Alors que l’alliée titulaire de l’Arménie, la Fédération de Russie, est distraite par de nombreux incidents à ses frontières, l’Azerbaïdjan a créé des conditions sur le terrain qui rendent difficile, voire impossible, un règlement final avec l’Arménie.
Le président azerbaïdjanais Ilham Aliev a déclaré que l’Arménie vaincue est une nation brisée et qu’elle doit accepter ce fait et négocier à partir de cette position. C’est la mentalité de l’ennemi de l’Arménie, qui prétend sur les forums internationaux qu’il apporte la paix dans la région.
Outre sa guerre de 44 jours contre l’Arménie en 2020, l’Azerbaïdjan mène une guerre d’usure depuis 30 ans et poursuit cette guerre même après le cessez-le-feu du 9 novembre 2020.
L’objectif principal de cette guerre d’usure est de rendre l’Arménie et le Karabagh inhabitables afin de s’emparer de ces territoires.
Depuis que l’Arménie est devenue indépendante, 800 000 citoyens l’ont quittée. Avant la deuxième guerre du Karabagh, la population de toute cette enclave était estimée à 140 000 personnes. À ce jour, moins de 90 000 des Arméniens déplacés du Karabagh y sont retournés, tandis que l’Arménie assiégée étend un soutien massif à la réhabilitation et à la réinstallation.
Depuis la signature du cessez-le-feu trilatéral par l’Arménie, l’Azerbaïdjan et la Russie, les frontières de l’Arménie n’ont été sans incident que pendant quatre jours.
Au premier anniversaire du cessez-le-feu, un nouvel accord devait être signé, reflétant les résultats des travaux et des huit sessions de travail entre les vice-premiers ministres des trois pays. Cet accord devait suivre le processus de démarcation et de délimitation des frontières entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, sur la base des cartes fournies par l’armée russe. Tant l’accord que les travaux frontaliers ont été retardés indéfiniment, tandis que les provocations de l’Azerbaïdjan à l’encontre de l’Arménie proprement dite se sont poursuivies.
Après le cessez-le-feu, une section de 21 kilomètres de la route Goris-Kapan est passée sous contrôle azerbaïdjanais. Bakou s’est empressé d’installer des points de contrôle sur cette route pour la rendre prohibitive pour les camions de fret iraniens. L’Arménie a décidé de construire une route alternative pour contourner les points de contrôle azerbaïdjanais, mais cette route est toujours en construction. Avant que l’Arménie ne puisse rattraper cet obstructionnisme azerbaïdjanais, Bakou a bloqué une autre route entre Chakaten et Goris, transformant un trajet de 10 minutes pour les citoyens arméniens en un trajet de trois heures sur des routes rurales.
Comme si ces provocations ne suffisaient pas, Bakou a recouru à une nouvelle incursion frontalière. En effet, le 14 novembre, les forces armées azerbaïdjanaises ont envahi le territoire souverain de l’Arménie dans l’une des sections orientales de la frontière arméno-azerbaïdjanaise à Syounik.
Un communiqué publié par le Conseil de sécurité de l’Arménie déclare : « En raison des actions des forces armées azerbaïdjanaises, quatre positions de combat des forces armées arméniennes ont été assiégées. À la suite de négociations, l’équipement militaire et les troupes azerbaïdjanais qui ont envahi le territoire souverain de l’Arménie ont quitté le territoire de l’Arménie. Les unités des forces armées arméniennes ont été retirées des quatre positions de combat susmentionnées. Néanmoins, les militaires azerbaïdjanais qui ont envahi le territoire souverain de l’Arménie depuis mai de cette année continuent d’être déployés dans la section susmentionnée. »
Il y avait des rumeurs selon lesquelles les forces arméniennes avaient reçu l’ordre de ne pas tirer, mais cette question est devenue une question rhétorique alors que l’invasion a déclenché une crise ministérielle en Arménie.
La partie azerbaïdjanaise avait très probablement hâte de représailles pour justifier une invasion à grande échelle, mais l’Arménie a prudemment évité cette confrontation.
Entre-temps, le Premier ministre Nikol Pachinian a remplacé le ministre de la Défense Archak Karapetian par Souren Papikian, un universitaire sans expérience militaire.
Les critiques de l’opposition, même les amis de l’administration, accusent Pachinian d’avoir cédé aux provocations azerbaïdjanaises et la réponse du Premier ministre est que si l’Arménie n’offre pas de concessions mineures sur les questions frontalières, l’Azerbaïdjan forcera la question du corridor de Zangezour. Cependant, Aliev utilise tous les forums possibles pour soulever la question du Zangezour, même après que le vice-Premier ministre russe Alexeï Overchuk se soit rendu à Erévan et ait assuré les dirigeants que toutes les routes et lignes de communication ouvertes resteraient sous la juridiction de leurs pays respectifs. Cette déclaration a également été confirmée par le ministère russe des Affaires étrangères, sur la base des résultats des travaux et des négociations des vice-premiers ministres des trois pays.
Les États-Unis ne sont pas moins convaincus que la question du corridor n’empiétera pas sur la souveraineté de l’Arménie.
