À la veille du 102e anniversaire du génocide arménien, il y a eu un tourbillon de faits et de facteurs autour de blessures non cicatrisées – une anticipation de la déclaration du président Trump, Robert Fisk et la reconnaissance turque des faits en 1919, la confirmation par Taner Akçam sur la bureaucratie ottomane et son système de codage, les excuses tardives de Samantha Power, la vente du musée du génocide arménien de Washington, et pour conclure le message conciliateur du président Recep Tayyip Erdogan aux Arméniens.
Tous ces éléments sont dans la tourmente, il est manifestement nécessaire d’agir et de faire le travail une fois pour toutes.
Les Arméniens sont las face à l’hypocrisie du monde, à l’appel de dernière minute du président François Hollande en faveur de la criminalisation du déni, et la cérémonie du candidat aux élections présidentielles françaises, Emmanuel Macron.
Il y a eu pour débuter la déclaration du président Trump, les Arméniens ayant presque abandonné tout mouvement positif de la Maison Blanche, compte tenu de la réticence des prédécesseurs de Trump à honorer leurs promesses de reconnaissance du génocide. Cependant, il y avait une lueur d’espoir. Certes, en tant que candidat à la présidence, M. Trump ne s’est pas engagé sur la question du génocide, l’ignorant même. Mais l’imprévisibilité étant une caractéristique des politiques de Trump, certaines avaient espéré un développement positif. Mais cette fois-ci, M. Trump a suivi le script de manière inhabituelle.
Traditionnellement, chaque année, une délégation turque se rend à Washington à la veille du 24 avril pour avertir l’administration américaine des conséquences de la reconnaissance du génocide arménien sur les relations turco-américaines. Cette année, cette visite a eu lieu au Pentagone par le ministre turc de la Défense Fikri Isik. La visite a duré 24 heures et a certainement porté à l’ordre du jour la question de la reconnaissance du génocide. Mais officiellement, il ne s’agissait que d’un appel de la Turquie aux États-Unis afin de cesser de soutenir les Kurdes de Syrie.
Afin de transmettre un message subtil à Washington, un autre ministre à Ankara a annoncé que la Turquie venait de négocier avec la Russie l’achat de systèmes de missiles avancés, et que pour l’instant, l’opération était en attente. Le chantage discret a incité les planificateurs du Pentagone à se joindre à la Maison Blanche. L’accord négocié à huis clos voudrait que M. Trump s’abstienne d’utiliser le terme de génocide en échange d’une déclaration conciliante de M. Erdogan. Il s’agit d’une reprise d’un ancien scénario, alors que la Maison Blanche évitait le problème, annonçant une fausse percée dans le rapprochement arméno-turc qui ne s’est jamais matérialisé.
Cette année, ce jeu obligatoire peut bien servir l’administration Erdogan, isolée à l’échelle internationale et crispée à l’intérieur du pays, souffrant du récent référendum en Turquie ainsi que de la guerre brutale menée contre la minorité kurde.
La concession d’Erdogan serait entièrement compensée par le refus de Washington d’utiliser le terme génocide. Si M. Trump avait rompu la tradition en utilisant le mot génocide, cela aurait changé le cours des relations menant à un effet domino. Israël et d’autres pays auraient pu suivre, isolant la Turquie dans son obstination.
Cela met en lumière la collusion entre Washington et Ankara, ce qui peut amener les Arméniens à croire que M. Erdogan est sérieux.
Washington peut se permettre de jouer ce jeu trompeur avec la Turquie en toute impunité, car elle a déjà mesuré l’influence politique des Arméniens aux États-Unis. Il est vrai que les Arméniens ne sont pas suffisamment politisés pour utiliser le jeu de la carotte et du bâton.
Par conséquent, le message est là ; Si nous voulons un changement en politique, nous devons mobiliser et politiser notre communauté. Parce qu’en politique, le changement ne nait jamais de la charité ou de l’équité historique.
M. Trump n’a rien promis à la communauté arménienne. Par conséquent, il se révèle honnête par défaut.
Pourtant, le courageux journaliste britannique Robert Fisk a fustigé M. Trump dans un article du quotidien britannique The Independent, avant même que la Maison Blanche ne publie sa déclaration.
