Après sept années d’incertitude, il semble qu’il y aura bel et bien l’élection d’un nouveau patriarche arménien à Istanbul. En 2008, l’Archevêque Mesrob Mutafian a été jugé incapable d’assumer ses fonctions parce qu’atteint d’une maladie incurable. Il a complètement perdu ses facultés intellectuelles. Le 30 juin 2010, l’archevêque Aram Ateshian a été nommé vicaire général par le conseil du clergé. Au cours des années qui ont suivi, la communauté arménienne d’Istanbul a connu une certaine confusion, divisée en deux camps: l’un demandant l’élection d’un nouveau patriarche, l’autre optant pour un patriarche coadjuteur.
Une situation sans précédent dans l’histoire du Patriarcat, que les chanoines de l’Eglise arménienne n’avaient ni prévu ni traité auparavant.
Le gouvernement turc n’a répondu à aucun des deux camps, abandonnant ainsi une communauté dans la confusion.
Le 6 octobre 2016, l’assemblée générale du clergé s’est réunie sous la présidence de l’archevêque Sahak Mashalian et a annoncé la retraite de l’Archevêque Mutafian, ouvrant ainsi la voie à une nouvelle élection.
L’archevêque Mutafian était le 84e patriarche, et maintenant la communauté attend l’élection d’un 85e archevêque.
Le Patriarcat d’Istanbul a joué un rôle crucial dans l’histoire arménienne; Il est toujours le chef de la communauté arménienne en Turquie et maintient sa place dans la hiérarchie générale de l’Eglise arménienne dans le monde.
Le Patriarcat a été instauré après la chute de Constantinople en 1453 par le Sultan Mohammad II Fatih. Mis sur pied afin de servir de contrepoids au Patriarcat grec orthodoxe, le patriarcat arménien a été utilisé, abusé et parfois protégé par les dirigeants ottomans subséquents. Depuis que le gouvernement ottoman a conçu le système du Millet, les nations conquises ont été gouvernées par leurs chefs spirituels. Le sultan s’adressait à sa circonscription arménienne par le biais du Patriarche, qui avait par conséquent une position de pouvoir. Durant une certaine période de l’histoire, le Patriarcat d’Istanbul a exercé plus de pouvoir que tout autre Siège de la hiérarchie de l’Eglise arménienne, y compris les deux Catholicosats et le Patriarcat de Jérusalem.
Les Sultans ont utilisé le Patriarcat d’Istanbul comme outil politique afin de contrôler également le Patriarcat de Jérusalem, qui était en rivalité avec les Eglises grecque et catholique romaine de Terre Sainte ; Les Arméniens ont bénéficié également de cette compétition. Lorsque le Catholicos Sahak Khabayan a été demis du Catholicosat de Sis en 1914, Jemal Pacha a déclaré qu’il devenait le chef spirituel suprême de tous les Arméniens, basé à Jérusalem, pour contrer le Saint-Siège d’Etchmiadzin, sous contrôle russe.
La constitution nationale arménienne a été ratifiée par le sultan en 1863. Certains principes et règlements de la constitution sont encore utilisés par les églises arméniennes et les diocèses du monde.
Bien que techniquement la communauté arménienne n’ait pas besoin de demander la permission du gouvernement afin de tenir des élections, la permission est censée « surveiller l’ordre du processus électoral. » Il s’agit, bien sûr, d’un euphémisme pour le gouvernement turc. Une mouche ne peut se déplacer dans la communauté arménienne sans la sanction ou la permission du gouvernement, contrairement au libellé du Traité de Lausanne de 1923, qui soi-disant garantit les libertés internes des minorités turques.
Le Président Recep Tayyip Erdogan n’est pas le seul à se plaindre des restrictions de ce traité ; Tous ses prédécesseurs ont été d’accord sur ce point et ont violé les clauses du traité avec la complicité de ses signataires.
Il y a 42 organismes communautaires de bienfaisance arméniens (vakif) à Istanbul ; Ils comprennent les églises, les écoles et les hôpitaux. Aucun d’entre eux n’a été autorisé, depuis longtemps, à tenir des élections. Un fonctionnaire doit avoir fait un clin d’œil à la communauté pour qu’elle puisse agir et préparer cette élection.
