Erdogan, politicien sur la scène internationale ou pyromane se faisant passer pour un pompier

Éditorial écrit en anglais par Edmond Y. Azadian et publié dans The Armenian Mirror-Spectator en date du 30 septembre 2021

La 76e session de l’Assemblée générale des Nations Unies la semaine dernière est devenue un forum pour aborder certains problèmes internationaux qui affligent la population de la planète. Les principaux sujets étaient, bien sûr, la pandémie de Covid-19 et le réchauffement climatique.

L’assemblée a été témoin de la générosité des États-Unis qui a fourni 500 millions de doses de vaccins contre la Covid-19 aux pays en développement et de l’engagement des grandes nations à lutter d’urgence contre les dangers de catastrophes écologiques. Même une Chine réticente s’est engagée à financer les industries charbonnières.

La session a également été l’occasion pour le président Joseph Biden de présenter une nouvelle orientation américaine, passant de « guerres implacables » à « une diplomatie implacable ». Cette déclaration doit être vue et analysée dans le contexte de la politique de confinement de la Russie et du défi de la Chine à la domination mondiale.

Ce qui intéresse le plus les Arméniens, c’est la conduite et la rhétorique du président turc Recep Tayyip Erdogan. Le comportement et le langage corporel de M. Erdogan ont dégagé un seul message à la communauté mondiale : la Turquie est devenue un acteur international et doit être traitée comme tel.

Avant d’approfondir les conflits régionaux dans lesquels le président turc arborait le manteau de pacificateur, M. Erdogan a abordé deux questions importantes : l’inefficacité du Conseil de sécurité de l’ONU et l’islamophobie qui sévit en Occident.

Ces dernières années, le Conseil de sécurité de l’ONU est devenu l’une des principales cibles de M. Erdogan. Il en veut particulièrement au fait que cinq membres permanents décisifs (les États-Unis, le Royaume-Uni, la France, la Russie et la Chine) conservent un droit de veto sur des questions internationales vitales. Il maintient que cinq membres ne suffisent pas à résoudre tous les problèmes auxquels l’ONU est confrontée et il pense que le moment est venu pour des pays comme la Turquie de se joindre à l’élite, tout comme il affirme que son poids international justifie son adhésion au club nucléaire.

Lorsque M. Erdogan a reproché à l’Occident d’abriter l’islamophobie, il ne s’est pas rendu compte que la question pouvait avoir un effet boomerang. En effet, les politiques et les actions des dirigeants du monde musulman tels M. Erdogan, qui militarisent la religion et l’utilisent comme un outil politique pour répondre à leurs ambitions de construire un sultanat mondial, contribuent à la génération de l’islamophobie. L’ironie est que la Turquie de M. Erdogan utilise des armes de pointe pour faire revivre les jours sombres de la mauvaise gouvernance ottomane sur les anciennes nations soumises, dont beaucoup sont habitées principalement par des musulmans, et pour revenir à une glorieuse histoire de pouvoir.

Le parti AK de M. Erdogan, lorsqu’il est arrivé au pouvoir en 2003, a renversé la politique d’Atatürk de séparation de l’État et la religion. Le fondateur de la République moderne de Turquie avait tenté d’imiter les démocraties occidentales en confinant les mollahs dans les mosquées et d’émanciper les femmes en éliminant le voile.

  1. Erdogan, en revanche, a joué sa fortune politique sur l’ignorance des masses fanatiques et a progressivement ramené au fil des ans le mariage de la religion et de la politique.

Loin d’être satisfait de ses actions dans son pays, il a décidé d’exporter cette politique à l’étranger en finançant des madrasas dans les pays du tiers-monde pour former une nouvelle génération de jeunes musulmans fanatiques. Il a également diffusé son message de haine en Europe, encourageant les citoyens musulmans à se prélasser sur leur différence et à écouter les mollahs extrémistes plutôt que d’essayer de s’assimiler. Comme si cela ne suffisait pas, il a demandé aux familles musulmanes d’Europe d’avoir chacune cinq enfants afin d’augmenter leur nombre rapidement et ainsi être prêtes à une action politique si nécessaire. Il a également menacé de faire exploser la Russie de l’intérieur, en politisant et en armant les 25 millions de citoyens musulmans de Russie.

Erdogan a affiné le fléau du terrorisme pour constituer des armées de mercenaires afin de déstabiliser de nombreux pays comme l’Irak, la Syrie, la Libye et la région du Caucase. Par conséquent, lorsque M. Erdogan utilise l’islam comme arme politique, il ne devrait pas être surpris que les nations ciblées par cette menace recourent à leurs défenses et l’une de ces défenses, malheureusement, est le visage disgracieux de l’islamophobie.

