Ce que le Sommet de Prague a ou n’a pas fait

Éditorial écrit en anglais par Edmond Y. Azadian et publié dans The Armenian Mirror-Spectator en date du 13 octobre 2022

Le sommet de la Communauté politique européenne initié par la France s’est tenu à Prague le 6 octobre, réunissant non seulement les chefs des pays de l’Union européenne, mais une foule d’autres, dont l’Arménie, la Turquie et l’Azerbaïdjan. De toute évidence, la Russie et la Biélorussie ont été mises de côté. Il s’agissait là d’une autre étape de l’Occident pour souligner l’isolement de la Russie.

Le sommet a pris l’allure d’un bazar politique où de nombreux pays ont discuté de questions concernant leurs intérêts.

Bien que les réunions des dirigeants arménien, turc et azerbaïdjanais aient eu lieu en marge du forum, elles ont suscité beaucoup d’attention et d’implication. Ainsi, le Premier ministre arménien Nikol Pachinian et le président azerbaïdjanais Ilham Aliev se sont rencontrés en présence du président français Emmanuel Macron et du président de l’Union européenne (UE) Charles Michel. Il y a également eu une brève rencontre entre Pachinian et le président turc Recep Tayyip Erdogan.

Les réunions de Prague ont déclenché un tourbillon politique en Arménie et au Karabagh avec des spéculations venues de partout.

Une fois la poussière retombée, nous découvrirons que rien de tangible n’a été réalisé, sauf une déclaration d’intention sur les principes énoncés dans une déclaration publiée après le sommet. Cette déclaration se lit en partie comme suit : « L’Arménie et l’Azerbaïdjan ont confirmé leur attachement à la Charte des Nations unies et aux déclarations d’Alma-Ata de 1991 [par les anciennes républiques soviétiques] par lesquelles les deux reconnaissent l’intégrité territoriale et la souveraineté de l’autre. » Ils ont ajouté que ce serait la base des travaux de la commission de délimitation des frontières et que la prochaine réunion de la commission chargée de régler les questions frontalières aurait lieu à Bruxelles d’ici la fin octobre.

Compte tenu de l’isolement de la Russie, la porte-parole du ministère russe des Affaires étrangères, Maria Zakharova, a éclaté de colère et a déclaré que le Kremlin proposait un plan de paix plus complet et équilibré – mais apparemment sans preneur.

Le président Aliev a exprimé l’espoir que d’ici la fin de l’année, un traité de paix pourrait être signé, tandis que Pachinian a déclaré que l’Arménie et l’Azerbaïdjan reconnaîtraient l’intégrité territoriale de l’autre mais aucune mention du Karabagh n’a été faite.

Juste après la réunion, les déclarations d’Aliev contredisaient ce que le premier croyait acquis, à savoir le respect mutuel de l’intégrité territoriale de l’autre, lorsque le dirigeant azerbaïdjanais a déclaré lors d’une conférence de presse impromptue : « On ne sait pas pourquoi ils n’acceptent pas de nous donner un passage au Nakhitchevan. C’est certainement une violation de leurs obligations mais nous restons patients et faisons preuve de retenue. Je suis sûr que nous y parviendrons également. Le plus tôt sera le mieux. » Comme on peut le détecter, il y a une menace implicite à l’intégrité territoriale de l’Arménie, un pays dont les terres sont envahies par l’Azerbaïdjan.

Aliev sait que l’Arménie a offert trois passages alternatifs vers le Nakhitchevan à travers son territoire, mais il a ignoré cette offre, insistant sur les droits extraterritoriaux pour piétiner l’intégrité territoriale de l’Arménie.

Une autre réalisation du sommet a été l’accord voulant envoyer un groupe d’observateurs civils à la frontière entre les deux pays. L’Arménie a accepté d’accueillir cette délégation, tandis que l’Azerbaïdjan a déclaré qu’il s’occuperait des observateurs dans la mesure de ses besoins.

La réunion Pachinian-Erdogan n’a donné lieu qu’à une déclaration fade du dirigeant turc selon laquelle Ankara n’ouvrira ses frontières avec l’Arménie et n’établira des relations diplomatiques qu’après la signature par Erévan et Bakou d’un traité de paix global.

