L’euphorie est générée par la perspective de célébrer le centenaire de la Première République en 2018. Cependant, ce 29 novembre nous rappelle un autre centenaire, celui de 2020, celui de la création de la République arménienne soviétique, un évènement des plus controversés.
Alors que les forces kémalistes turques de Kazim Karabekir se trouvaient à la frontière arménienne, menaçant d’envahir le pays, le gouvernement au pouvoir, contrôlé par la Fédération révolutionnaire arménienne (FRA), a décidé de signer le traité d’Alexandropol (actuelle Gyumri), plaçant le pays sous tutelle turque. Dans l’intervalle, le même gouvernement négociait avec les communistes un accord de partage du pouvoir, où le général Dro (Drastamad Kanayan) et Hampartsoum Derderian représenteraient la FRA au Comité révolutionnaire.
98 ans plus tard, il est difficile de comprendre ce que pensaient ces dirigeants lorsqu’ils se sont engagés dans ce double pacte. Comme le nouveau gouvernement n’était pas partie au traité d’Alexandropol, ce dernier a été invalidé. Ainsi, l’Arménie était à l’abri de la perspective d’une domination turque. Dès que les Soviétiques ont pris le pouvoir, ils ont déclaré le traité nul et ont sauvé ce dernier vestige du territoire arménien historique, qu’ils ont également étendu à ses frontières actuelles.
De cette manière, l’Arménie soviétique est devenue une partie de notre histoire et dépasse de loin, en termes de longévité, la Première République.
L’Arménie soviétique était un état hybride ; c’était une république en elle-même mais faisait partie d’une plus grande unité fédérée, l’Union soviétique.
En pensant et en préparant la célébration du centenaire de la Première République, beaucoup ont oublié les 70 ans d’Arménie soviétique, qui ne peuvent disparaître de notre histoire.
Maintenant que les vents de la guerre froide se sont calmés et que l’existence de l’Empire soviétique a été reléguée aux oubliettes, il nous incombe de faire une évaluation sobre de la Deuxième République qui a jeté les bases de la culture arménienne, de la science et de la technologie, élevant le niveau de ses réalisations à celui des normes internationales les plus hautes.
Incidemment, la base industrielle et technologique créée au cours de cette période a été gaspillée pendant les premières années de la Troisième République, dirigée par des amateurs.
Notre fierté ethnique ne nous permet pas d’admettre que les trois républiques consécutives ont vu le jour grâce à nos luttes politiques héroïques. Cependant, la réalité est différente. Les évènements mondiaux et les développements politiques régionaux ont aidé les Arméniens à saisir l’opportunité et à créer une patrie souveraine ou semi-souveraine.
Ce fait historique n’efface ni ne dévalorise les mouvements héroïques de libération et d’autodéfense que les Arméniens ont dirigés de Zeitoun à Shabin-Karahissar, de Van à Sardarabad, de Cilicie à Karakilissa.
Basé sur un faux évangile, le système soviétique s’est avéré être un enfer pour ses citoyens. C’était une expérience historique menée au détriment de millions de vies; une expérience à laquelle les Arméniens ont aussi participé. L’Occident s’est battu avec acharnement pour contenir le pouvoir idéologique de l’utopie communiste. Cette expérience, en particulier sa promesse d’égalité pour tous, s’est révélée être un canular et a fini par s’effondrer sous son propre poids.
Il ne suffisait pas que les Arméniens aient perdu les deux tiers de leur population dans leur patrie historique ; ils ont dû payer leurs cotisations durant la Seconde Guerre mondiale, pour la défense de la patrie soviétique, en sacrifiant 300 000 autres vies de leur population masculine.
En plus de ces sacrifices, les Arméniens ont dû supporter la terreur de Staline, perdant par là même, la crème de l’intelligentsia arménienne.
Avec tous les maux associés au système soviétique, l’Arménie a bénéficié d’un certain nombre d’avantages qui lui avaient manqué tout au long de l’histoire.
Dans le cadre d’une économie mondiale monumentale, l’Arménie a pu développer sa base industrielle, non seulement au niveau des consommateurs, mais aussi dans les domaines de la cybernétique et de la technologie spatiale. Le développement des sciences et de la technologie a atteint des niveaux sans précédent.