La foi musulmane, comme toute autre religion, mérite le respect, mais pas son interprétation erronée qui asservit les femmes et pratique les décapitations, les amputations et le terrorisme dans d’autres pays.

Le christianisme, à son tour, a eu ses problèmes avec l’extrémisme, en armant la religion et en franchisant les avant-postes coloniaux afin de conquérir des territoires et torturer l’esprit des gens dans les camisoles de force de l’Inquisition espagnole ainsi que les croisades.

Mais avec l’avènement de l’État de droit et d’une forme de gouvernance démocratique, le monde chrétien a adopté en majorité la séparation de l’Église et de l’État.

Le parti et le gouvernement d’Erdogan sont très loin de cela. Dès lors que l’Islam sera séparé de sa politique, tout son système de valeurs s’effondrera et cela anéantira ses rêves impériaux.

Après avoir été exposé des problèmes importants, M. Erdogan a commencé à dispenser son remède dans presque tous les points chauds du monde; pour la question chypriote, il a réprimandé ses interlocuteurs grecs et leur a conseillé de négocier et de travailler dans le cadre du droit international, sans compter que son armée d’occupation a illégalement divisé ce pays souverain en deux entités. Une fois de plus, il a exhorté l’utilisation du droit international pour régler les controverses en Méditerranée orientale tout en intimidant ses voisins et en explorant les hydrocarbures dans leurs eaux territoriales. Il a promis d’éliminer les groupes terroristes de Syrie, alors que le monde en est venu à découvrir qu’Erdogan et son gouvernement ont développé une activité lucrative en formant et en envoyant en expéditions différents groupes islamiques. En fait, l’État islamique (EI) a été financé et créé par la Turquie, jusqu’à ce que les États-Unis interviennent et détruisent ses infrastructures.

  1. Erdogan a appelé la communauté internationale à restaurer l’intégrité territoriale de la Syrie tout en gardant des régions du territoire syrien sous son autorité. Sur la question du Jammu-et-Cachemire, il s’est rangé du côté du Pakistan, plaque tournante du terrorisme et refuge pour Oussama Ben Laden et les criminels talibans. Le Pakistan est également un partenaire criminel avec la Turquie et l’Azerbaïdjan dans leur agression contre l’Arménie. Après avoir écouté les remarques d’Erdogan, le ministre indien des Affaires extérieures, Subrahmanyam Jaishankar, lui a conseillé « d’apprendre à respecter la souveraineté des nations indépendantes ». Dans le cas de la Crimée, Erdogan a refusé de reconnaître les résultats des élections. Il s’agit là d’une politique à deux volets, l’une visant à entrer dans les bonnes grâces du président Biden, qui occupe le même poste, et l’autre à faire un pied de nez au président Poutine, qu’il a l’intention de rencontrer bientôt à Sotchi. Dès lors, il envisage de négocier avec ce dernier dans une position de pouvoir. Pour renforcer cette position, il a récemment déplacé de nouvelles forces en Syrie.

Depuis que les États-Unis ont réussi à museler le monde arabe, M. Erdogan est devenu le seul défenseur de la cause palestinienne. Bien que, là encore, il a mis la pédale douce pour ne pas ébouriffer les poils d’Israël, comme il l’a fait dans le passé, il est impatient de rétablir les ponts et de tendre la main à l’administration américaine à travers Israël.

Dans le passé, M. Erdogan a accusé le gouvernement chinois d’avoir commis un génocide dans la province du Xinjiang contre les Ouïghours musulmans turcs. Cette fois-ci, il a avancé subtilement en conseillant à la Chine de résoudre le problème dans le respect des principes de son intégrité territoriale.

Le Karabagh était également à l’ordre du jour de M. Erdogan. Inversant les rôles dans ce conflit, il a reproché à l’Arménie d’avoir occupé le territoire de l’Azerbaïdjan. Personne n’a pu détecter de « signaux positifs » envers l’Arménie, comme l’a mentionné récemment le Premier ministre arménien Nikol Pachinian.

Après avoir regardé la performance de M. Erdogan devant ce forum mondial, qui a renversé les problèmes, on ne peut que conclure que l’incendiaire se fait passer pour un pompier.

