Et après la révolution de velours en Arménie ?

Éditorial écrit en anglais par Edmond Y. Azadian et publié dans The Armenian Mirror-Spectator en date du 26 avril 2018

C’est le moment des hésitations et de la méditation. Toutes les révolutions « colorées » de la décennie ont entrainé dans leur sillage confusion et agitation. La révolution de velours de l’Arménie saura-t-elle être différente et meilleure parce qu’elle a été réalisée sans effusion de sang ?
C’est là l’importante question face à l’avenir de l’Arménie.
Les révolutions colorées ont contourné l’Arménie au cours des dernières années telle une brise, mais celle-ci a frappé en tsunami et a renversé l’administration qui a dirigé le pays au cours des dernières décennies.
Il y a une euphorie naturelle dans le pays parce que les jeunes se sont élevés contre le régime et provoquer des changements. Et dans cette euphorie, toute opinion allant à l’encontre de la jeunesse et ses réalisations équivaut à un blasphème. Mais comme l’avenir de l’Arménie est en jeu, tous les facteurs doivent être pris en compte et toutes les conséquences potentielles doivent être examinées.

Il est toujours plus facile de faire tomber un système ou une structure que d’en construire un nouveau.
Il y a presque deux semaines, Nikol Pachinian, chef du groupe parlementaire Yelk, a pris la route pour faire le tour du pays avec à l’esprit une seule devise : « Rejeter Serjik ». Au même moment, ce dernier était en train de s’oindre comme premier ministre, en vertu de la nouvelle constitution établissant un régime parlementaire. Il était sur le point de renommer presque tous les anciens visages à des postes ministériels, ce qui indiquait que rien ne devait changer dans un avenir prévisible dans la gestion du pays. Ce signal était suffisant pour alimenter la mission de Pachinian et rallier les jeunes autour de lui.
Au moment où il a conclu son marathon et est arrivé à Erévan, la place de la Liberté était animée par un nombre sans précédent de jeunes. C’est là qu’il a commencé ses discours enflammés destinés à démanteler le système. Il était la seule voix entendue sur le podium et la seule personne à prendre des décisions.
Contrairement aux vieux rassemblements traditionnels de l’opposition où plusieurs voix haranguaient les autorités, il a écarté d’autres figures de l’opposition comme Edmond Manoukian de Lousavor Hayastan, et Zarouhi Postanjian du Parti Tsirani, également de virulents opposants du régime de Serge Sargissian.
C’était le travail de Pachinian et il était déterminé à mener la bataille jusqu’à la fin.
Aucune effusion de sang n’a été observée parce que les deux camps étaient douloureusement et instinctivement conscients du fait que l’Arménie est sous un blocus et en guerre contre des ennemis mortels. Serge Sargissian, ayant toujours à l’esprit les tueries du 1er mars 2008, s’est abstenu d’engager ses forces autre que pour maintenir l’ordre. Cela peut-être à son détriment, mais pour le bien du peuple.
D’autre part, Pachinian a constamment souligné à la foule que la bataille devait être menée exclusivement par des méthodes pacifiques et non-violentes. Toutes les tentations de conflit ont été contenues par les deux parties, ce qui a encouragé les gens à sortir et à se joindre aux manifestations.
Le mouvement a culminé le 22 avril, lorsque Serge Sargissian et Nikol Pachinian se sont échangé des ultimatums à l’hôtel Marriott.
Le Premier ministre a contesté la prétention de Pachinian d’être représentatif de la majorité du peuple. Pachinian a répondu qu’il rencontrait son adversaire seulement pour discuter des conditions de sa reddition. Il a également ajouté que Sargissian était déconnecté de la réalité, ce que ce dernier a reconnu dans sa lettre de démission, déclarant que Pachinian avait raison.
À la suite de la démission de Sargissian, l’ensemble du cabinet a présenté sa démission, conformément aux termes de la nouvelle constitution.