Ce n’est pas le moment pour M. Erdogan de faire des déclarations controversées, car il a l’intention de récolter des points brownie de la part de la communauté internationale pour sa bonne conduite et pour soutenir sa popularité en baisse chez lui, en particulier à la lumière de ses politiques économiques désastreuses, qui ont mené à une inflation incroyablement élevée, avant les élections de 2023. Il peut même s’engager dans une mascarade consistant à négocier avec les dirigeants de l’opposition kurde comme il a l’habitude de le faire avant toute élection, puis envoyer les dirigeants en prison.

En ce moment, les dirigeants du Karabagh se rendent à Erévan pour savoir ce qui a été discuté sur leur sort, car les rumeurs voulant que Pachinian les aurait vendus à l’Azerbaïdjan vont bon train. Pachinian, entre-temps, tente de sauver sa peau en encourageant Bakou à négocier avec les dirigeants du Karabagh le sort de leur enclave.

Aliev, d’autre part, a rendu publique sa position selon laquelle il traitera les habitants du Karabagh comme des citoyens azerbaïdjanais et rien de plus. Il a invité ceux qui n’acceptent pas d’être traités comme tels à partir. M. Aliev n’est même pas dérangé par le fait que les habitants du Karabagh détiennent des passeports arméniens ou russes.

Aliev n’a pas encore cédé aux pressions de l’Occident pour qu’il se retire des territoires occupés d’Arménie et n’a pas cédé sur la libération des prisonniers de guerre arméniens. Il est intoxiqué non seulement par sa victoire sur l’Arménie, mais par le statut qu’il a atteint grâce aux développements de la politique régionale. Premièrement, les approvisionnements énergétiques azerbaïdjanais, aussi limités soient-ils, ont acheté la bonne volonté politique de l’Europe, même face aux vidéos diffusées et largement condamnées montrant des soldats azerbaïdjanais tirant sur des soldats arméniens ou même violant, assassinant et démembrant une soldate arménienne.

Les ambitions des grandes puissances de la région ont fait de l’Azerbaïdjan un atout politique inestimable.

Premièrement, les ambitions touraniques de la Turquie ont assigné un rôle important à l’Azerbaïdjan chargé de forcer la question du corridor à ouvrir les vannes à la Turquie. Mais surtout, le conflit israélo-iranien a donné un rôle central à l’Azerbaïdjan, laissant même espérer qu’en cas de fragmentation de l’Iran, une partie de son territoire pourrait revenir à l’Azerbaïdjan. Déjà, une entité intitulée l’Assemblée nationale de l’Azerbaïdjan du Sud a été formée à Ankara qui prévoit gouverner l’Azerbaïdjan iranien après l’annexion de cette région.

Les bénéficiaires de la guerre de 44 jours ne sont pas uniquement la Turquie et l’Azerbaïdjan, mais aussi Israël, qui a obtenu un accès plus large au territoire iranien. Avant la guerre, les Arméniens contrôlaient 140 kilomètres le long de la frontière iranienne. Après la guerre, cela a été réduit à 35 kilomètres. Aujourd’hui, Israël investit massivement dans les « terres libérées » de l’Azerbaïdjan, y construisant même un aéroport militaire.

Tout cela n’est pas simplement du domaine de la spéculation quand on y ajoute quelques faits politiques ; très récemment, le ministre israélien de la Défense Benny Gantz et son homologue turc Hulusi Akar étaient à Bakou, lorsque « par coïncidence », le ministre saoudien des Affaires étrangères Adel ben Ahmed al-Joubeir s’est rendu dans la ville. Toutes ces indications indiquent que des nuages orageux s’amoncellent sur l’Iran alors que les forces anti-iraniennes se réunissent pour des consultations.

Maintenant que le quasi-allié de l’Iran, la Russie, est occupé en Ukraine, quelque chose peut être mis en scène en Iran, et dans ce cas, l’Arménie et le Karabagh seront réduits à être spectateurs parallèles, dans le cadre de conflagrations plus larges. Edmond Y. Azadian

 

Traduction N.P.