Le système éducatif soviétique s’est avéré être du plus haut niveau. Victor Hampartzoumian, les frères Alikhanian et Grigor Gourzakian ont exploré l’univers et les étoiles et ont placé le nom de l’Arménie à la fine pointe de la physique et de l’astronomie.
Une bourse très sérieuse a pris racine en Arménie ; Ajarian, Mananian, Chahoukyan, Gharibian et Malkhasyants ont développé une érudition et une historiographie de classe mondiale. La danse du sabre d’Aram Khatchatourian a été jouée dans le monde entier. Des œuvres de Sarian, Minas Avetissian et Kotchar ont été exposées dans des musées du monde entier. L’impulsion littéraire a propulsé des écrivains comme Mahari, Hrant Matevossian, Silva Kapoutikian, Shiraz et Bakunts à des sommets pan-soviétiques et au-delà.
L’Arménie est devenue un centre d’attraction pour beaucoup d’Arméniens du monde et beaucoup sont retournés volontairement vers la patrie menée par des auteurs et des artistes comme Kochar, Ara Sargissian, Sarian, Avedik Issahakian, Vahan Totovents, Zabel Yesayan et d’autres.
En plus du retour d’Arméniens, un aspect diabolique du système soviétique est devenu une bénédiction déguisée : les citoyens soviétiques n’étaient pas autorisés à quitter leur pays. Cette interdiction a contribué à l’amélioration du profil ethnique de l’Arménie.
Après des siècles d’histoire mouvementée, les Arméniens ont trouvé la paix et la stabilité, la vie était prévisible. Il y avait le plein emploi, l’éducation gratuite et des soins de santé, des forfaits vacances gratuits et des prestations de retraite.
Aujourd’hui, dans notre république indépendante, les questions à l’esprit de chaque famille sont d’où viendra le prochain repas et ce que l’avenir réserve à leurs enfants.
Aujourd’hui, alors que l’Arménie est une république libre et indépendante, les Arméniens sont confus quant à la façon de gérer cette liberté. Après avoir perdu leur base économique de l’ère soviétique, cette liberté les a conduits au dépeuplement.
Alors que l’Arménie soviétique prospérait, la communauté arménienne mondiale était privée de cette culture développée dans la patrie protégée par un rideau de fer. Il était destiné à ce que le parti libéral démocrate arménien (ADL) joue le rôle de chef de file pour percer le rideau de fer afin de transmettre la culture vivante de l’Arménie à la diaspora, et qualifiés d’« agents communistes », « compagnons de voyage » ou « sympathisants soviétiques ».
Le seul but de l’ADL pour atteindre l’Arménie était de faire connaître la musique, la littérature, la danse et la culture à la diaspora et de développer une unité spirituelle pour la population arménienne internationale. De même, l’ADL a tendu la main au centre de la foi arménienne pour maintenir l’unité spirituelle entre la diaspora et l’Arménie.
De nombreux dirigeants, rédacteurs et membres de la base de l’ADL ont subi les conséquences de leurs positions patriotiques ; ils ont été soumis à des abus verbaux, des blessures physiques et même la mort. Mais l’effort a fini par payer. Quand l’Arménie a accédé à l’indépendance, les deux segments de notre peuple n’étaient pas aliénés les uns par les autres.
Un développement ironique est venu prouver que les gens qui ont étiqueté l’ADL d’outil soviétique se sont avérés être eux-mêmes sur la feuille de paie du KGB. En effet, le général soviétique du KGB Oleg Kalougin a publié les listes de noms d’agents soviétiques de l’Occident. Et les deux leadeurs les plus ardents du Moyen-Orient figuraient sur cette liste.
Le passé est présent ; La Troisième République héritée de l’Arménie soviétique s’appuie sur cet héritage.
Aujourd’hui, alors que l’empire soviétique a disparu, on peut appeler un chat un chat, sans craindre d’être étiqueté d’espion. La politique patriotique de l’ADL se justifie d’elle-même.
L’Arménie soviétique fait partie de notre histoire, son héritage doit être évalué objectivement, et ses dirigeants patriotiques devraient jouir du respect historique qu’ils méritent. Edmond Y. Azadian
Traduction N.P.