Le président Armen Sargissian l’a accepté et a demandé à toutes les parties d’aider à la construction d’une nouvelle Arménie.
Au moment d’écrire ces lignes, il reste un gros problème inachevé : le 25 mai, le Premier ministre par intérim, Karen Karapetian rencontrera Pachinian à l’hôtel Marriott pour transférer pacifiquement le pouvoir au représentant du peuple. Pachinian se considère comme ce « représentant », car lors de son dernier rassemblement, il a demandé à la foule de lui conférer ce titre qui l’a acclamé.
Il reste à voir si ce transfert se fera sans aucun problème ni problèmes juridiques qui le retarderont.
Pachinian a propagé ses politiques et son programme pour que tout le monde soit au courant.

Après le transfert de pouvoir, il envisage de nommer un cabinet de transition et dans un délai raisonnable, organiser de nouvelles élections législatives.
En attendant, il demande au parti républicain au pouvoir de reconnaître immédiatement le « nouvel ordre » établi par les « représentants du peuple ».
Un point à l’ordre du jour est de libérer immédiatement tous les prisonniers politiques.
Ses autres sujets sont si idéalistes qu’ils semblent avoir été écrits au paradis. Mais c’est au fruit qu’on juge de l’arbre.
Par exemple, il demande qu’il n’y ait de vendetta contre quiconque. Mais l’atmosphère a tellement changée et le message de colère de Pachinian a été si puissant que cela serait trop beau pour être vrai. On dit que déjà une chaîne d’épicerie, SAS, est boycottée parce qu’elle appartient à un oligarque détesté.
Il n’y aurait pas non plus de persécution contre les gens d’affaires qui font leurs bagages pour quitter le pays et transférer leurs capitaux à l’étranger.

Personne n’est autorisé à supposer qu’il y ait eu collusion entre les dirigeants de la révolution de velours et des forces extérieures, peu importe si toutes les tactiques de la révolution découlent de l’application de manuels d’autres révolutions de couleur.
Pachinian a assuré à tous qu’il s’agissait d’une révolution purement arménienne et qu’elle apportera la paix, la fraternité, la liberté et l’amitié à tous ses citoyens.
Sans parti pris, nous devons revoir le cas de toutes les révolutions, qu’elles soient françaises, russes, chinoises, cubaines, etc. Les dirigeants charismatiques se sont révélés extrêmement efficaces pour enflammer l’imagination des masses à travers des slogans accrocheurs, puis se sont révélés être les dirigeants les plus ineptes; et pour compenser leur échec, ils ont eu recours à la violence ou à des dictatures établies.
Puisque cette révolution de velours s’est faite sans effusion de sang, croyons en la parole de Pachinian qui nous dirige vers une Arménie pacifique.
La preuve de l’exclusion d’une vendetta peut être démontrée en réaffectant certains des ministres de l’administration précédente dans le groupe dirigeant de cette quatrième république.
La révolution de velours a résonné dans toute la diaspora et dans les couloirs des puissances mondiales.
Dans la diaspora, les partis politiques sympathisent avec le mouvement populaire, mais ils ont une approche prudente de son résultat potentiel. La FRA, qui faisait partie de la coalition avec le parti républicain au pouvoir, a fait volte-face pour saluer l’éviction du premier ministre. Plus important, la voix de la diaspora est la voix des récents immigrants venus d’Arménie.
Le moins que l’on puisse dire est que tous les partis et groupes sont soulagés de voir l’effondrement d’un régime très impopulaire.
La communauté internationale est certainement intéressée par les développements en Arménie. Pour l’Occident, toute agitation dans l’arrière-cour de la Russie est une occasion bienvenue ; c’est pourquoi aucune réaction n’est encore survenue face à la démission du Premier ministre. D’autre part, la porte-parole du ministère russe des Affaires étrangères, Maria Zakharova, a mentionné dans un télégramme que la Russie appuyait toujours l’Arménie.
Un message similaire a été reçu de Valery Peskov, porte-parole du président Poutine. Poutine demande aux deux camps de surmonter la crise le plus rapidement possible.
La Turquie et l’Azerbaïdjan ont avancé leurs élections pour consolider le pouvoir dans leur pays, en préparation d’une nouvelle campagne contre l’Arménie.
L’Arménie a besoin d’air frais et, heureusement, la jeune génération offre cette nouvelle vision. Espérons que l’inexpérience n’interfère pas dans la marche vers la création d’une nouvelle Arménie.
La communauté arménienne, et le monde au-delà, se demanderont ce qui arrivera après cette révolution de velours. Edmond Y. Azadian

Traduction Nicole Papazian