Écrivant dans National Interest, Michael Rubin écrit : « Au départ, les Turcs et l’Asie centrale étaient optimistes quant au fait que la circulation automobile en provenance du Nakhitchevan, une enclave azerbaïdjanaise séparée du reste du pays par le corridor arménien de Zangezour, pourrait relancer l’économie moribonde dans l’est de la Turquie et développer le commerce et le tourisme à travers l’Asie centrale. La belligérance arrogante d’Aliev a rapidement annulé cette possibilité. « La création du corridor de Zangezour répond pleinement à nos intérêts nationaux, historiques et futurs. Nous mettrons en œuvre le corridor de Zangezour, que l’Arménie le veuille ou non », a-t-il déclaré plus tôt cette année à la télévision d’État. Le secrétaire d’État américain Antony Blinken a certifié que l’Azerbaïdjan s’était engagé dans la diplomatie et avait évité l’usage de la force militaire deux jours seulement après la menace d’Aliev qui démontre soit l’incompétence du Département d’État, soit une violation délibérée par Blinken de la Freedom Support Act.
Malgré les termes rassurants du ministère russe des Affaires étrangères ou du secrétaire d’État américain Blinken, l’Azerbaïdjan continue d’insister sur l’importance du corridor.
Le 11 novembre, les ministres des Affaires étrangères de l’Organisation des États turcophones nouvellement rebaptisée (anciennement Conseil turc ou Conseil de coopération des États turcophones), se sont réunis à Istanbul, où le ministre azerbaïdjanais des Affaires étrangères Jeyhun Bayramov a pris la parole pour tirer sur l’Arménie et a assuré que « la déclaration conjointe des dirigeants azerbaïdjanais, russe et arménien du 10 novembre 2020 a été traitée plus avant par l’adoption d’une déclaration trilatérale le 11 janvier 2021, qui fait référence au déblocage des communications dans la région. Des mesures concrètes sont prises pour débloquer les routes de transport, y compris le très important corridor de Zangezour, qui contribueront à la croissance du commerce dans la région. Nous espérons que les collègues du Conseil turc utiliseront également ces possibilités. »
En plus de sa position sur la question du corridor, les réunions au sommet du Conseil turc de cette organisation offrent une étape où une autre raillerie a lieu. Les États participants sont l’Azerbaïdjan, la Turquie, le Kirghizistan, l’Ouzbékistan, le Turkménistan (observateur) et la Hongrie (observateur). Certains de ces États (Kirghizistan et Ouzbékistan) sont également membres de l’Organisation du traité de sécurité collective (OTSC) dirigée par la Russie. Alors que le Conseil de sécurité arménien demandait de l’aide à ses « alliés » de l’OTSC contre la récente agression azerbaïdjanaise, les représentants de plusieurs de ces pays étaient à Istanbul pour féliciter l’Azerbaïdjan à l’occasion de l’anniversaire de sa « victoire sur l’Arménie ». Voilà une matière propre au théâtre de l’absurde.
Soit dit en passant, le Conseil turc a été initialement proposé par Nursultan Nazarbayev du Kazakhstan en 2006 [initié en 1992] pour réunir les nations turcophones linguistiquement et culturellement, et fondé au Nakhitchevan en 2009.
L’an dernier, le président du conseil était l’Azerbaïdjan et cette année, la présidence a été remise à la Turquie. Le président Recep Tayyip Erdogan a d’abord proposé de changer le nom du conseil en Organisation des États turcs et a converti son attention des questions culturelles et linguistiques en questions politiques, en commençant par chercher de l’aide dans sa guerre contre le PKK. En effet, M. Bayramov a invité ses collègues du conseil à utiliser le corridor de Zangezour pour le faire.
Il n’est pas étonnant que lors du défilé de la victoire à Bakou le 10 décembre 2020, Erdogan ait fait l’éloge d’Enver Pacha, dont le rêve était de créer un empire turc s’étendant jusqu’en Asie centrale.
Avec ces changements proposés au conseil, M. Erdogan est sur la bonne voie pour réaliser la vision d’Enver Pasha.
La question du couloir avait hérissé quelques poils en Iran. Actuellement, le ministre turc des Affaires étrangères Mevlut Çavusoglu est à Téhéran pour réparer certaines plaies. Le président Erdogan est également attendu dans la capitale iranienne pour renforcer la mission.
L’Iran avait précédemment averti que tout changement de frontière dans le Caucase était considéré comme une ligne rouge. Alors que l’Iran revient à la table des négociations pour son accord nucléaire, Ankara cherche à voir ce qu’il peut offrir à Téhéran pour changer les couleurs de cette ligne rouge afin de faciliter la marche de Bakou vers le couloir de Zangezour.
Alors que les voix de la Russie et des États-Unis ne deviennent que de simples mots, la Turquie et l’Azerbaïdjan pourraient impunément imposer à l’Arménie la question du corridor, ce qui compromettrait la souveraineté de ce pays, transformant un incident frontalier en une menace existentielle. Edmond Y. Azadian
Traduction N.P.