N’ayons pas l’illusion que quelque chose a changé en Turquie. Tout patriarche doit continuer à servir le gouvernement turc d’abord, avant de servir sa communauté.
Lors d’une récente entrevue accordée à Civilnet (site arménien de nouvelles), le vicaire général de Corinthe a avoué que l’archevêque Mutafian recevait, chaque fois qu’il voyageait à l’étranger, une feuille d’instructions avec des points de discussion. Il a même été obligé de se rendre dans les capitales européennes afin de promouvoir la candidature de la Turquie auprès de l’Union européenne, exaspérant ainsi les Arméniens de la diaspora.
C’est là le prix qu’un chef religieux doit payer pour préserver les intérêts de son troupeau. Les Arméniens de l’extérieur de la Turquie doivent reconnaître les limites des responsabilités du Patriarche de Turquie.
La lettre de l’archevêque Ateshian à Erdogan contre le vote du Bundestag allemand reconnaissant le génocide arménien, était hors de propos et caractérisé par ses concurrents à l’élection patriarcale comme « une action afin de favoriser ses intérêts personnels. »
Il y a, actuellement, quatre candidats. Selon les responsables communautaires à Istanbul, le préféré serait l’Archevêque turc Khajag Barsamian, primat du diocèse de l’Eglise arménienne d’Amérique (Diocèse de l’Est). Mais, il a refusé d’être dans la course. La route est libre pour quatre autres candidats : l’Archevêque Aram Ateshian; l’Archevêque Sahak Mashalian, l’Archevêque Karekin Bekjian, Primat des Arméniens d’Allemagne, et l’Archevêque Sebouh Chooljian, Primat de Gougark, en Arménie.
Outre sa capacité à servir la communauté et à naviguer à travers les labyrinthes juridiques et illégaux générés par le gouvernement turc, le patriarche élu devra posséder la capacité morale de soutenir l’unité de l’église dans le monde; Avec Antelias en concurrence ouverte avec Etchmiadzin, et le Patriarche de Jérusalem dans une vilaine révolte, c’est un problème sérieux que de maintenir des relations saines avec le Saint-Siège tandis que la Turquie est domestiquement instable.
Il est trop tôt pour prévoir le résultat de l’élection. Une chose est certaine : les autorités turques doivent évaluer le degré de loyauté des candidats, avant de permettre au public de voter.
Une fois approuvé par le gouvernement turc, les experts à Istanbul croient qu’il y aura une élection ouverte et équitable.
Au cours de son mandat de vicaire général, Ateshian a dressé quelques cheveux sur la tête. Le rédacteur en chef d’Agos, Pakrad Eutukian, a déclaré que « ce n’est pas mon choix. » L’archevêque souhaite obtenir la reconnaissance pour la rénovation de l’église Sourp Giragos de Diyarbakir, et de l’église Sainte-Croix d’Akhtamar. L’Archevêque Bekjian est le plus volubile dans son appel pour le poste, mais beaucoup croient qu’il est trop loin de la communauté pour être comprendre l’humeur sur place. L’Archevêque Chooljian, avec une vision du monde plus large, est toujours considéré comme trop assimilé à la culture de l’Arménie. L’Archevêque Mashalian, très articulé et digne, prétend qu’il ne se jette pas dans l’arène, mais ne refusera pas cet honneur s’il est élu.
Le droit turc exige que tous les candidats soient citoyens turcs. Mais en violation des termes du Traité de Lausanne, le gouvernement a fermé le séminaire arménien de la Sainte Croix et le séminaire grec de Heybeli, qui pourrait préparer les citoyens turcs à devenir membres du clergé. Ils interdisent également aux étudiants du séminaire d’être formés dans d’autres pays, essentiellement en coupant la route aux nouveaux candidats.
En dépit de tous ces problèmes créés de toute pièce, c’est déjà un miracle que quatre candidats soient en lice, et que quelques autres méritent d’être candidat.
Les Arméniens en Turquie sont unanimes à jurer : « Celui qui sera élu jouira de notre respect. »
Nous ne pouvons pas les contredire.
Traduction N.P.
Edmond Y. Azadian