Fisk a écrit : « Eh bien, c’est maintenant le moment de masculinité de Trump. Aura-t-il ou non le courage d’appeler le génocide arménien de 1915 un génocide ? Une bien petite affaire pour un gars qui tire sur le monde musulman sans scrupule. Mais il a félicité le calife Erdogan pour avoir remporté son référendum dictatorial, et je doute que Trump ait le courage de l’offenser ce mois-ci en disant la vérité sur le carnage d’un million et demi de chrétiens arméniens au cours de la Première Guerre mondiale. »
En se référant au message excessivement conciliant d’Erdogan, dont nous soupçonnons d’être l’aboutissement d’un accord à Washington, nous ne pouvons que le qualifier de cynique, car il n’est accompagné d’aucune promesse d’action positive ou tangible.
L’aliénation de la Turquie par l’Occident a créé le besoin d’une offensive de charme, le premier objectif étant apparemment les Arméniens. Certes, une telle atteinte vers d’autres nations suivra si la Turquie ne veut devenir un état paria parmi les nations civilisées. Un chroniqueur du quotidien Sabah a défini les étapes suivantes.
« Nos objectifs communs sont pour ces deux peuples, qui ont partagé le chagrin et le bonheur durant des siècles, de guérir leurs blessures du passé et de renforcer leurs liens, » a déclaré M. Erdogan.
Il n’y a pas d’indications spécifiques définissant ces « objectifs ». Erdogan lui-même a menacé d’expulser les travailleurs arméniens de Turquie. Ces menaces ne contribuent certainement pas à la réalisation de ces « objectifs ».
Il affirme en outre que la Turquie a pris des mesures pour « guérir les blessures du passé » et renforcer les liens entre les deux peuples. « Cette déclaration semble certainement creuse, alors qu’au même moment, l’armée turque se prépare à des exercices conjoints avec les forces belligérantes de l’Azerbaïdjan aux frontières de l’Arménie.
M. Erdogan pourrait au moins citer une seule étape pour justifier sa déclaration. Où et quand ont été prises ces mesures dont personne n’est au courant ? Y a-t-il eu une compensation pour les Arméniens ou y a-t-il eu un plan pour préserver les stèles architecturales arméniennes situées aux frontières de la République turque actuelle ?
La plus cynique de toutes est la déclaration suivante : « Nous n’avons aucune tolérance envers l’aliénation et l’exclusion de nos citoyens arméniens ou pour un seul citoyen arménien pouvant se sentir citoyen de seconde classe. »
Le traitement du gouvernement turc envers les Arméniens ne laisse à ces derniers que le sentiment d’être des citoyens de deuxième classe. Pour commencer, pourquoi les passeports des Arméniens les décrivent comme « non-musulman ? » La taxe sur la fortune dans les années 1940 avec ses conséquences mortelles n’a été conçue que pour les citoyens arméniens et grecs de « seconde classe ». De même, les pogroms du 6 septembre 1955, parrainés par le gouvernement, ont ciblé ces deux groupes.
La crédibilité de M. Erdogan ne serait rétablie que s’il éliminait la caractérisation haineuse des Arméniens dans les manuels d’histoire utilisés en Turquie par tous les enfants, y compris les Arméniens.
M. Erdogan a publié sa proclamation pour répondre à des convenances politiques. En fait, il ne s’est pas particulièrement adressé aux Arméniens. Il s’est principalement dirigé vers l’Occident afin de démontrer sa bonne foi et montrer que les minorités sont équitablement traitées en Turquie. Les Arméniens étant les plus faibles, ils n’ont d’autre choix que d’attendre avec impatience que les mots d’Erdogan soient suivis d’actions solides.
Cependant, à la lumière du blocus de l’Arménie par la Turquie, et de la guerre des mots avec ce gouvernement ainsi que le soutien militaire à l’Azerbaïdjan, seul le plus naïf peut croire que quelque chose de positif émane de la déclaration d’Erdogan.
Tout demeure une illusion qui émane d’une collusion entre les politiques d’Ankara et de Washington. Edmond Y. Azadian
Traduction N.P.