  1. Erdogan est arrivé à New York avec de grandes attentes. La composition de sa délégation indiquait clairement toutes ses intentions. Sa délégation comprenait le chef de la République turque non reconnue de Chypre du Nord, Ersin Tatar, parce qu’il a appelé la communauté mondiale à reconnaître cette entité en tant qu’État souverain. Pour donner du crédit à son appel, il a décidé d’y allouer une section dans le nouveau bâtiment de 55 étages « Turkevi Center » soit la Maison turque, érigée à côté du siège de l’ONU. Il a également présidé en grande pompe à l’ouverture de cette « Maison ».

Les attentes étaient grandes dans les milieux politiques turcs car M. Erdogan avait fait allusion à une éventuelle rencontre avec le président Biden. Cette réunion aurait pu contrebalancer la dispute de M. Erdogan avec les alliés de l’OTAN, en insistant pour conserver les missiles S-400 de la Russie. Cela aurait également justifié le massacre par la Turquie des Kurdes syriens alliés des États-Unis. Mais le président Biden n’a pas eu le temps de le rencontrer. Ce sommet, ainsi qu’une autre réunion avec les chefs d’entreprise américains, auraient stimulé les investissements dans l’économie turque. À l’instar du président Biden, les dirigeants de grandes entreprises américaines ont hésité à rencontrer Erdogan.

Rappelons que M. Biden avait qualifié Erdogan d’« autocrate » avant son élection et avait appelé l’Amérique à aider son opposition à le renverser.

  1. Erdogan s’est plaint d’avoir bien travaillé avec tous les présidents américains au cours de ses 19 ans de règne, mais, a-t-il ajouté, « Je ne peux pas dire que nous avons bien commencé avec M. Biden. »

L’accalmie envers M. Erdogan et ses actions à travers le monde se manifeste également par d’autres signaux ; par exemple, l’appel de la France et des États-Unis à reprendre les négociations sur le conflit du Karabagh, conflit que la Turquie et l’Azerbaïdjan supposent avoir résolus en ayant eu recours à la force.

En outre, dans le message de félicitations envoyé par le président Biden au Premier ministre Pachinian, à l’occasion du 30e anniversaire de l’indépendance de l’Arménie, M. Biden n’a pas eu besoin de rassurer l’Arménie sur le fait que Washington travaillera à la libération des prisonniers de guerre arméniens d’Azerbaïdjan.

La seule réunion qui s’est tenue en marge de l’Assemblée générale de l’ONU a eu lieu entre le secrétaire d’État américain Antony Blinken et son homologue turc Mevlut Çavusoglu. Cette rencontre a duré une heure et a porté sur les crises en Afghanistan, en Syrie et au Karabagh.

Dans un article publié dans Al Monitor, Cengiz Çandar écrit : « Pour Erdogan, sa priorité est de renforcer son image en déclin en Turquie. Sa survie jusqu’aux élections de 2023, centenaire de la fondation de la Turquie, est la question la plus pressante de son agenda personnel et politique. Ainsi, chaque pas et chaque déclaration qu’il fait vise à faire avancer cet agenda politique. Sa visite à New York n’a pas fait exception. Pourtant, il n’a pas accompli grand-chose malgré les attentes de son équipe avant la visite.

Il est très évident que la politique d’actions indépendantes de M. Erdogan s’est retournée contre lui ; sa tentative d’adhésion à l’Union européenne a échoué et aujourd’hui, les États-Unis ne donnent pas suite à ses demandes. Son éloignement de l’Europe et de l’OTAN peut apporter un certain réconfort au Kremlin, mais M. Erdogan ne peut pas trop s’éloigner de Washington. Il a trop de choses à prendre en compte chez lui.

  1. Çandor conclut son article par la déclaration suivante : « En termes d’image d’Erdogan en Turquie, sa performance à New York n’a apparemment pas réussi à créer d’impact, ni positif ni négatif. Cependant, ce que les observateurs internationaux ne devraient pas manquer, c’est que la visite, une fois de plus, a confirmé les écarts de plus en plus profonds entre la Turquie et le monde occidental. »

La raison pour laquelle M. Erdogan a pu, jusqu’à présent, s’en tirer avec un meurtre est qu’il pouvait manipuler les partis opposés les uns contre les autres. Cette flexibilité semble avoir heurté un mur.

Sa cérémonie pompeuse lors de l’inauguration de la « Maison turque » avec une prière d’un mollah invité de Turquie et ses cortèges tumultueux autour de Manhattan n’ont eu que très peu, voire aucun effet concret. Edmond Y. Azadian

 

Traduction N.P.