoiffé d’envahir l’Iraq.
Comme prévu, le Congrès américain a réagi de manière partisane. Il ne faisait aucun doute dans l’esprit des législateurs que Soleimani était « le mal incarné », mais sa suppression nécessitait une résolution du Congrès. Cet argument a été, bien sûr, cité par les démocrates, invoquant même la loi sur les pouvoirs de guerre, tandis que les républicains étaient au diapason avec le président.
Le plus ardent partisan de l’action de M. Trump est le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu; peu d’attention a été accordée au fait que la décision de Washington était préventive pour détourner le potentiel d’une autre guerre au Moyen-Orient. En effet, Netanyahu est pris dans des scandales. Il y a un acte d’accusation contre lui, alors que sa campagne électorale est au point mort contre son adversaire, Benny Gantz. Il est très plausible que Netanyahu soit prêt à attaquer les installations nucléaires iraniennes, déclenchant une guerre régionale, car pour Téhéran, Israël est une cible relativement plus facile que Washington. Par conséquent, les planificateurs de guerre aux États-Unis se sont chargés du contrôle des dommages. Bien sûr, ce point de vue n’est pas très populaire dans les médias.
La réaction de la communauté internationale a été mitigée. Même l’allié le plus proche des États-Unis, la Grande-Bretagne, tout en essayant de maintenir une apparence de solidarité avec Washington, a exprimé des inquiétudes quant aux conséquences. La porte-parole du ministère russe des Affaires étrangères, Maria Zakharova, a qualifié l’acte de stratagème cynique, tout en préconisant la retenue.
Le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, a publié une déclaration conseillant aux parties d’éviter l’escalade.
La réaction de la Chine a été plus atténuée. Son ministère des Affaires étrangères a fait écho principalement à l’approche prudente de l’ONU.
Des voix similaires se sont également élevées à Erévan où le Premier ministre Nikol Pachinian a déclaré que l’Arménie entretenait des relations amicales avec les États-Unis et l’Iran. Les hauts responsables arméniens ont tenu une réunion spéciale et mis les forces armées en alerte.
L’Allemande Angela Merkel a décidé de se rendre à Moscou, recherchant très probablement la médiation du président Vladimir Poutine, la Russie entretenant des relations relativement bonnes avec l’Iran et ses ennemis au Moyen-Orient, à savoir les Émirats arabes unis, l’Arabie saoudite et Israël.
C’est sous le couvert d’une période si troublée que des actes malveillants inattendus sont souvent commis. En effet, la Turquie est à la recherche d’aventures internationales, essayant d’ajouter des blocs de construction à ses projets ottomanistes.
Bien que la Turquie et la Russie coopèrent en Syrie et qu’Ankara ait osé acheter des systèmes de défense antimissile S-400 russes au grand dam de Washington, les deux pays sont des concurrents historiques de l’Iran dans la région et cette tendance se poursuit, même récemment, alors que la Turquie a renforcé ses forces en Azerbaïdjan et en particulier au Nakhitchevan avec un certain nombre de ramifications dans différentes directions.
Tout observateur peut voir que la décision de la Turquie est avant tout égoïste. Mais du point de vue russe, l’action d’Ankara est vue dans un contexte historique. Pour les planificateurs de l’OTAN, cela reste un double jeu, car la présence militaire turque amène les ressources de l’OTAN aux portes de l’Iran tout en ajoutant une autre dimension au confinement de la Russie.
À la lumière de ces mesures, les assurances du Kremlin de doubler les forces de sa base militaire à Goumri ne peuvent pas être source de jubilation car l’importance de cette base va au-delà des paramètres de la défense de l’Arménie pour devenir un pion dans le jeu de pouvoir régional et en tant que tel devient une cible privilégiée dans toute conflagration.
Alors que l’attention du monde se concentre sur l’impasse entre Washington et Téhéran, la prochaine décision malicieuse de la Turquie se déroulera à Chypre.
Non contente d’avoir foulé aux pieds la souveraineté d’un autre pays en occupant 38% de Chypre, la Turquie revendique des droits légaux sur une partie illégalement occupée de l’île riche en réserves de pétrole et de gaz de la Méditerranée orientale. De plus, la Turquie envisage de construire une base militaire à Chypre.
Depuis que l’OTAN a détruit le gouvernement stable de la Libye, le pays est devenu la victime des chefs de guerre et les forces islamistes se sont réfugiées dans ce pays ravagé par la guerre.
La Libye faisait partie de l’Empire ottoman et elle a été perdue contre l’Italie en 1912. Maintenant, dans le cadre du renouveau ottoman et de l’attrait des gisements de pétrole et de gaz, Ankara a décidé d’envoyer des troupes pour soutenir l’une des factions rivales de la Libye, à savoir Tripoli. Ankara a pêché dans des eaux troubles en signant des traités avec l’une des factions libyennes avant que ce pays ne se remette de sa fragmentation actuelle.
Seth J. Franzman, écrivait dans le numéro du 1er janvier du Jérusalem Post: « La pièce de théâtre de la Turquie est musclée. Ankara a envoyé sa marine pour effectuer des exercices autour de Chypre, exhibant son drapeau et sa puissance. La Turquie a de nouveaux missiles basés en mer. Elle achète de nouveaux navires de forage. Chypre pensait être en avance, en signant des accords avec l’Égypte en 2003, le Liban en 2007 et Israël en 2010. Mais la Turquie a lancé un défi. »
La Turquie a également intimidé la Grèce en affirmant que ses droits de forage sur le littoral étaient supérieurs à ceux des îles grecques.
Le président Trump a mis en garde la Turquie contre l’envoi de troupes en Libye. Mais ses avertissements ne valent pas plus que ses avertissements précédents envers Ankara de ne pas massacrer les Kurdes. L’Égypte a mis ses forces navales en état d’alerte, mais l’armée égyptienne n’est pas à la hauteur de la Turquie. Les États-Unis arment leurs alliés, comme l’Égypte, au point d’effrayer leurs ennemis régionaux mais ne pas saper la suprématie militaire israélienne au Moyen-Orient.
- Erdogan a lancé un autre pari aux implications internationales. Tout en essayant de raviver le rêve ottoman, il semble s’efforcer de mettre en valeur l’héritage d’Atatürk, de doter la Turquie de réalisations de classe mondiale. Après l’impressionnant aéroport international d’Istanbul et un nouveau pont, il prévoit faire creuser un canal parallèle au détroit du Bosphore pour alléger le trafic. Le « canal d’Istanbul » coûterait entre 20 et 75 milliards de dollars et est vivement critiqué par l’opposition. Outre cet obstacle national, le projet a également des implications internationales. Les voies de navigation du Bosphore sont réglementées par le traité de Montreux de 1936. Si un canal parallèle devait être construit, il nécessitera la révision de ce traité, qui à son tour affectera tous ses signataires. Certains observateurs pensent également que cette décision aggravera les relations russo-turques et poussera les parties vers une confrontation.
L’ancien ministre des Affaires étrangères de Turquie, Ahmet Davutoglu, estime que les nations de l’Empire ottoman entretenaient des relations idylliques avec leurs bourreaux. M. Erdogan partage également ce point de vue. Cette règle sanglante a été tout sauf idyllique. Cette relation a été une malédiction pour les peuples du Moyen-Orient et de l’Europe de l’Est.
Sa résurgence ne présage rien de bon. Edmond Y. Azadian
Traduction N.P.